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00:00Bienvenue au Cœur du Crime, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:11Savez-vous que plus d'un tiers des crimes et délits commis en France sont traités par la Gendarmerie Nationale ?
00:19Je m'appelle Yann Kermadek, je suis commandant de gendarmerie.
00:25Je dirige une section de recherche dont la mission essentielle est une mission de police judiciaire.
00:41L'histoire que je vais vous raconter est une histoire vraie.
00:46Tous les faits sont réels et se sont déroulés en France.
00:50Seuls les noms des personnes et des lieux ont été changés.
00:55Docteur, je suis atteint d'amnésie totale.
01:03Mon cher monsieur, si vous étiez atteint d'amnésie totale, vous ne sauriez plus ni marcher, ni parler.
01:10Bien, alors, mettons que je sois atteint d'amnésie partielle, docteur.
01:14Pour un psychiatre, le docteur Brenner était joliment agité.
01:22Il arpentait la pièce de long en large.
01:24Voyons, monsieur, vous ne voulez donc pas chercher à connaître votre identité ?
01:30Non, docteur.
01:31Bien, tout le monde veut connaître son identité, voyons.
01:34Mais pas les gens qui, comme moi, souffrent de véritables amnésies, docteur.
01:40Mon avis personnel, monsieur, est que dans les cas d'amnésie,
01:45neuf sur dix des prétendues victimes sont des simulateurs.
01:49Cette nuit, vers deux heures du matin, un agent vous a découvert sur le pont de Neuilly.
01:54Vous aviez l'air hébété et vous regardiez fixement le fond de l'eau.
01:58« Que faisiez-vous donc là ? »
02:02« Je suppose que j'étais sur le point de me jeter à l'eau, docteur. »
02:05« Pourquoi, monsieur ? »
02:07« Je ne sais pas, docteur, et je ne veux pas le savoir. »
02:10Il semble que j'avais le choix entre sauter de ce pont ou perdre la mémoire.
02:15J'ai préféré perdre la mémoire.
02:18« Quand l'agent de police vous a demandé votre nom,
02:21vous avez répondu que vous l'ignoriez.
02:23Alors il a demandé à voir votre portefeuille.
02:25Qu'avez-vous fait ? Vous l'avez jeté à l'eau.
02:28Pourquoi ? »
02:30« Apparemment, docteur, je ne voulais pas apprendre qui j'étais. »
02:33« Mais un jour, vous recouvrerez la mémoire, monsieur. »
02:37« Non, docteur. Pas si je résiste. »
02:41« Bien. Alors, qu'avez-vous l'intention de faire maintenant, monsieur ? »
02:47« J'ai l'intention de quitter Paris, docteur,
02:50de m'en aller à des milliers de kilomètres d'ici.
02:53Je ne veux garder aucun contact avec qui que ce soit
02:56qui puisse contribuer à me rendre la mémoire. »
03:00« Comment pensez-vous pouvoir voyager, cher monsieur ?
03:03Vous n'avez pas d'argent sur vous. »
03:08En effet, c'était là un point douloureux
03:09qui valait d'être pris en considération.
03:13Le téléphone placé sur son bureau sonna
03:15et le docteur prit l'écouteur.
03:18Après avoir écouté parler son interlocuteur,
03:21il dit dans l'appareil avec un sourire
03:23« Martin ! Faites-le venir immédiatement. »
03:28« Qui est-ce, docteur ? »
03:30« Vous allez voir, monsieur. Vous allez voir. »
03:35L'homme qui entra quelques minutes plus tard
03:37était âgé d'une soixantaine d'années
03:38et avait un peu l'aspect d'un épagneul.
03:41« Robert ! » s'écria-t-il.
03:44« C'est donc vous, Robert !
03:45Je pensais bien vous avoir reconnu
03:47d'après la description que m'avait faite la police. »
03:51« Robert ! Mon Dieu, quel nom révoltant ! »
03:54Je ne puis m'empêcher de demander
03:55« Robert, c'est mon nom de famille ou mon prénom ? »
03:59« Votre prénom ! Votre nom de famille... Non, non ! »
04:02« Non, je ne veux pas le savoir. »
04:04« Docteur, ce monsieur est Robert Ballard.
04:07Je suis son conseil et son homme d'affaires. »
04:11« Mon homme d'affaires ? »
04:13Je décidai de donner un léger coup de sonde dans le passé.
04:18« Dites-moi, Martin,
04:19ai-je de l'argent ? »
04:21« Mais bien sûr, Robert, vous êtes très riche. »
04:24« Docteur, je vais ramener monsieur Ballard chez lui. »
04:27« Je veillerai à ce qu'il reçoive les meilleurs soins
04:29des meilleurs médecins. »
04:30« Mais je ne veux pas rentrer chez moi, Martin ! »
04:33« Je ne veux pas des meilleurs médecins. »
04:35« Je veux simplement de l'argent et quitter Paris. »
04:38« Je vous ferai savoir par la suite
04:39où m'envoyer d'autres fonds. »
04:41« Avez-vous un chèque en blanc sur vous ? »
04:43« Je crois que 10 000 francs
04:44devraient me suffire pour le moment. »
04:47« J'ai votre procuration légale, »
04:50dit Martin.
04:51« J'ai le regret de vous dire que
04:53je devrais faire opposition
04:54sur tous les chèques que vous pourriez signer
04:56dorénavant, cher Robert. »
04:59« Pourquoi ? »
05:01« Uniquement dans le but de vous protéger
05:03contre vous-même, mon cher Robert. »
05:05« Voyez-vous, si vous êtes réellement
05:07atteint d'amnésie, eh bien,
05:08pour toute opération financière,
05:10aux yeux de la loi, vous êtes, comment dire,
05:13un incapable. »
05:15« Un incapable ? »
05:17« Vous êtes licencié, Martin. »
05:19« Allons, allons, Robert. »
05:21« Dans votre état, vous ne pouvez pas
05:23non plus me congédier. »
05:25« Je ne sais pas quelle est exactement
05:26la procédure, mais je crois que le tribunal
05:28m'instituera votre conseil judiciaire
05:31jusqu'au moment où vous aurez recouvré
05:33la mémoire ou jusqu'à ce qu'on puisse
05:35prouver que vous êtes mentalement
05:37et émotivement responsable
05:39de vos actes. »
05:40« De quoi vous souvenez-vous,
05:42au juste, Robert ? »
05:44« De rien. »
05:46« De rien. »
05:48« Vous avez besoin de détente
05:49après un tel choc, mon cher Robert.
05:51Je vous conseille de vous reposer
05:52pendant quelques jours.
05:53Je suis sûr que Francis
05:55saura parfaitement s'organiser
05:57et faire en sorte que vous ayez
05:59tout ce qu'il vous faut. »
06:01« Qui est Francis ? »
06:04« Mais c'est votre valet de chambre, Robert. »
06:07« Bien. »
06:08« Si le docteur Brenner le permet,
06:11je vais maintenant vous reconduire
06:12chez vous. »
06:14Martin me conduisit en voiture
06:16en longeant le bois de Boulogne
06:17jusqu'à Neuilly.
06:19Bientôt, nous nous arrêtâmes
06:21devant un imposant hôtel particulier.
06:24Une fois entré,
06:25Martin me guida vers une vaste pièce
06:27dans laquelle se trouvait un domestique
06:29occupé à ranger des costumes
06:31qui devaient rentrer de chez le teinturier.
06:34Ainsi donc, j'étais chez moi.
06:40Une fois dans mon élément,
06:42allais-je recouvrer la mémoire ?
06:45C'est ce que vous saurez dans quelques instants.
06:55On m'a retrouvé à deux heures du matin
06:57sur le pont de Neuilly,
06:59prêt à me jeter dans l'eau glacée
07:00et complètement amnésique.
07:02Chez le médecin où on m'a transporté,
07:06un homme se présente comme étant
07:08mon homme d'affaires
07:09et me raccompagne à mon domicile,
07:13à un somptueux hôtel particulier.
07:14Je me jetais à l'eau.
07:19« Bonjour, Francis ! »
07:22« Bonjour, monsieur ! »
07:24Martin semblait content.
07:26« Vous l'avez reconnu, Robert ? »
07:28« Mais bien sûr ! »
07:30« Monsieur Robert a perdu la mémoire,
07:32ou du moins une grande partie de sa mémoire ! »
07:35dit Martin à l'adresse de Francis.
07:39Je parcourus la chambre à coucher
07:41et constatai que les tableaux
07:42qui garnissaient les murs
07:43étaient des originaux de Pissarro
07:46et de Berthe Morisot.
07:47Apparemment, mon amnésie
07:51n'allait pas jusqu'à m'empêcher
07:52de reconnaître une toile de maître.
07:54Mon attention fut soudain attirée
07:56par une photographie
07:57posée sur une commode Louis XV.
08:00La femme qui y était représentée
08:02avait un regard pénétrant et volontaire.
08:06« Grandieux ! »
08:09J'avais donc une femme ?
08:12Était-ce elle ?
08:14Je m'approchais de la photographie
08:16et fus extrêmement soulagé
08:18d'y lire cette courte dédicace.
08:21« Tendrement à toi, ta sœur Violette ! »
08:26Je remarquais dans la cheminée
08:28les restes à demi carbonisés
08:30de ce qui semblait avoir été
08:31des cadres et des photographies.
08:33Martin cessa de chuchoter
08:37à l'oreille de mon valet de chambre
08:38et, dans le but d'éprouver ma mémoire,
08:42me demanda en désignant du doigt la photo
08:44« Qui est-ce, Robert ? »
08:47« Ma sœur, voyant ! »
08:50Il eut l'air impressionné.
08:53« Et Sophie ?
08:54Savez-vous qui est Sophie ? »
08:57« C'est votre femme, Robert. »
08:59« Bon, eh bien, je me sauve maintenant.
09:00Comptez sur moi pour m'assurer
09:02du bon ordre de vos affaires
09:03jusqu'à ce que vous ayez recouvré la mémoire,
09:06cher Robert. »
09:08« Martin ! »
09:10« Où est ma femme ? »
09:12« Où est Sophie ? »
09:14« Je vous avoue que je n'en sais rien, Robert.
09:17Elle est peut-être allée faire des courses. »
09:21Francis parut sur le point de dire quelque chose,
09:24mais se ravisa.
09:26Après le départ de Martin,
09:29je mis à explorer la maison plus à fond.
09:33Les apparences donnaient à croire que Sophie et moi
09:36faisions chambre à part.
09:40Je descendis au salon prendre un verre.
09:44À onze heures, la sonnette de la porte d'entrée retentit
09:47et ma sœur, Violette, entra dans la pièce.
09:49« Eh bien, Robert,
09:52Martin m'apprend que tu as de nouveau perdu la mémoire. »
09:55« Pourquoi de nouveau ? »
09:57« Tu ne te rappelles pas, bien entendu.
09:59C'est une vieille histoire.
10:01Tu avais vingt-et-un ans la dernière fois
10:03que ça t'est arrivé. »
10:06« Violette,
10:07est-ce qu'il y avait une raison spéciale
10:09pour que j'aie perdu la mémoire à ce moment-là ? »
10:13Elle m'examina un moment par-dessus son verre.
10:16« Le jour de tes vingt-et-un ans,
10:19mon père t'a donné cinq cent mille francs.
10:21Il voulait voir ce que tu en aurais fait au bout d'un an. »
10:24« Et alors ? »
10:25« Tu as investi le tout dans une société
10:27qu'un de tes camarades de classe était en train de fonder. »
10:31« Et j'ai tout perdu, n'est-ce pas ? »
10:32« Oui, tu as été complètement refait, mon pauvre Robert.
10:36Il n'y avait pas de société.
10:37Ton ami a tout simplement filé en Amérique du Sud
10:40sans te laisser un sou. »
10:43Je ne me rappelais absolument pas cet incident.
10:45« Tu as mis six mois à recouvrer la mémoire à cette époque, Robert.
10:50D'après le psychiatre que père a consulté,
10:52alors s'il y a une chose au monde que tu ne puisses supporter,
10:55c'est qu'on se moque de toi.
10:57Tu as préféré oublier qui tu étais
10:59plutôt que de devoir constater que tu avais été ridiculisé.
11:04Où est Sophie ? »
11:06me demanda-t-elle.
11:08« Je ne sais pas. »
11:10« Dis-moi, Violette, comment nous entendons-nous, Sophie et moi ? »
11:15« Mais très bien, Robert, très bien. »
11:19« Quel âge a-t-elle ? »
11:20« 23 ans. »
11:23« Et moi ? »
11:24« 52. »
11:26« Elle t'a épousée pour ton argent, bien évidemment, Robert.
11:29Mais il n'y a rien là qui doit t'inquiéter maintenant.
11:32Tu l'as toujours su et tu as décidé d'accepter la situation telle qu'elle était. »
11:38« Dis-moi, Violette, est-ce que je l'aime ? »
11:41« Mais bien sûr que non. »
11:43« Sophie n'est pour toi qu'un objet de luxe parmi tant d'autres. »
11:46« Mais tu sembles y tenir. »
11:48« Allez, je me sauve. Au revoir, mon Robert. »
11:52Après le départ de Violette, Francis vint me trouver.
11:56Il semblait effrayé.
11:57« Est-il vrai que monsieur souffre d'amnésie, qu'il ne peut rien se rappeler ? »
12:05« Est-ce que cela vous regarde, Francis ? »
12:07« Oui, monsieur, parce que je voudrais bien toucher les 300 000 francs. »
12:13« Quels 300 000 francs ? »
12:15« Les 300 000 francs que monsieur m'a promis pour ne pas aller trouver la police.
12:20Monsieur ne se rappelle pas.
12:22La nuit dernière, monsieur a tué madame.
12:25Monsieur et madame ont eu une dispute hier soir.
12:28Il était environ 10 heures et demie.
12:30Je ne sais pas à propos de quoi cette dispute a éclaté,
12:32mais juste au moment où j'entrais dans la pièce,
12:35monsieur a pris un tisonnier et en a asséné un coup sur la tête de madame.
12:40La mort a été instantanée, monsieur.
12:43Nous avons mis le corps dans la camionnette et nous l'avons emmené dans la campagne.
12:49Monsieur, nous avons enterré madame dans un petit bosquet
12:52où je suis certain que personne ne la trouvera jamais, monsieur. »
12:58J'étais consterné.
13:01Je me demandais si la cause de mon amnésie était le meurtre que j'avais commis.
13:05Mais alors, maintenant que Francis m'avait dit que je l'avais tué,
13:11pourquoi la mémoire ne me revenait-elle pas ?
13:14Était-ce parce que je ne voulais pas savoir pourquoi j'avais commis ce crime ?
13:19« Et les trois cent mille francs, monsieur ? »
13:24« Vous n'aurez pas un sou. »
13:26« Oh ! Alors je serais forcé de raconter l'histoire à la police, monsieur. »
13:32Il était manifeste que je devais en passer par ses exigences,
13:35mais pour pouvoir le faire, j'avais un obstacle à surmonter.
13:39« Je ne peux pas vous donner les trois cent mille francs maintenant, Francis.
13:44Martin a fait en sorte que je ne puisse toucher un sou de ma fortune
13:47avant d'avoir recouvré la mémoire.
13:50Dites-moi, Francis, vous travaillez chez moi depuis longtemps ? »
13:54« Oui, monsieur, vingt ans. »
13:57« Dans ce cas, je suppose que vous en savez sur moi et sur mes relations
14:01tout autant que moi-même, enfin, tout autant que j'en savais moi-même. »
14:07« C'est fort possible, monsieur. »
14:09« Très bien, Francis. Alors, asseyez-vous.
14:15Vous allez me raconter tout ce que vous savez à mon sujet
14:18et au sujet de mes amis, de mes ennemis, de mes intérêts, de mes activités.
14:22Nous allons faire croire que j'ai recouvré la mémoire.
14:26Quand nous en aurons convaincu Martin et les experts,
14:28je serai à même de retirer de la banque les trois cent mille francs pour vous les donner. »
14:35Ses yeux brillèrent étrangement.
14:36« Mes mensonges l'avaient convaincu. »
14:42Il n'aurait pas été aussi confiant, ce cher Francis,
14:46s'il avait pu savoir ce que l'avenir lui réservait.
14:50Bien entendu, j'allais être obligé de me débarrasser de lui définitivement,
14:55mais pour l'instant, j'avais besoin de lui pour reprendre possession de ma fortune.
15:01Au bout d'une semaine de collaboration avec Francis,
15:07je me sentis assez sûr de moi pour déclarer tout go à Martin
15:10que j'avais complètement recouvré la mémoire.
15:14Martin avait mis un tel soin à protéger ma fortune de mes éventuelles extravagances
15:19qu'il me fallut comparaître devant un comité de médecins désigné par le tribunal
15:24pour me soumettre à plus de cent trente questions destinées à prouver que mon passé m'était redevenu familier.
15:33Après cet examen, trois jours s'écoulèrent encore
15:36avant que fût démêlé l'écheveau administratif
15:40et que je reprisse possession de ma fortune.
15:43Quand Martin me téléphona l'heureuse nouvelle, je fis venir Francis.
15:51« Eh bien, Francis, comment aimeriez-vous toucher votre argent ?
15:54En espèce, je suppose. »
15:57Ses yeux brillèrent de convoitise.
15:59« En espèce, oui, monsieur, en petite coupure, s'il vous plaît. »
16:05« Très bien, Francis. Dans un moment, je vais aller à la banque. »
16:10J'allais au buffet et pris le verre que j'avais préparé pour Francis.
16:16Il contenait déjà la poudre blanche.
16:19J'y ajoutais du whisky et du soda, un peu plus sucré, pour faire passer le goût amer.
16:24Puis j'apportais son verre et le mien.
16:27« Buvons à notre succès, Francis. »
16:31« Non, je ne bois pas, monsieur. »
16:33« Allons donc, Francis. Je viens de récupérer ma fortune
16:36et vous êtes sur le point de récupérer trois cent mille francs. »
16:39« Allez, asseyez-vous, mon bon. »
16:43Il prit son verre, goûtant, bien évidemment, le plaisir d'être assis en présence de son maître.
16:50Je soutins la conversation pendant une dizaine de minutes
16:52avant qu'il commença à dogliner de la tête.
16:56Il lui fallut encore dix autres minutes pour être tout à fait mort.
17:05Non sans difficulté, je réussis à soulever Francis et à le charger sur mon épaule
17:11pour l'emporter jusqu'au garage.
17:14Je déposais le corps dans la camionnette et le couvris d'une bâche.
17:19J'ajoutais au chargement une pelle et une pioche,
17:23puis je retirais mon complet et enfilais à la place une salopette graisseuse
17:28que je trouvais accrochée à une patère dans le garage.
17:32Je pris le périphérique en direction du nord et je sortis à Saint-Lys.
17:37Le trafic était peu intense et je traversais plusieurs petites bourgades
17:41sans pouvoir me décider à tourner dans l'un des chemins de traverse.
17:46Aucun d'eux ne semblait offrir la solitude désirée
17:49et je décidais de pousser jusqu'à Pont-Armé.
17:55Juste à la sortie de ce village, il y avait un embouteillage et je dus m'arrêter.
18:01Six ou sept automobiles étaient à l'arrêt devant moi
18:04et une voiture de police était rangée sur le bas-côté de la route.
18:09J'eus un mouvement de panique avant de comprendre
18:11qu'il ne s'agissait que d'un contrôle normal de sécurité.
18:16Le gendarme allait simplement s'assurer que mon avertisseur,
18:20mes phares et mes feux arrière étaient en bon état de fonctionnement.
18:25Le gendarme s'approcha de ma voiture.
18:28« Vos papiers, s'il vous plaît, monsieur.
18:30Permis de conduire, carte grise, vignette, assurance. »
18:34« Mes papiers. »
18:37Mon Dieu, mes papiers se trouvaient dans le portefeuille
18:40que j'avais jeté du haut du pont de Neuilly.
18:43Je fis semblant de fouiller mes poches, puis, avec un sourire confus, je dis
18:47« J'ai dû les oublier à la maison, monsieur le gendarme.
18:51Si vous voulez appeler mon homme d'affaires, il pourra vous donner mon identité.
18:55Nous nous connaissons depuis vingt ans. Son nom est Martin. »
18:58Le gendarme fut sans doute impressionné par le terme « homme d'affaires ».
19:02Il réfléchit un moment.
19:04« Très bien, monsieur, on peut essayer.
19:08Quel est son numéro de téléphone ? »
19:11« Mon Dieu, son numéro de téléphone ? Je ne le connaissais pas.
19:15J'étais couvert de sueur. »
19:18« Je n'arrive pas à me le rappeler, monsieur le gendarme,
19:21mais vous le trouverez dans l'annuaire. »
19:24« Descendez, monsieur, et suivez-moi. »
19:31Les trois hommes qui se trouvaient dans la pièce avec moi
19:33étaient des inspecteurs de police en civil.
19:36Et celui qui avait l'air d'être le chef
19:38commença un interminable interrogatoire.
19:43« Pourquoi l'avez-vous tué, monsieur ? »
19:46« Je ne dirai rien tant que je n'aurais pas vu mon avocat.
19:49Faites venir, monsieur Martin.
19:50Mais vous ne connaissez ni son téléphone, ni son adresse,
19:53ni même son prénom.
19:54Il y a deux cents martins dans l'annuaire, monsieur.
19:57Vous admettez pouvoir identifier le cadavre
20:00qui se trouve dans votre camionnette ? »
20:03« Oui, c'était mon valet de chambre. »
20:06« Quel est son nom de famille ? »
20:08« Je n'en sais rien, moi ! »
20:10« Je ne l'ai jamais appelé autrement que Francis. »
20:13« Monsieur, pouvez-vous dire pourquoi nous avons trouvé
20:16une lettre qui vous est adressée
20:18dans l'une des poches de ce Francis ? »
20:21« Une lettre ? Mais quelle lettre ? »
20:24L'inspecteur sortit une enveloppe de sa poche
20:27et la posa sur le bureau.
20:30L'ayant regardé, je fus pris d'un tremblement.
20:33Je me souvenais de tout.
20:40Absolument de tout.
20:44Contrairement à ce qu'avait voulu me faire croire Francis,
20:47je n'avais pas tué Sophie.
20:50Elle était en vie et retrouverait bientôt son amant.
20:54Je n'avais pas besoin de lire cette lettre.
20:56Chacun des mots qu'elle contenait me revenait à la mémoire
20:59comme autant de coups de poignard.
21:03Cher Robert,
21:05je t'ai épousé pour ton argent
21:07et tu m'as épousé parce que j'étais quelqu'un d'agréable
21:09à avoir en sa possession.
21:12Quand nous avons conclu notre accord,
21:14je ne pouvais prévoir que je serais amené un jour à le rompre.
21:18À la longue,
21:19je me suis lassé d'avoir seulement de l'argent
21:21et j'ai découvert,
21:23à ma propre surprise,
21:24que j'avais besoin d'amour.
21:27Tu te rappelles, Roger Féris ?
21:30Je crois que vous fréquentez le même club de golf.
21:34Certes, il ne possède pas ta fortune,
21:36mais je suis sûr que ce qu'il y a nous suffira pour vivre heureux.
21:41Je vais m'installer sur la côte d'Azur
21:42et, bien entendu,
21:44il ne sera pas question d'arrangement financier entre nous.
21:47Tout ce que je désire,
21:49c'est ma liberté.
21:50Je n'ai parlé de cela à personne.
21:53Je te laisse le soin de fournir à tes amis
21:55les explications voulues.
21:58Quoi que tu dises,
22:00je ne le démentirai pas.
22:02Adieu,
22:04Sophie.
22:07Roger Féris.
22:10Roger Féris,
22:11ce type insipide.
22:14Je me souvenais maintenant.
22:17J'avais lu cette lettre chez moi
22:18et pris d'une fureur noire,
22:20j'avais parcouru chaque pièce de la maison
22:21en déchirant toutes les photos de Sophie.
22:23Je les avais jetées au feu
22:24et je les avais regardées brûlées.
22:27Qu'allais-je dire à mes amis ?
22:30Ils se rappelleraient que j'avais souvent
22:31joué au golf avec Féris,
22:33sans avoir le moindre soupçon.
22:35Ils chucheteraient,
22:37ils feraient des cancans,
22:38ils me montreraient du doigt,
22:39ils se moqueraient de moi !
22:42Je ne pouvais pas supporter
22:44d'être tourné en ridicule.
22:47Oui,
22:47je me rappelais à présent.
22:51J'avais quitté la maison
22:53et marché jusqu'au pont de Neuilly.
22:56L'eau était sombre
22:57et semblait glacée.
22:59Elle me repoussait
23:00et m'attirait tout à la fois.
23:03J'avais fermé les yeux.
23:06Que pouvais-je faire ?
23:08Sinon, sauter.
23:08C'est alors que l'agent de police
23:12m'avait tapé sur l'épaule
23:13et que j'avais ouvert les yeux
23:16sur un monde
23:16qui m'était devenu
23:17totalement étranger.
23:20Puis, Francis, mon valet,
23:22était entré en action.
23:24Il avait trouvé la lettre
23:25et avait profité de mon amnésie
23:27pour me faire chanter
23:28pour un crime
23:28que je n'avais pas commis.
23:30C'en était trop,
23:31vraiment trop.
23:33Être ridiculisé par sa femme
23:35et par un domestique.
23:38Je fermais les yeux
23:39un long moment
23:40et quand je les rouvris,
23:43il y avait trois hommes
23:45dans la pièce.
23:46L'un d'eux me dit
23:47« J'ai téléphoné
23:49à une douzaine de Martins
23:50et je crois que j'ai enfin
23:51trouvé le bon.
23:52Il sera ici
23:53dans quelques minutes. »
23:56Martin ?
23:57Qui était ce Martin ?
24:00Et moi,
24:01qu'est-ce que je faisais ici ?
24:05Je regardais ces trois hommes
24:06que je n'avais jamais vus
24:07de ma vie
24:08et je fus certain
24:09d'une chose.
24:11Je n'allais pas
24:12m'en laisser compter par eux.
24:14Je ne croirais rien
24:15de ce qu'ils me diraient.
24:15Rien du tout.
24:16Absolument rien.
24:17Jamais.
24:17Jamais.
24:19Jamais.
24:21J'étais
24:21amnésique.
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24:39Patrimoine sonore,
24:40Sylvaine Denis,
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24:42et Antoine Reclu.
24:44Promotion,
24:45Marie Corpet.
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