Dans son édito du 14/04/2025, Mathieu Bock-Côté revient sur la reprise des tensions entre Paris et Alger.
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00:00Je vous avouerai, la semaine dernière, c'était quand on entendait ce récit des retrouvailles.
00:04Enfin, l'Algérie et la France se retrouvent enfin parce qu'on se serait débarrassé à tout le moins dans la relation au sommet du trouble-faite nommé Retailleau.
00:14Enfin, le temps des retrouvailles est venu. Le réchauffement diplomatique serait à l'agenda.
00:20Enfin, il resterait quelques détails à régler. Par exemple, la libération de Boilem Sansal, mais bon, détail parmi d'autres.
00:26Et on y passe. Or, qu'est-ce qu'on voit? Eh bien, que la complexité, pour ne pas dire la difficulté, pour ne pas dire l'impossibilité de cette relation est inscrite dans quelque chose de beaucoup plus profond.
00:39Et n'importe quoi dans l'actualité peut réactiver cette impossibilité, cette difficulté, quoi qu'en pensent les diplomates, les politiques qui cherchent à nous faire croire que nous sommes toujours un embrassade revenu de se réconcilier.
00:50Le nord et le sud de la Méditerranée s'embrassent dans un destin. Alors, que s'est-il passé ici?
00:56C'est une séquence en deux temps. Vendredi, donc trois hommes, dont un employé des consuls algériens en France, ont été mis sous examen, arrêtés en France.
01:06Pourquoi? Alors, je cite exactement.
01:08Pour arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire suivie de libération avant le septième jour, en relation avec une entreprise terroriste, ça c'est selon le parquet national antiterroriste français,
01:19de qui? D'un, globalement, de réfugiés algériens qui seraient installés en France. Et là, autrement dit, le régime aurait persécuté quelqu'un qui l'avait fui sur le territoire français.
01:30Ça, c'est le point de départ. Leur réaction devant cette arrestation, eh bien, Alger décide de chasser, donc, 12 agents consulaires, 12 diplomates au sens large,
01:42en disant, vous devez, vous avez 48 heures pour repartir en France, vous n'êtes plus les bienvenus en Algérie.
01:48Ce n'est pas rien, hein?
01:49Ce n'est pas un détail. Et là, j'ajoute une chose, on comprend assez rapidement que plusieurs de ces agents consulaires, sinon tous, ça reste à préciser,
01:58sont en lien avec Bruno Retailleau, donc, qui sont liés au ministère de l'Intérieur, dans l'esprit du régime algérien, sa vie ensemble.
02:05Et là, il s'agit d'une forme de frappe collective contre la France, ciblée contre un personnage, Bruno Retailleau,
02:12contre lequel le régime algérien mène une guerre personnelle, avec l'intention non seulement de le déstabiliser,
02:19mais probablement de le chasser du gouvernement, ce qu'en d'autres circonstances, on pourrait peut-être nommer une ingérence étrangère
02:25ou un comportement franchement agressif de la part du régime algérien contre la France.
02:29Alors, il y a une trame de fond derrière ça. On pourrait dire qu'entre l'Algérie et la France, depuis, l'indépendance, ça ne s'est jamais bien passé.
02:36Je pense que le point de départ, c'est que c'est une indépendance qui ne s'est jamais, qui n'a jamais réussi du côté de l'Algérie.
02:42Le régime algérien s'est constitué sur le procès permanent de la France.
02:46Ensuite, il y a eu des périodes d'accalmie, des périodes où c'était moins pire,
02:49mais ces dernières années, on a réactivé les fondamentaux du nationalisme algérien antifrançais,
02:55et le régime fonctionne sur cette diabolisation. Ça, c'est la longue histoire.
02:59Il y a la question du Sahara occidental, dont on a beaucoup parlé ces derniers temps.
03:03C'est un autre élément qui a contribué au refroidissement des relations.
03:08Il y a la question des OQTF, qui est absolument centrale.
03:10La France dit « Vous avez des gens, vous devez les reprendre, ils sont à vous ».
03:14Et l'Algérie dit « Non, merci, on ne veut pas vous les garder ».
03:17C'est objectivement un geste agressif, hostile de la part de l'Algérie à l'endroit de la France.
03:22Contrairement aux droits.
03:23Exactement.
03:23Et il y a la séquence « Boilem sans salle », où on a un régime qui décide de transformer
03:27un des grands écrivains de notre temps en prisonnier politique
03:30pour sanctionner, en fait, une certaine idée de la littérature, de la liberté, de la France.
03:35Donc ça, on voit, c'est une série d'événements qui s'enchaînent les uns les autres.
03:40J'ajoute une chose, et ce n'est pas un détail.
03:43Le régime algérien, chaque fois frappe, et chaque fois les élites françaises cherchent
03:46à dire « Non, mais ce n'est pas si grave que ça, finalement.
03:49Oui, c'est désagréable, mais il y a moyen de s'entendre, il y a moyen de retrouver une
03:52bonne relation.
03:53Il suffirait de peu pour corriger cette histoire qui pourrait être une histoire d'amour. »
03:58Donc on est devant un régime qui cherche à humilier la France, qui cherche à frapper
04:01la France, qui cherche à casser la France.
04:02Et de l'autre côté, une classe politique française qui est sidérée et qui pense
04:07toujours que c'est un peu de sa faute, finalement, si le régime algérien se comporte ainsi
04:10et qu'il faut toujours neutraliser ou passer sous silence ou traiter comme des faits divers
04:15diplomatiques cette relation conflictuelle inscrite ouvertement sur le signe de l'hostilité
04:20à tout le moins du côté du régime algérien.
04:22Alors la question qu'on peut se poser, c'est comment expliquer, je crois que c'est la question
04:26que beaucoup de gens se posent, comment expliquer que la classe politique française,
04:29les élites françaises, ne comprennent pas la nature fondamentalement conflictuelle
04:34du rapport avec l'Algérie.
04:36Alors là, il y a différentes hypothèses.
04:38Comment peuvent-elles croire que tout peut se résoudre rapidement?
04:41Hypothèse personnelle 1, Emmanuel Macron peut croire...
04:44Rapidement et calmement, sereinement.
04:46Oui, puis tout serait réglé.
04:47Puis finalement, ce serait un immense moment d'incompréhension qui pourrait se dissoudre
04:51dans les retrouvailles fraternelles des Méditerranéens du Nord et du Sud.
04:56Bon, sans que ça ne fonctionne pas vraiment comme ça.
04:59Emmanuel Macron peut, dans les circonstances, on dit que c'est un homme qui est convaincu
05:02de son charme personnel, je ne conteste pas, je devine que c'est un homme tout à fait
05:06charismatique.
05:06Assez de gens nous l'ont dit pour qu'on le croit.
05:08Donc il croit qu'il peut, en personnalisant la relation avec Théboun, dire un instant,
05:13je sais, il y a des troubles faites un peu partout, mais vous et moi, on va se comprendre,
05:16vous et moi, on est des hommes d'exception, vous et moi, on va restaurer cette relation
05:20et on va dissoudre le conflit.
05:22Mais il se trouve que la technique de charme, finalement, ne fonctionne pas toujours au-delà
05:25de la rencontre.
05:27Premier élément.
05:28Deuxième élément, une partie de la classe politique française croit manifestement
05:31que les Algériens, en fait le régime algérien, a intérêt à avoir une relation apaisée
05:36avec la France.
05:37Ce que nous sommes de point de vue occidental normal.
05:39On a tout intérêt à ne pas être en guerre, vous et moi, en général, dans la vie.
05:43Mais on oublie que l'hostilité envers la France, je le disais, est un des fondamentaux
05:48du régime algérien.
05:49Donc, dès lors qu'il y a une insatisfaction intérieure, et par ailleurs, il y a des
05:53griefs qui remontent à une forme de mémoire anticoloniale mal digérée, ça remonte toujours
05:59à la surface.
06:00Donc, le régime algérien n'a pas intérêt à avoir des rapports apaisés avec la France,
06:05d'autant qu'il est dans une logique de revanche historique.
06:07Le régime algérien veut casser la France et on ne parvient pas à le comprendre.
06:12Nous croyons aussi, c'est une forme de logique économique commerciale, qu'on a intérêt
06:17à avoir de bons intérêts l'un et l'autre.
06:18Donc, globalement, mieux on s'entend et plus on fait du commerce, plus ça s'entend bien,
06:22moins il y a de conflits.
06:23Mais encore une fois, on n'est pas devant un régime qui fonctionne simplement en termes
06:25de logique commerciale classique.
06:27On est dans un régime qui est dans une logique revancharde à l'échelle de l'histoire,
06:30revanchiste même.
06:32Il y a la conscience coloniale trouble.
06:33En France, les élites françaises tardent à comprendre, je crois, en fait tardent à se
06:38délivrer du syndrome post-colonial où la France doit s'excuser au monde entier
06:42du mal qu'il lui aurait fait.
06:43Dernière étape en date, qui n'est pas en Algérie, c'est avec Haïti.
06:48Alors, le président de la République, Emmanuel Macron, voulait, je pense que c'était la
06:51semaine passée, on l'apprenait, commencer une forme de rituel de repentance coloniale
06:56à l'endroit d'Haïti.
06:58Bon, ben d'accord, c'était nécessaire dans les circonstances.
07:00Il fallait en rajouter une couche dans la culpabilité post-coloniale, qu'importe.
07:04Et ensuite, il y a probablement une difficulté très particulière.
07:07La France peine à assumer un rapport de force durable avec l'Algérie.
07:11Pourquoi ? Parce que lorsqu'elle assume un rapport de force en disant, vous voulez
07:15que ça se joue comme ça, on va le jouer comme ça, rapport de force, on verra qui
07:18gagnera.
07:19Elle a l'impression de reproduire le rapport de force coloniale d'autrefois dont
07:22elle a voulu se délivrer à tout prix.
07:24Donc, en dernière instance, plutôt que de répliquer lorsqu'on la gifle et on la
07:27frappe, elle préfère se menotter en disant, serrons-nous les mains, les deux mains à
07:30la fois comme ça.
07:31Vous l'avez mentionné, Bruno Retailleau est la cible en fait en ce moment du régime algérien.
07:36Il faut le voir.
07:37Là, Bruno Retailleau, qu'est-ce qu'on lui reproche ?
07:40On lui reproche de ne pas accepter ce que je viens de décrire, c'est-à-dire une philosophie
07:44d'aplatissement devant le régime algérien.
07:46Il dit, ça ne fonctionne pas, il faut un rapport de force, le rapport de force, nous
07:50l'exercerons.
07:51Alors, il est ministre de l'Intérieur, il n'est pas ministre des Affaires étrangères,
07:54il n'est pas Premier ministre, il n'est pas président de la République, donc il le
07:56fait à son niveau.
07:57Il dit, je...
07:58Donc, sa manière de pratiquer la riposte graduée consiste à toujours placer la question
08:03algérienne au cœur du jeu politique.
08:04C'est quand certains ministres importants, responsables de ces questions, cherchent à
08:07la neutraliser, noyer le poisson, dire que ça ne compte pas vraiment, à nous dire
08:11que finalement, ça va bien.
08:12Et Bruno Retailleau dit, non, non, ça ne va pas.
08:14Donc, j'en viens par comprendre que la riposte graduée, quand on est ministre de l'Intérieur,
08:18c'est d'empêcher ceux qui voudraient neutraliser le problème algérien, eh bien les empêcher
08:23de le neutraliser médiatiquement et toujours replacer la question algérienne au cœur du débat
08:28politique.
08:28Et on ne pardonne pas ça à Bruno Retailleau, et de ce point de vue, le régime algérien
08:33cherche à le dégommer politiquement.
08:36Il y a un autre élément là-dedans, je pense que Bruno Retailleau est conscient du fait
08:40que le régime algérien a les moyens aujourd'hui d'avoir une politique de déstabilisation intérieure
08:46de la France.
08:47Le régime algérien a les moyens de déstabiliser la France et on ne veut pas se l'avouer.
08:52Pourquoi le régime algérien a ses moyens?
08:54Mais tout simplement parce qu'il a les avantages d'une politique diasporique.
08:57Ça, en fait, je dis ça, j'ai l'impression de dire 2 plus 2 égale 4, mais puisque
09:00tout le régime nous a dit que 2 plus 2 égale 5 pendant des années, pour ne pas dire
09:03des décennies, on est obligé de leur dire.
09:06Quand vous avez, dans un autre pays, une partie de population qui est originaire de
09:10chez vous et qui globalement demeure liée par les liens de la mémoire, de l'identité,
09:13de la culture, de la famille, du lien civilisationnel, au pays d'origine, donc, bon, être
09:19installé, avoir les papiers, l'administration, la nationalité juridique, fondamentalement,
09:23le cœur n'y est pas toujours, mais vous avez un moyen d'emprise, de manipulation
09:27sur un pays.
09:28Donc, globalement, la Turquie avec les Turcs en Allemagne, on le voit régulièrement,
09:32la Turquie a les moyens de mobiliser les Turcs en Allemagne à l'avantage à Turquie.
09:36Mais ce qu'on voit, la Chine, la Chine aujourd'hui dans le monde, on l'a vu, la Chine avec le
09:39Canada, on l'a vu, la Chine cherche à orienter la politique intérieure et étrangère
09:43canadienne en misant sur ses ressortissants chinois qui sont au Canada, chinois ou d'origine
09:48chinoise. De la même manière, le régime algérien cherche à piloter à son avantage
09:53sur le mode, quelquefois, de la déstabilisation programmée, la population, une partie de la
09:58population, pas tous, évidemment, une partie de la population d'origine algérienne ou
10:02algérienne en France. Et je constate, je considère que le régime français, le gouvernement
10:08français prend cette peur au sérieux. La peur de la révolte des banlieues, c'est
10:13l'autre manière de dire la même chose. Nous avons des populations qui toujours peuvent
10:16exploser, croient certains, et cette possible explosion de colère, de ressentiment, pour
10:21trouver l'explication que vous souhaitez, eh bien, ça peut déstabiliser la France.
10:24Donc, tout le monde a le même diagnostic.
10:27Et anesthésie la France.
10:28Absolument, qui anesthésie la France, c'est qu'il l'empêche de défendre ses propres
10:31intérêts. Je pense que la déclaration d'Emmanuel Macron la semaine dernière sur l'État
10:35palestinien n'est peut-être pas sans lien avec le fait qu'il adapte, d'autres le font,
10:40la Grande-Bretagne aussi, il adapte peut-être, peut-être, la politique étrangère
10:43française à la nouvelle donne démographique française.
10:46Il faut, à tout le moins, considérer cette option.
10:49Par ailleurs, on ne doit pas sous-estimer à quel point le changement de population,
10:52dont on parle souvent, entraîne un changement de peuple, un changement de civilisation,
10:56et que le régime européen, cette fois, travaille à cette forme de rééducation pour nous
11:00amener à consentir à l'islamisation joyeuse.
11:04On en a parlé récemment dans le JDD, un article intéressant sur ce qu'on appelle
11:08le Coran européen. Le Coran européen, donc, c'est une volonté, donc c'est dans le cadre
11:12de projets pour faire progresser la connaissance scientifique en Europe. Donc, on a dit 10 millions
11:16d'euros pour convaincre que le Coran est au cœur de l'identité européenne depuis,
11:21si je comprends bien, le XIIe siècle. Alors, c'est intéressant, donc, le régime européen
11:25cherche à islamiser la conscience collective des Européens, à les amener à consentir
11:30au fait que l'islam est présent ici depuis toujours, qu'il ne s'agit pas d'une civilisation,
11:34d'une religion étrangère à accueillir sous le signe de l'hospitalité, mais néanmoins
11:38de civilisation étrangère. Donc, le régime européiste, lui-même, plutôt que d'assumer
11:42le possible choc des civilisations dont on parle souvent, cherche, dans les faits, à
11:46rééduquer la population pour l'amener à accepter durablement ce basculement démographique
11:51qui est aussi un basculement d'identité, qui est aussi un basculement de civilisation.
11:54Le programme dont je vous parle, découvrir comment le Coran a influencé la culture et
12:00la religion en Europe entre 1150 et 1850. Donc, qu'est-ce qu'on voit à travers ça?
12:05C'est un choc des civilisations qui est intériorisé. Donc, quand on cherche à
12:09penser le conflit France-Algérie, ce n'est pas simplement un conflit entre deux États
12:13ou entre deux gouvernements, c'est entre deux États qui incarnent presque deux civilisations,
12:18deux mondes différents, et c'est le vieux choc entre le Nord et le Sud qui se reproduit
12:22dans cet affrontement de deux États. De ce point de vue, il ne suffira pas de quelques
12:25sourires pour régler le problème.
12:27Êtes-vous en train de nous dire qu'il n'y a pas de réconciliation possible avec l'Algérie?
12:31En gros, oui. C'est-à-dire qu'on peut souhaiter des rapports pacifiés, des rapports
12:36cordiaux, on peut souhaiter des rapports pragmatiques, mais la réconciliation tant
12:41inspirée, je ne la vois pas parce qu'il y a une raison, c'est une forme de pessimisme
12:44probablement. Mais le conflit entre l'Orient et l'Occident structure l'histoire du monde
12:48en quelque sorte. Le conflit relatif entre le Nord et le Sud dans le rapport à la Méditerranée
12:52structure l'histoire de l'Europe et du Sud de la Méditerranée. C'est inscrit dans la
12:59profondeur des siècles. Et de ce point de vue, si nous avions le sens de l'histoire,
13:03et je termine avec cela, si on considère un jour non plus la colonisation seulement
13:07comme un moment de l'histoire européenne, coupable apparemment, mais la colonisation
13:11comme une constante dans l'histoire de toutes les civilisations qui ont tendance à s'étendre
13:15sur un territoire qui n'est pas leur pour imposer leur mœurs, leur population, leurs
13:19normes, leurs cultures, leurs religions, on pourrait dire qu'aujourd'hui, à la lumière
13:21de l'histoire, c'est peut-être l'Europe qui est une terre colonisée.