En 1965, quand l'écrivain Georges Perec observait déjà les travers de la société de consommation... #tbt
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00:00Nous sommes dans une société de consommation, et nous consommons beaucoup, et il y a de plus en plus d'appels.
00:07Et nous sommes très motivés. Enfin, j'ai fait des études de motivation, j'ai fait un peu de sociologie sur le terrain,
00:15en allant interviewer les gens, en leur demandant qu'est-ce qu'ils pensaient de la vie, qu'est-ce qu'ils pensaient de leurs matelas,
00:19qu'est-ce qu'ils pensaient de leurs chaussures, de leurs machines à laver.
00:22Et toujours, on sent qu'il y a une espèce d'aspiration vers le mieux-être.
00:28Étant donné que ça s'accompagne de tas de frustrations et de tas de contradictions, et qu'en même temps il faut travailler,
00:35et qu'on ne peut pas avoir cette espèce de liberté.
00:38Si vous voulez, quand on ouvre un journal d'ameublement, on voit un appartement absolument somptueux, gigantesque,
00:47avec des divans de cuir, avec des moquettes, et on a l'impression qu'on pourrait vivre là-dedans, que ce serait absolument idyllique.
00:54Mais les gens qui possèdent cet appartement travaillent, ont des responsabilités, ont de l'argent.
01:00Mais, si vous voulez, moi, qui n'ai pas tous ces... je peux très bien y rêver, je peux très bien en avoir envie quand même.
01:08Puis savoir que pour avoir cet appartement, il faudrait que vous travailliez à un tel point que c'est abandonner votre liberté, c'est ça.
01:13C'est la contradiction.
01:15Oui, la contradiction, elle me semble, quand j'y réfléchis, d'ailleurs je dis dans mon livre que c'est un concept qui n'est pas très rigoureux,
01:22l'opposition entre le travail et la liberté.
01:24Mais néanmoins, c'est comme ça qu'on le ressent.
01:27C'est pas très rigoureux parce qu'en fait, je sais pas s'il y a autre chose.
01:33Il y a d'être un travail qui n'est pas esclavage, par exemple.
01:38Mais on peut très bien, et surtout quand on est étudiant, quand on a été étudiant pendant 5-6 ans,
01:43s'apercevoir que d'un seul coup on va tomber dans des horaires et dans des obligations de se trouver tous les jours au même endroit.
01:49Eh bien, on peut avoir un moment de recul, on peut se dérober, essayer de vouloir continuer.
01:57Votre livre, c'est aussi une critique d'un certain langage publicitaire.
02:01Au fond, je crois que vos personnages, ce qui est important pour eux, c'est moins le désir ou le besoin qu'ils ont de ces objets
02:08que l'idée qu'ils font de ces objets à travers, disons, une certaine mythologie telle qu'elle existe dans la presse en nous parlant.
02:15Oui, c'est exactement comme ça que j'ai travaillé.
02:18C'est-à-dire que ce qui est important, ce n'est pas que les objets que je décris soient beaux ou pas beaux.
02:24Utiles ou pas utiles.
02:25Utiles ou pas utiles.
02:26C'est que le langage qu'ils expriment soit signifiant ou pas.
02:31Voilà un exemple.
02:33Je peux vous donner deux exemples, si vous voulez.
02:35Le premier, c'est, par exemple, que toute la description du début, la description de cet appartement de rêve,
02:41si on essaye de faire le plan exact, on s'aperçoit que c'est un appartement horriblement encombré, très laid.
02:47Simplement, c'est une espèce d'accumulation.
02:50C'est un jeu sur l'accumulation et sur la richesse, sur l'abondance.
02:54Un autre exemple, par exemple, enfin, un autre exemple, c'est la différence qu'il y a entre un pantalon de velours.
03:03Le pantalon de velours, c'est ce qui signifie la bohème, à un certain moment.
03:07Le pantalon de velours et col roulé, c'est une espèce, on voit tout de suite Saint-Germain-des-Prés, enfin, dans un café.
03:12Et puis, cinq lignes plus bas, j'ai trouvé un pantalon de velours côtelé.
03:16Et il était devenu signe de campagne, signe de vie confortable.
03:21Alors, dans le premier cas, on le refuse, on le rejette.
03:24Dans le premier cas, on le rejette parce qu'il est signe négatif.
03:27Et dans le second, il prend une saveur campagnable.
03:32Il s'accompagne de cheminées.
03:34En somme, j'ai pris tout le langage de la publicité, c'est-à-dire à travers les journaux de mode, d'ameublement, à travers Madame Express.
03:42Et j'ai essayé d'avoir une... d'en assimiler la saveur, l'expression, l'expressivité, et puis de la rejeter.
03:50De montrer pourquoi les poutres apparentes, c'est le mot poutre apparente d'abord.
03:55Et ce n'est finalement que ça.
03:57C'est ce qui fait que notre goût est entièrement transformé en mythologie.