On connait leur visage, leur analyse, leur voix, mais les connait-on vraiment ? Quel a été leur parcours, leur formation, quelles épreuves ont-ils du dépasser pour exercer leur magistère ? Quelles sont leurs sources d'inspiration, leur jardin secret ? Une fois par semaine, Rebecca Fitoussi reçoit sur son plateau des personnalités pour un échange approfondi, explorer leur monde et mieux apprécier le regard qu'ils et qu'elles portent sur notre société. Ils, elles, sont artistes, scientifiques, historiens, universitaires, chefs de restaurants, associatifs, photographes, ou encore politiques.
Une collection de grands entretiens inspirante dans un monde en manque de repères et de modèles. Année de Production : 2023
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00:00SOUS-TITRAGE SOUS-TITRAGE
00:02Générique
00:04...
00:22Il va m'être difficile de définir mon invitée de façon catégorique
00:26car elle déteste être enfermée dans une case,
00:29dans un genre, dans une origine, dans une culture.
00:32Je suis un individu avant d'appartenir à un sexe
00:35ou d'être née à Téhéran, dit-elle.
00:37Soit. Je vais tout de même me risquer à dire qu'elle est une intellectuelle
00:40qui participe activement aux débats publics
00:42à travers des chroniques, des documentaires, des essais.
00:45Roménie, ça a des mois, éloge du Métec, laïcité, j'écris ton nom.
00:49Voilà qui va peut-être vous aider à la situer sans la figer pour autant.
00:53Et puis, il y a ses romans, Les exilés meurent aussi d'amour,
00:56j'ai pêché, pêché dans le plaisir.
00:59Notre invitée a donc accédé à son rêve de petite fille
01:02qui n'a pourtant pas parlé français avant l'âge de 8 ans.
01:05Elle est devenue une femme écrivain en France.
01:08Je ne dirais pas écrivaine, pour ne pas la fâcher.
01:11Et c'est riche de ce parcours atypique, riche de son histoire
01:14et de ses choix, de ses lectures et de ses rencontres,
01:17qu'elle apporte aujourd'hui un regard détonnant et stimulant
01:20sur notre démocratie bousculée.
01:22Elle qui a connu les ravages de l'athéocratie,
01:25elle qui a défié les molas,
01:26elle qui a arraché le voile qu'on imposait et qu'on impose encore
01:29aux femmes iraniennes.
01:30Comment analyse-t-elle l'évolution de notre société ?
01:34Sommes-nous tellement habitués à la liberté
01:36que nous en aurions perdu de vue la valeur et la fragilité ?
01:40Les habitants du vieux continent ont-ils la mémoire un peu courte ?
01:43Posons-lui toutes ces questions.
01:45Bienvenue dans Un moment d'un regard.
01:46Bienvenue à vous, Abnous Chalmani.
01:48Merci d'avoir accepté notre invitation ici au Sénat,
01:50au Dôme Tournon, journaliste, réalisatrice, écrivain.
01:54Ca vous va comme présentation ? Je ne vous ai pas trop enfermée ?
01:57Non, ça va. Et puis, à un moment, il faut accepter,
01:59quand on écrit des livres, on finit à un moment,
02:01on paraît être enfermée du fait du choix des sujets,
02:04du fait de, j'espère, un style, donc c'est inévitable.
02:08Mais tant que je reste un individu avant d'être un sexe
02:11et avant d'être néaterran, ça va.
02:13Je disais que vous détestiez qu'on vous enferme dans vos origines
02:16et pour cause, vous dites, la Révolution française
02:18a libéré les citoyens de la prison de la naissance.
02:20Je refuse d'être prisonnière de ma naissance,
02:22je veux être le résultat de mes choix
02:25et pas seulement l'addition des choix de mon ascendance.
02:27Je ne veux pas être coincée à domicile.
02:30Mais est-ce que, finalement, même nos choix ne sont pas intimement liés,
02:33tout de même, à notre naissance, à nos origines ?
02:35Oui, inévitablement, puisque ces choix que j'ai faits,
02:39j'ai pu les faire parce que j'ai eu le père que j'ai eu,
02:42parce que j'ai eu l'éducation que j'ai eue.
02:44Mais c'est une chance.
02:48C'est une chance dont j'ai appris à bénéficier,
02:51où j'ai joué mes cartes.
02:53Mais il n'empêche que...
02:56C'est vrai, mes parents ont coupé les liens
02:59avec la communauté iranienne quand on est arrivés en France,
03:01en partant du principe que, maintenant, on était en France,
03:04donc il ne servait à rien de vivre dans Little Téhéran,
03:06que c'était réduire les enfants,
03:08qu'à partir de 1985, notre arrivée...
03:12Et ça, évidemment que ce n'est pas mon choix,
03:14c'est celui de mes parents dont j'ai bénéficié.
03:16Mais je pense que nous avons fréquenté, à peu près,
03:19toutes les nationalités et les origines possibles et imaginables,
03:22sauf la famille, sauf la communauté iranienne.
03:26Et que ça, ça a été, effectivement, une chance,
03:30qui fait que je n'ai jamais su me définir autrement que française.
03:34Et comme le français avait toutes les religions et toutes les couleurs,
03:38je trouvais que c'était assez ouvert
03:40pour, effectivement, faire honneur à la Révolution française.
03:43Vous vous êtes tout de même parfois définie en tant que métèque heureuse.
03:47Êtes-vous toujours une métèque heureuse en France ?
03:49Je ne peux pas... J'essaye...
03:51Je crois que c'est pour fuir mon origine drama queen iranienne,
03:55mais j'essaye de fuir le malheur
03:59et de toujours avoir... d'opposer un rire à toute forme de tragédie.
04:03Mais métèque, oui, parce que j'aime bien...
04:05Le métèque, c'est, à la base, une définition juridique.
04:08Le métèque est celui qui vit là où il n'est pas né.
04:11C'est ainsi qu'il était défini dans la Grèce antique.
04:15Aristote était un métèque,
04:17ce qui ne l'a pas empêché d'être le précepteur d'Alexandre.
04:20Il a fini exilé de ce statut de métèque,
04:23donc il réunit tout, la réussite du métèque et l'ostracisme du métèque.
04:27Donc, c'est une lignée qui me va.
04:30Le métèque, c'est aussi Martin Eden, le personnage de Jack London.
04:33C'est un métèque de l'intérieur. C'est quelqu'un qui s'approprie.
04:36Moi, aujourd'hui, c'est extrêmement mal vu,
04:38mais j'ai l'impression d'être une vagabonde,
04:41de m'être appropriée ce qui ne m'était pas destinée à l'origine.
04:44Donc, j'ai pris ce que j'avais envie de prendre,
04:46ce qui m'excitait, ce qui me plaisait intellectuellement, esthétiquement.
04:50Et voilà, je suis une sorte de monstre imparfait,
04:55fait de morceaux disparates,
04:57mais au moins, il y a cette liberté qui fait que, oui,
05:00je m'accroche à cette figure du métèque,
05:04vagabonde, libre et qui prend ce qu'il veut prendre.
05:08– Quand vous avez obtenu la nationalité française,
05:10vers l'âge de 30 ans, je crois, vous avez ressenti une grande fierté ?
05:13Vous étiez notamment très heureuse de pouvoir voter,
05:16et je crois que vous n'avez pas trouvé beaucoup d'amis français
05:19pour fêter ça avec vous, vous êtes plutôt tournée vers d'autres amis.
05:23Pourquoi, d'après vous, est-ce que vous avez le sentiment
05:24que les citoyens français sont un peu blasés
05:27par des libertés qu'ils pensent acquises,
05:30qu'ils sont persuadés d'être définitives ?
05:34– C'est peut-être, c'est ça, peut-être,
05:37ma grande tristesse et mon grand désespoir,
05:40mais je pense qu'au-delà des Français, c'est tout l'Occident.
05:43C'est l'Occident qui est en crise, en espèce d'étape de vomition
05:46vis-à-vis de son histoire, de sa culture,
05:49car quand même, si elle a fait la colonisation,
05:52elle a aussi, dans ses universités hébergées,
05:57et ceux qui allaient faire la décolonisation,
06:00elle a créé l'esclavage,
06:03mais elle a aussi créé l'abolition de l'esclavage,
06:05donc c'est quand même une culture dont on devrait être fier,
06:09poison et anti-poison, ce qui n'est pas le cas.
06:12Loin de là, de toutes les cultures,
06:14c'est une culture qui se remet en question,
06:16donc je trouve que c'est quand même, on y est bien,
06:19puisqu'on y a des outils, on a l'esprit critique,
06:22on a la remise en cause permanente,
06:24je trouve que c'est quand même lourin du paradis,
06:28mais l'Occident vit cette espèce de crise d'état de détestation de lui-même,
06:33et c'est vrai qu'au moment de ma nationalité, on est en 2009,
06:37et c'est avec des METEC, d'autres METEC, que j'ai fêté ça,
06:41parce qu'il y avait une sorte de...
06:42Ah, en plus, t'es fière ?
06:43Bah oui, déjà parce que je peux voter,
06:45c'est vrai qu'il y avait, à chaque élection,
06:48je disais, oh là là, mais en plus, j'avais fait plusieurs fois la demande,
06:50mais elle aboutit jamais,
06:51parce que c'est quand même un parcours, il faut rassembler des documents,
06:54je n'ai pas exactement une grande passion dans ma vie,
06:55je préférais lire ou écrire, et à chaque fois, je reculais,
06:58mais mes parents étaient Français, eux, depuis 1999,
07:02et ils rigolaient de mon frère et moi,
07:04qui étions encore des étrangers à leur table,
07:06donc c'est toujours quelque chose qui m'a surprise,
07:10et c'est ça que je reproche, quelque part, à ma famille, qui est à la gauche,
07:14c'est d'avoir abandonné l'amour de la patrie, le patriotisme,
07:18moi, je suis tout à fait dans le camp de Romain Garry,
07:21le patriotisme, c'est l'amour des siens,
07:23le nationalisme, c'est la haine des autres,
07:25et ça, là-dessus, je crois que j'ai choisi mon camp,
07:27c'est d'avoir abandonné le patriotisme,
07:29l'amour de la culture française aux extrêmes droites,
07:33et à la droite, d'avoir peut-être pas assez retrouvé les gammes,
07:38justement, de cet amour d'une culture,
07:42d'un savoir-vivre, d'un savoir-penser,
07:45et de le réduire de plus en plus à une lutte identitaire,
07:49qui est justement ce qui tue,
07:51ce qui fait l'essence même de la culture occidentale,
07:53qui est la liberté et l'ouverture.
07:55– Et vous qui ne loupez jamais une élection en France,
07:59que ressentez-vous, que ressent l'électrice française que vous êtes,
08:02au lendemain de ces législatives historiques ?
08:05– Ce qui me désespère, c'est-à-dire que moi,
08:08je suis pour l'excentricité, la folie, l'excès en littérature, en art,
08:15même dans la personnalité, dans une certaine manière du pas de côté, etc.
08:20Je trouve que le seul endroit où je pense qu'il faut éviter l'extrême,
08:25c'est bien évidemment la politique,
08:27pour justement, s'il n'y a pas d'extrême en politique,
08:30c'est ce qui permet à l'art, à la littérature, à la peinture,
08:33d'être absolument excessif et extrême.
08:36C'est quand la politique devient extrême que les interdits s'installent.
08:41Et évidemment que je suis, j'allais dire, être du XXème siècle,
08:46je suis absolument affolée de voir le choix se rétrécir entre des extrêmes.
08:50Moi, je suis de ce camp-là,
08:53même si beaucoup de gens ne l'apprécient pas, tant pis pour eux,
08:56mais je suis dans le camp de, effectivement,
08:58ni Rassemblement National, ni France Insoumise.
09:01Et je pense profondément qu'on n'arrête pas de combattre,
09:05ne serait-ce que quelques jours, contre l'antisémitisme,
09:08pour combattre le national-socialisme,
09:11pour une seule et unique raison, c'est qu'on signe un blanc-seing au racisme.
09:14Et qu'à la fin de l'histoire, on aura et l'antisémitisme, et le racisme,
09:19et qu'on aura perdu sur les deux plans,
09:22c'est l'antisémitisme et le moule du racisme.
09:25Donc on ne peut pas suspendre la lutte contre l'un
09:28en espérant échapper à l'autre.
09:30L'autre est déjà en train de sonner à la porte
09:32quand on n'a pas fini de planquer l'autre dans les draps.
09:35Je trouve ça dramatique, c'est ça qui m'angoisse.
09:38La bonne nouvelle de ces élections, c'est pas la participation ?
09:41On parle d'une démocratie fatiguée, elle ne l'est pas tant que ça ?
09:45Alors, moi, je suis toujours joyeuse de voir que les gens exercent leur droit.
09:50Je vois bien que mes parents, qui n'ont pas voté pendant des années,
09:53qui, en Iran, étaient quand même coincés dans leurs votes,
09:56c'était des faux votes, c'était des votes par défaut,
10:00quand je vois à chaque fois la joie de mes parents,
10:02malades, pas malades, Covid ou pas Covid,
10:05d'aller voter, c'est aussi une éducation,
10:07donc ça ne peut que me réjouir.
10:09Mais de me dire que pour faire réagir les gens,
10:12c'est peut-être ça, ce côté endormi de la démocratie,
10:14il faut leur foutre des claques à les retours,
10:17ça me désole un peu,
10:18parce que si on s'était auto-foutu ces claques
10:20et on s'était rendu compte de l'importance du politique
10:23avant d'en arriver là, peut-être qu'on n'en serait pas là
10:25et que le choix n'aurait pas été rétréci à ce point-là.
10:28– J'ai une archive à vous proposer, Abnochel Mani,
10:30je vais vous la confier, mais je vais évidemment la lire
10:32et la décrypter pour les gens qui nous écoutent,
10:34c'est une archive qui vient de nos partenaires,
10:35les archives nationales,
10:37il s'agit d'une dépêche AFP, un urgent,
10:39comme on dit dans le métier,
10:40elle date du 1er février 1979
10:43et annonce le retour sur un vol Air France
10:45de l'Ayatollah Khomeini en Iran,
10:47de retour dans son pays après la révolution islamique,
10:50mais surtout après un exil au pays des libertés.
10:53En France, à Naufle-le-Château, dans les Yvelines,
10:56où il est resté quatre mois, entre octobre 1978 et janvier 1979,
11:01juste avant de rentrer à Téhéran pour renverser le Shah.
11:05À l'époque, il est soutenu par des intellectuels français,
11:07Jean-Paul Sartre ou Michel Foucault,
11:09pour qui il est le représentant de la résistance à l'impérialisme
11:12qui avait installé le Shah d'Iran.
11:15La gauche était fascinée par ce personnage.
11:17Quelle lecture vous faites de ce document
11:19à la lueur de ce qui se passe aujourd'hui ?
11:21– D'abord, c'est assez rare, mais j'y ai été,
11:23pas à l'aéroport, mais c'est très étrange,
11:26j'ai un rapport très...
11:28Sans Khomeini, je ne serais pas qui je suis,
11:31puisque je pense qu'il y a quand même une construction intellectuelle,
11:36je vais dire jusqu'à même physique, esthétique, contre Khomeini,
11:41qu'on a une date en commun, que je lui pardonnerai jamais,
11:44c'est que je suis née le 1er avril,
11:46et que le référendum qui a enterriné son arrivée au pouvoir
11:50est du 1er avril 1979.
11:52Donc, j'étais hyper amnésique, je le suis encore,
11:54donc à 2 ans, j'ai un souvenir très précis de cet anniversaire,
11:57où on avait recouvert les fenêtres, d'ailleurs on a bien fait,
12:00parce qu'après, avec l'arrivée de la guerre en Irak,
12:02il fallait recouvrir toutes les fenêtres de noir
12:04pour éviter au moment de la guerre, des villes, les bombardements,
12:07et cet anniversaire, il reste 3 polaroïds
12:11qui, à chaque fois que je les regarde,
12:13me rappellent que le vieux, en noir et blanc,
12:17m'a foutu un pied au cul et m'a enfiré de mon pays d'origine,
12:20ce qui est quand même assez, donc j'ai cette histoire-là,
12:23ce que je vois, c'est que chaque fois que je pense à Roménie,
12:26à Paris, enfin, à Neuf-le-Château, je pense au pommier,
12:29c'est qu'il a suffi d'un barbu qui avait l'air...
12:34qui était quand même assez bel homme, dans ce sens,
12:37dégagé, visiblement.
12:38J'espère qu'il dégageait vraiment un charisme
12:41pour que tout le monde se soit laissé prendre,
12:43et qu'on faisait patienter ces grands intellectuels
12:47le temps qu'ils finissent la prière sous le pommier,
12:49et je me dis, décidément, tout ce qui a pu se passer
12:51sous un pommier dans l'histoire de l'humanité,
12:53Roménie y a participé aussi.
12:56– Et cette fascination de la gauche pour ce personnage ?
12:58– C'est une fascination qui est née d'un anti-impérialisme,
13:01d'un anti-américanisme, qu'on paye encore aujourd'hui,
13:04je veux dire, l'alignement bête, stupide, contre-productif,
13:09meurtrier, suicidaire, sur la Russie de Poutine,
13:12à l'extrême-gauche comme à l'extrême-droite,
13:14il se fait au nom aussi d'un anti-américanisme,
13:16c'est peut-être l'un des pires poisons,
13:19tout anti et tout isme est une tragédie, définitivement,
13:24celui-là en participe, mais ce qui est en plus amusant,
13:27c'est qu'on parle beaucoup de cet exil,
13:28parce que, justement, comme vous l'avez très justement dit,
13:30c'est au pays des droits de l'homme,
13:31et d'avoir vu tous les intellectuels qui comptent
13:34défiler en randonnant devant ce qu'avait s'avérait être
13:37un véritable enfoiré, c'est déjà assez douloureux,
13:39mais son premier exil à Roménie date de 1965,
13:44Roménie en 1965, c'est à la demande du clergé chiite iranien,
13:48auquel il appartient, qui demande au Shah de virer Roménie.
13:52Et pourquoi ? Parce que Roménie, qui a été très mauvais à l'école,
13:54donc je pense qu'il s'est ennuyé, il venait de découvrir Sayyed Koudb.
13:57Sayyed Koudb, c'est l'idéologue des frères musulmans,
14:00donc un sunnite, qui réactivait l'aspect politique de l'islam,
14:07qui n'existe pas dans le schisme.
14:08Dans le schisme, depuis Chah Abbas Ier au XVIe siècle,
14:12il y a eu une séparation de la mosquée et de l'État.
14:15Chah Abbas Ier était extrêmement religieux,
14:20mais justement il avait compris un truc,
14:21c'est quand il fallait un bras de fer avec les Anglais et les Turcs,
14:24il valait mieux éviter d'avoir Dieu sur l'épaule droite.
14:28Donc il s'est débarrassé, il a dit on se sépare,
14:30vous gardez le pouvoir spirituel, je garde le pouvoir politique.
14:33Lors de la révolution, et la date est amusante,
14:36la révolution constitutionnelle en Iran de 1905,
14:38pendant qu'on était en train de voter la laïcité en France,
14:41ce principe de séparation de la mosquée et de l'État
14:44a réété enterriné.
14:45Donc c'est au nom de ce principe-là qu'en 1965,
14:48Rémény est exilé, et où est-il exilé ?
14:50Il est exilé à Najaf, qui est la ville sainte irakienne,
14:54dans laquelle il reste, après c'est la Suisse,
14:55et après c'est la France.
14:56Mais c'est extrêmement intéressant,
14:57c'est que la tendance est de représenter la laïcité
15:02comme un pur produit occidental,
15:05alors que la première séparation officielle,
15:08ça se passait dans la Perse du XVIe siècle.
15:10Vous, vous avez résisté au régime d'Emmola à l'âge de...
15:14J'étais bébé, là.
15:15À l'âge de 6 ans, alors que vous êtes écolière en Iran,
15:19mais l'histoire est incroyable, il faut que je la raconte,
15:21vous vous amusez à enlever le voile, et même beaucoup plus,
15:23puisque vous vous promenez les fesses à l'air
15:25dans la cour de récréation, et vous dites
15:28« Mon cul nu était l'insulte suprême, la révolte absolue.
15:31Si tout le monde s'était foutu à poil, Rémény aurait cédé. »
15:35Qu'est-ce qui vous faisait agir ainsi ?
15:37Comment on peut être résistante à 6 ans ?
15:39Je crois que ça a été encore, c'est toujours une chance,
15:41une histoire de chance et d'opportunité.
15:43C'est étant né dans une famille foutraque, communiste,
15:47où moi, je suis née juste après le décès de ma grand-mère maternelle,
15:52pendant que mon oncle était en prison pour communisme aigu.
15:56Donc je suis arrivée comme étant le seul signe de la joie.
16:00Et je pense qu'on m'a laissée pousser volontairement
16:04comme une herbe folle, donc je crois que ça a très bien marché.
16:07Et quand les barbus et les corbeaux sont arrivés,
16:12je pense que c'était trop tard.
16:14Comme dirait mon père, j'étais déjà foutue.
16:16Il ne pouvait plus rien attirer de cet enfant.
16:18Je ne pouvais pas me tenir.
16:20Et le premier jour d'école, je suis là avec la cagoule,
16:23et en plus, les trois couleurs obligatoires,
16:24bleu marine, noir et gris foncé.
16:27Ma mère avait les couleurs de deuil,
16:29et je ne peux pas mettre des vêtements de deuil à ma fille,
16:32donc elle va elle-même acheter son tissu, un gris clair.
16:35Et je me suis foutue à poil,
16:37mais je me suis foutue à poil comme j'étouffais physiquement.
16:40Et regarder autour de moi et de voir tous ces gens recouverts,
16:44toute cette absence de peau,
16:45donc quelque part, cette absence de vie,
16:48j'en sais rien, mais il y a une connexion cérébrale
16:50qui s'est faite ou pas faite.
16:52Et mon cul nu a traversé la cour,
16:54et les corbeaux avaient la bonne idée de me courir après.
16:57Et à la première qui est tombée par terre,
16:59ma victoire était totale, donc j'ai recommencé jusqu'à la guerre.
17:02Et c'était merveilleux.
17:03J'étais intenable et j'étais le centre de l'attention
17:05et j'avais l'impression, vraiment profondément,
17:07de faire quelque chose d'important.
17:09Même si je me faisais engueuler, enfin, mon père m'engueulait,
17:12je l'entendais rire, mais voilà, c'était une chance et un malheur,
17:16parce que je pense qu'il a enterriné le fait
17:18que mes parents ne pouvaient pas rester vivre sous la molarchie.
17:22– Mais je trouve intéressant que cette rébellion passe par le vêtement,
17:25parce qu'elle passe par le vêtement.
17:26Aujourd'hui, on a ces femmes iraniennes qui se dévoilent,
17:29c'est le mouvement Femmes, Vies, Libertés,
17:32apparu après la mort de Masha Amini,
17:34torturée à mort pour avoir mal porté le voile.
17:37Un an après le début de cette révolution,
17:39les ONG faisaient état de plus de 500 morts,
17:4120 000 arrestations, de multiples exécutions.
17:44Elles n'arrivent pas à faire céder le régime.
17:46Pourtant, on a l'élection d'un homme
17:48qui pourrait apparaître comme un signe d'espoir,
17:50un président réformateur, dit-on, élu le 6 juillet,
17:54Massoud Pezeshkian, réformateur, vraiment ?
17:58– Oh non, c'est une vaste blague, c'est que les Occidentaux,
18:01et j'entends des analystes se faire prendre,
18:04encore une fois, dans la barbe du guide suprême,
18:07ce serait drôle si ce n'était tragique,
18:09c'est que s'il a pu se présenter,
18:11c'est parce que Khamenei voulait qu'il se présente,
18:13donc le guide suprême, celui qui de toute façon a tous les pouvoirs,
18:16il a passé toute la campagne,
18:18Pezeshkian a expliqué que quoi qu'il faisait,
18:21il serait le digne exécutant de la politique
18:25décidée par le grand Alatoya Khamenei,
18:29qui a tellement raté ses études, et il en a répété.
18:33– Donc même dans le vent le voile, elles ne font pas plier le régime,
18:35elles n'y arrivent pas.
18:36– Non, ce qui fera plier le régime, je suis désolée d'être aussi brutale,
18:38c'est Dusson, c'est 45 ans d'une révolution
18:42où les gardiens de la révolution,
18:44et donc la police secrète, politique, militaire,
18:51enfin tout ça, tient tout, tous les aéroports…
18:52– Quand on dit Dusson, c'est une guerre,
18:54ou c'est le financement d'une résistance ?
18:55– Il faut une résistance, il faut des armes, il faut de l'argent,
18:58les gens, en ce moment, l'inflation est officiellement à 40%,
19:01visiblement à 60%, les gens ne mangent pas,
19:04après la mort de Mazamini,
19:06ils ont réussi à mettre le bazar en grève pendant quelques jours,
19:09mais les gens meurent de faim.
19:11Là, Khamenei offre aux démocraties libérales un pseudo-réformateur
19:17dont ils pourront serrer la main sans avoir le sentiment d'avoir les mains sales,
19:21voilà la seule chose qui arrive.
19:22Et ce qui est en train de se passer,
19:23c'est qu'évidemment que les accords vont reprendre,
19:26et qu'ils vont petit à petit vers l'arme nucléaire,
19:28et que rien ne pourra l'empêcher si on continue à négocier
19:31avec ce qui n'est que des Molins, c'est des Molarchies, clairement.
19:36On est en train de se faire avoir,
19:38comme on est en train de se faire avoir depuis 45 ans,
19:40que la Molarchie met à feu et à sang toute la région, la Syrie, l'Irak…
19:43– Est-ce qu'il n'y a pas deux Irans ?
19:44Un Iran des villes et un Iran des campagnes ?
19:46– Non, pas du tout, au moment de Mazamini, c'était clair,
19:48il y a à peu près 20% de la population iranienne,
19:51ville et campagne confondue, qui s'oppose à la Molarchie,
19:55il s'oppose à la Molarchie parce qu'elle n'a pas tenu ses promesses,
19:59parce que les filles sont dorénavant plus éduquées que les garçons,
20:03et qu'elles réclament, et qu'elles ont bien raison de réclamer,
20:07parce que la mixité est devenue indispensable à l'épanouissement,
20:12parce que les femmes ne feront plus des enfants à 23 ans et demi,
20:17mais plus vers 32, 34, 35 ans, parce que l'accès,
20:21grâce cette fois, pour une fois qu'on peut rendre grâce aux réseaux sociaux,
20:24l'accès aux réseaux sociaux, leur a fait se rendre compte
20:27qu'ils étaient aussi armés que l'Occident pour vivre dans cette modernité,
20:33qui a deux vies parallèles, mais qui est la vie des soutiens du régime
20:37qui constitue entre 15 et 20%, et le reste de l'Iran pris en otage
20:41par un régime féodal et moyenâgeux, qui ne fait que nourrir
20:45à la petite cuillère des assassins qui mettent à feu et à sang toute une région,
20:50le Hamas, l'Irak, la Syrie, le Yémen,
20:55chaque fois qu'il y a dans la région, dans le prochain orient,
20:57une goutte de sang qui tombe, il y a un mollah derrière,
21:01ça c'est la réalité.
21:02Donc si on veut régler le problème dans la région,
21:04il faut commencer par régler leur sort au mollah.
21:07– J'ai une question rituelle que je pose à tous mes invités dans cette émission,
21:10à l'allure de celle que vous êtes aujourd'hui,
21:12quel conseil donneriez-vous à la petite fille que vous étiez ?
21:14Qu'est-ce que vous lui diriez avant qu'elle ne se lance dans la vie ?
21:17– T'as bien fait de montrer ton cul.
21:18– Je m'attendais à une réponse.
21:21– Définitivement, je pense que sur le coup, j'étais pas sûre,
21:23mais maintenant, je pense que c'est peut-être l'acte fondateur le plus spontané
21:30et celui qui encore aujourd'hui, où je me dis, bien jouée quand même petite.
21:33– J'ai des photos à vous proposer, Amnoussel Mani,
21:36c'est aussi un rituel dans cette émission.
21:38– Première photo, la voici, c'est la une de The Economist,
21:46je vous vois sourire, fin juin 2024, en pleine élection législative,
21:50montrant par l'image la flambée des scores des extrêmes dont vous parliez,
21:55le blanc du drapeau symbolisant, je crois, le centre,
21:58un centre évanescent peut-être en train de disparaître.
22:00Il est en train de disparaître, le centre, en France ?
22:03– Quand j'ai vu cette image, je me suis dit que définitivement,
22:12j'ai jamais été très aineux vis-à-vis des politiques,
22:15parce que je ne vois pas l'intérêt, mais j'avoue que quelque chose
22:18qui était quand même un peu de l'ordre de la haine m'a titillée
22:21vis-à-vis du Président Emmanuel Macron.
22:22– Ah oui ?
22:23– Ah oui, c'était ni fait ni à faire, je trouve qu'il a plongé le pays
22:28dans un état de panique, de crise de nerfs, de malaise,
22:31que ce n'était pas le moment et effectivement, quand j'ai vu cette image,
22:34j'ai pensé au fait que même un Président peut merder sévèrement.
22:38– Une deuxième photo, j'espère plus légère,
22:42qui va vous inspirer d'autres sentiments.
22:44Il s'agit de l'affiche du film Emmanuel,
22:47remake de la version qui avait fait scandale en 1974,
22:50un film sensuel, érotique, qui mettait en scène une jeune femme
22:55en quête de plaisir.
22:57À l'époque réalisée par un homme, Juste Jeckyn,
23:00aujourd'hui réalisée par une femme, Audrey Diwan,
23:03réalisée par une femme plutôt qu'un homme, pas de différence ?
23:06– Ce genre de considération, non, moi ça me…
23:08Non, j'ai vu, je ne sais pas, quelqu'un comme…
23:11Voilà, ça me vient comme ça, spontanément,
23:13Chambre avec vue, réalisé par James Ivory
23:17et produit par Ismael Merchant, qui est d'origine indienne.
23:21C'est peut-être l'un des plus beaux films sur non seulement l'amour,
23:25en plus avec un ton extrêmement léger, mais tout à fait profond,
23:28avec un personnage féminin qui est joué par Alina Bonham Carter,
23:32qui est… voilà, c'est homme ou pas,
23:36c'est peut-être l'un des plus beaux personnages féminins
23:39en déni et en amour que je n'ai jamais vu,
23:41donc moi je fais absolument…
23:42le sexe ne m'intéresse pas, ce qui m'intéresse c'est l'émotion,
23:46le sentiment et c'est le regard, il n'y a pas besoin de référer
23:50à ce qu'on a entre les jambes pour être capable de regarder
23:52la réalité de l'humain.
23:53– Une dernière photo, il s'agit du premier débat télé
23:59entre Biden et Trump, là aussi je vous vois réagir,
24:02sur le plateau de CNN, la presse a parlé de naufrage pour Biden,
24:06désastre pour le président démocrate qui est apparu à plusieurs reprises,
24:09dépassé, butant sur les mots, incapable de suivre le fil de sa pensée,
24:13c'est ce qu'a écrit Le Monde, Biden était le mauvais cheval,
24:17est le mauvais cheval ?
24:18– Oh, sérieusement, oui, je pense qu'à partir du moment
24:20où elle a commencé à confondre Mitterrand et Macron,
24:24on était quand même mal, et c'est désespérant,
24:28parce que voilà, moi je suis vraiment une libérale sociale de base,
24:31vraiment de base, de base, et le fait que les démocrates
24:37ont continué à soutenir Biden, et en même temps
24:41qu'on était en naufrage aussi en France,
24:44je me dis qu'il y a quelque chose d'extraordinaire à écrire,
24:47peut-être que j'en ferai un essai sur l'aveuglement volontaire,
24:50spectaculaire, suicidaire, globalement de toutes les gauches,
24:54parce que pardon, en face du démocrate, on a Donald Trump
24:59qui quand même, je veux dire, fout les jetons,
25:02il est imprévisible, et là il revient imprévisible, et vengeur.
25:07C'est que c'est Trump d'avant, en pire, préparé,
25:11avec le couteau entre les dents, vraiment sans exagération,
25:14et qu'on n'y oppose pas un homme qui n'arrive pas à finir ses phrases.
25:18Et en plus, il a été un bon président, concrètement, objectivement.
25:24Biden a réagi, j'ai la cinteur de rouille,
25:27qui est celle qui vote Trump, avec, si étrange que ça paraisse,
25:31en refermant les frontières, en rouvrant des industries,
25:35en faisant en sorte que cette ceinture de rouille,
25:37cette Amérique abandonnée économiquement,
25:40qui n'avait plus la valeur travail comme refuge, comme fierté,
25:44la retrouve, et que tout ça soit gâché
25:47par une sorte d'entêtement égotique,
25:50une sorte de peur des démocrates de choisir le mauvais candidat,
25:53mais il est là, le mauvais candidat.
25:55Donc j'ai envie de dire, wake up, il y a peut-être une urgence.
25:58Obama commence à être testé dans les sondages.
26:00On la teste à chaque fois.
26:02Abnous Chalmani, une dernière question en lien avec le lieu où nous sommes.
26:05Nous sommes entourés de quatre statuts qui représentent chacune une vertu.
26:09Il y a la sagesse, la prudence, la justice et l'éloquence.
26:13Avec laquelle de ces vertus avez-vous envie de terminer cette émission ?
26:17Est-ce qu'il y en a une dans laquelle...
26:19Je ne suis pas très vertue, mais bon, ce serait la justice.
26:23Vous avez le droit d'en choisir une autre ?
26:24Non, mais ce serait la justice, parce que je crois que la prudence
26:27n'est pas trop mon truc, pour ça, c'est assez évident.
26:30Je crois qu'on l'a compris.
26:31Je pense que la prise de risque, c'est ce qui prépare le mieux l'avenir.
26:35Peut-être que c'est ça qui nous manque, c'est d'apprendre
26:39de redonner le goût du risque, le goût du pas de côté.
26:43Je pense que vraiment, à chaque fois, ce qui a sauvé le monde,
26:46la liberté, l'amour, ça a toujours été cet art subtil
26:52de faire un petit pas de côté, accompagné de trois petits pas de danse.
26:56Et là, c'est bon. Le paradis est pour nous, toujours.
26:59Le goût du risque comme vertu nouvelle de l'émission Un monde à regard.
27:02Merci beaucoup à vous, Chalmany, d'avoir été avec nous.
27:04Merci d'avoir été dans ce rendez-vous.
27:06Et merci à vous de nous avoir suivis.
27:08Comme chaque semaine, l'émission est retrouvée en podcast,
27:11vous le savez maintenant, mais aussi en replay
27:13sur notre plateforme publicsena.fr.
27:14Merci beaucoup.
27:15Merci.
27:29Sous-titrage Société Radio-Canada