"Elementaire", le rendez-vous de décryptage de l'actualité. Entouré de deux invités, Denis Olivennes occupera le rôle inédit de présentateur et intervenant. Avec ces experts, ils reviendront de manière approfondie et pédagogique sur un fait marquant de l'actualité pour donner aux téléspectateurs les clés pour comprendre et mieux appréhender des sujets souvent complexes. Année de Production : 2023
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00:00 [Générique]
00:15 Bonsoir et bienvenue dans Élémentaire, l'émission de Public Sénat
00:18 qui cherche à donner un peu de profondeur de champ aux éléments de l'actualité.
00:23 L'Europe est-elle en train de décrocher du point de vue économique des États-Unis,
00:27 confirmant un déclin que beaucoup avaient dénoncé ou en tout cas pressenti,
00:32 lié à son vieillissement démographique,
00:35 lié à sa faiblesse en matière d'innovation technologique,
00:39 lié encore à un fonctionnement peut-être trop bureaucratique,
00:43 trop d'États, trop de règles.
00:45 C'est en tout cas ce que laissent penser les chiffres
00:48 qui ont été publiés récemment par la presse anglo-saxonne
00:51 et qui montrent un décrochage au cours des dix dernières années,
00:55 un décrochage assez significatif du point de vue de la richesse nationale
01:00 entre l'Europe et les États-Unis,
01:02 puisque notre écart se serait encore accru en notre défaveur d'un tiers.
01:08 Et la France, dans cet ensemble, où en est-elle ?
01:12 Est-ce que son écart est encore plus massif que celui du continent ?
01:18 Nous avons voulu en avoir le cœur net dans cette émission
01:21 que nous avons intitulée "Le décrochage économique de l'Europe, info ou intox".
01:27 Et pour nous aider dans cette tâche, nous avons invité Éric Loboucher,
01:32 qui est économiste de formation
01:35 et qui est l'un des meilleurs chroniqueurs économiques de la presse française.
01:39 On peut le lire dans les échos, dans l'opinion ou dans Slate.
01:44 Éric, si vous voulez bien, commençons par les chiffres.
01:47 Donc, selon le Financial Times, en 2023, le PIB,
01:52 la richesse nationale de l'Union européenne,
01:55 représenterait 63% seulement de celui des États-Unis,
02:00 alors que cette richesse était égale à 90%, 91% exactement, il y a 10 ans.
02:06 Quand on entend ça, ça paraît effrayant.
02:09 Mais il y a un facteur, et je voudrais qu'on explique un peu cela à nos téléspectateurs,
02:13 il y a un facteur qui entre en ligne de compte, qui est le taux de change, la monnaie,
02:18 la valeur des monnaies.
02:19 Parce que quand on corrige cet effet, quand on calcule ça en parité de pouvoir d'achat,
02:24 vous allez nous dire ce que ça signifie.
02:26 Alors là, tout à coup, il n'y a plus d'écart.
02:28 Donc, est-ce que le FT a raison, l'écart est dramatique ?
02:31 Ou bien, il faut corriger le taux de change pour avoir la vraie vision de la situation ?
02:37 Je pense que les deux sont utiles, en fait, en vérité.
02:40 Mais en effet, un faux ou un toxe, un faux.
02:44 Et là, c'est vrai, on peut assister sur les chiffres bruts à un recul de l'Europe
02:51 à cause d'une bonne vitesse américaine.
02:55 En gros, les États-Unis vont en croissance deux fois plus vite que nous.
02:59 Et ce, depuis longtemps, mais très précisément depuis 20 ans.
03:04 Alors, c'est vrai, il y a un décrochage.
03:08 C'est moins vrai en parité de pouvoir d'achat,
03:11 mais on utilise ça pour pouvoir comparer les pays.
03:16 Parce que sinon, on compare juste les éléments bruts.
03:19 C'est mieux de comparer parce que ça donne une meilleure vision de comment vivent les gens.
03:25 Parce qu'on peut être très riche dans un pays qui produit moins,
03:30 se sentir très bien et se sentir prospère.
03:33 Donc on corrige par la parité de pouvoir d'achat en comparant les monnaies
03:39 et en comparant les niveaux de vie.
03:42 – Pour expliquer ça à ceux qui nous regardent,
03:45 si vous avez des écarts de taux de change,
03:47 si le dollar s'apprécie fortement et que l'euro se déprécie fortement,
03:52 vous avez un effet apparent d'enrichissement des États-Unis.
03:56 – C'est ça.
03:57 – Et donc pour corriger ça, on essaie de regarder, chaque pays par pays,
04:01 le pouvoir d'acheter que vous donne votre monnaie.
04:04 – C'est ça.
04:05 – Et là, comme ça, vous comparez des choses comparables.
04:07 – Les véritables prospérités des deux populations.
04:09 – Voilà.
04:10 – Donc au total, à la fin, le décrochage n'est pas autant,
04:14 aussi fort que celui du premier chiffre que vous avez donné du final Chetam, 63%,
04:20 mais il est réel.
04:22 Donc il pose question, pourquoi l'Europe,
04:27 qui rattrapait les États-Unis depuis 1945,
04:31 s'est mise à plafonner et puis commence à baisser. Pourquoi ?
04:35 – Je voudrais continuer à vous passer sur le gril avec d'autres chiffres,
04:38 parce que je suis troublé par les chiffres.
04:40 J'ai regardé un autre chiffre.
04:43 J'ai regardé la part de la richesse mondiale prise par les États-Unis
04:49 et par l'Europe, toujours en parité du pouvoir d'achat.
04:52 Et là, je vois qu'en effet, l'Europe est passée de représenter 20%
04:56 de la richesse mondiale il y a 10 ans,
04:58 elle ne représente plus que 15% l'Europe.
05:01 Mais au fond, les États-Unis ont décliné à peu près autant que nous,
05:04 parce qu'en fait, c'est la Chine qui a explosé.
05:06 – Exactement, et l'Inde derrière, bien sûr, et l'ensemble du monde.
05:09 – Donc quand on compare ça, on se dit,
05:11 on ne décroche pas tellement vis-à-vis des États-Unis.
05:13 En revanche, on voit apparaître de nouvelles puissances.
05:15 – C'est ça. Alors, quand on parle de déclin de l'Europe,
05:18 il faut bien mesurer, parce que le déclin de l'Europe,
05:20 en fait, si on prend cette statistique-là, il vient depuis 1918, en gros.
05:25 C'est la guerre 14 qui nous a effondrés en Europe.
05:28 Et donc, les États-Unis sont montés à ce moment-là,
05:31 mais depuis cette date, depuis donc un siècle, l'Europe décline, en effet.
05:36 Ça part dans la globalité, sur la planète,
05:40 ça part démographique, ça part économique, et diminue, en effet.
05:44 Donc la question du déclin, il ne faut pas la poser comme ça.
05:47 Il faut la poser en relatif, et puis compte tenu
05:51 des grands changements démographiques qui sont apparus.
05:55 Quand on compare la Chine et les États-Unis, par exemple,
05:58 on dit, l'économie chinoise, maintenant, est montée, est devenue numéro 2,
06:05 et elle approche tout à fait celle des États-Unis en PIB,
06:09 donc le premier de vos chiffres.
06:11 – La richesse nationale.
06:12 – La richesse nationale. Ça, c'est vrai.
06:15 Quand on regarde en parité de pouvoir d'achat,
06:18 les Chinois sont quand même un à un,
06:21 à peu près un tiers de la richesse américaine, à 30% seulement.
06:25 Donc ils sont encore très loin, par rapport aux Américains,
06:28 ils ne vivent pas la même aisance, pas du tout.
06:32 – Donc on voit quand même que la comparaison en parité de pouvoir d'achat
06:36 donne une image qui est quand même plus suggestive,
06:40 en tout cas plus sincère, plus proche de la réalité vécue
06:43 que le PIB nominal.
06:48 Mais j'ai regardé ça sous un autre jour,
06:51 qui est la richesse nationale,
06:54 toujours en parité de pouvoir d'achat, mais rapportée au nombre d'habitants,
06:57 parce que selon que vous avez beaucoup d'habitants,
06:59 c'est le problème de la Chine d'ailleurs.
07:01 Le PIB de la Chine en valeur absolue est élevé,
07:04 rapporté à son nombre d'habitants, il est très faible.
07:06 Alors quand on regarde la comparaison entre les États-Unis et l'Europe,
07:09 toujours avec la parité de pouvoir d'achat,
07:11 finalement on est assez stable, on représente 70%,
07:16 on décroît légèrement, mais on représente 70% de la richesse américaine,
07:21 donc c'est mieux par habitant, c'est mieux que la richesse tout court,
07:26 mais on est encore loin, on a quand même un écart avec les États-Unis,
07:29 mais il est assez stable dans le temps,
07:31 alors que la dynamique démographique américaine est beaucoup plus forte que nous.
07:34 – Alors c'est ça, il y a beaucoup d'éléments de comparaison.
07:37 Si on revient sur le thème de l'émission,
07:40 sur le décrochage de l'Europe par rapport aux États-Unis,
07:43 vous l'avez dit, le premier élément, c'est le vieillissement,
07:47 en effet, la démographie, les États-Unis,
07:50 augmentent de population plus vite que nous,
07:53 la nôtre est quasi stagnante,
07:56 elle est stagnante dans beaucoup de pays maintenant,
07:58 dont l'Italie en premier bien sûr, on fait moins de bébés partout,
08:02 même en France où nous avions une fécondité assez forte.
08:06 Donc ça c'est le premier facteur,
08:10 si vous avez moins de monde qui produit,
08:13 la production globale au total est plus faible.
08:16 C'est pour ça que la Chine, c'est pour ça que l'Inde,
08:19 c'est pour ça que toutes ces puissances démographiques
08:22 sont devenues des puissances économiques.
08:24 – C'est d'ailleurs souvent contre-intuitif,
08:26 parce qu'on a l'impression parfois que le mal-enthousiaste…
08:28 on a l'impression que la richesse est un gâteau, qu'on va se partager,
08:31 en fait la comparaison Etats-Unis/Europe montre
08:34 que plus vous avez de force productive, de gens qui travaillent,
08:37 et plus votre croissance a une chance de se développer.
08:41 – C'est ça, les gens créent leurs produits,
08:44 il y en a qui inventent, il y en a qui vendent,
08:47 la communauté humaine est toujours très créative, donc elle crée.
08:52 C'est vrai dans le cas général, parce qu'il y a hélas des pauvres pays
08:55 où malheureusement cette production n'augmente pas
08:59 parce que la terre est sèche ou pour d'autres raisons,
09:03 et il y a beaucoup d'argent, je pense à l'Afrique évidemment,
09:06 où là, ces pays-là, vraiment, la démographie n'est pas un avantage dans ces pays-là.
09:12 Mais en Chine, en Inde, elle l'est.
09:14 – Alors ça me conduit à une autre façon d'aborder ce sujet,
09:17 c'est on rapporte la richesse nationale, on a rapporté la richesse nationale,
09:21 on l'a regardée dans "Valeur Absolue" tout à l'heure,
09:23 on l'a regardée et rapportée au nombre d'habitants,
09:25 mais il y a une autre façon intéressante de le regarder,
09:28 c'est de rapporter cette richesse au nombre de gens qui travaillent
09:31 ou aux heures travaillées, parce que ça donne une indication
09:35 de ce qu'on appelle la productivité, c'est-à-dire l'efficacité du travail.
09:39 Et là, on voit que si on rapporte ça au nombre de gens employés,
09:45 la richesse européenne, c'est 75% de celle des États-Unis,
09:50 donc c'est encore un peu mieux que la richesse par habitant,
09:53 par heure travaillée, c'est à peu près la même chose,
09:56 on est autour de 75%, on a très légèrement progressé au cours du temps,
10:01 mais on voit qu'on est en retrait, c'est pas une affaire de décrochage,
10:05 mais c'est une affaire de position relative, on est en retrait,
10:08 on a moins de force productive, on est moins productif que les États-Unis ?
10:11 Oui, ça c'est hélas, et surtout récemment, parce que depuis 20 ans,
10:19 la productivité stagnait un peu partout, d'ailleurs on ne savait pas très bien pourquoi,
10:23 et on se disait que l'informatique, au fond, ça ne sert à rien,
10:27 ça ne se voit pas dans les chiffres, on a l'impression qu'on travaille mieux
10:31 avec les ordinateurs, mais sans doute pas, parce que la productivité,
10:34 enfin, n'augmente pas.
10:36 Depuis quelques récentes années, c'est changé.
10:39 Aux États-Unis, la productivité est repartie, pas en Europe.
10:43 Donc il y a une vraie question sur le mode de travail en Europe,
10:46 et l'utilisation ou pas de l'informatique de façon intelligente et de façon utile.
10:55 Et ça va s'accélérer avec l'IA, enfin l'intelligence artificielle,
10:59 parce que les États-Unis sont encore en avance par rapport à nous
11:03 sur l'utilisation de l'intelligence artificielle,
11:06 et donc c'est la productivité, en Europe, il faut absolument qu'elle arrive,
11:11 comme aux États-Unis, à décoller.
11:13 – Mais vous pensez que cet écart de productivité entre l'Europe
11:17 et les États-Unis est principalement lié à une recherche en développement
11:22 insuffisante par rapport aux États-Unis, à une innovation insuffisante,
11:28 à un investissement insuffisant, à des universités moins efficaces ?
11:33 Quel est le facteur qui leur donne cet avantage de productivité
11:36 par rapport à nous ?
11:38 – Il y a l'avantage, parce que vous avez fait allusion aussi
11:41 à la quantité de travail, elle est supérieure quand même par semaine
11:44 et par année aux États-Unis, c'est-à-dire les Américains
11:47 ont très peu de vacances, donc 15 jours de vacances officiellement,
11:51 en vérité un peu plus bien sûr, mais officiellement c'est ça.
11:55 Donc plus vous travaillez longtemps, plus évidemment vous produisez longtemps,
12:01 c'est tout à fait élémentaire, comme dirait votre émission.
12:05 [Rires]
12:06 – Je crois que c'est non seulement d'ailleurs le nombre d'heures
12:09 travaillées par travailleur, mais la différence aussi aux États-Unis,
12:14 c'est le taux d'occupation, le nombre de gens qui travaillent
12:17 en proportion de la population, parce qu'on travaille plus tard,
12:21 ils n'ont pas le système de retraite des pays européens,
12:24 on travaille plus tôt, le taux d'activité des femmes
12:28 est dans certains cas supérieur, donc c'est ça qui fait la différence.
12:32 – Et on retombe un peu sur la démographie,
12:34 et ils ont une démographie qui est positive,
12:37 et font ça, c'est le bon fonctionnement du marché du travail aux États-Unis,
12:42 où l'on a des émigrants qui arrivent, ils viennent de travers le Rio Grande,
12:47 tout le monde a vu des images, et ils arrivent et ils ont du travail.
12:51 Quand ils rentrent, ils ont à peu près tous du travail,
12:54 le taux de chômage aux États-Unis est très faible,
12:57 et donc il y a du travail qui se crée aux États-Unis,
13:01 d'où la vitesse de croissance qui est quand même pas loin de 2%,
13:05 ou autour de 2%, ce qui est bien le double de celle de l'Europe.
13:09 – C'est d'ailleurs une pierre dans le jardin de ceux qui en Europe sont hostiles,
13:14 ça crée un débat sur le sujet de l'immigration,
13:17 parce que les ultra-libéraux, ils sont très très favorables à l'immigration,
13:21 à l'ouverture des frontières, parce que ça apporte de la main d'œuvre,
13:24 ça fait baisser le coût du travail, donc notre débat européen de résistance,
13:29 certains voient dans notre résistance à l'immigration un trait malthusien,
13:34 un trait d'adversité à la croissance.
13:38 – Oui, exactement, mais après il faut voir comment fonctionne le marché du travail,
13:42 il est quand même très très souple aux États-Unis,
13:45 donc c'est très facile d'embaucher un immigré et de le débaucher,
13:49 alors qu'en Europe, c'est le côté social de l'Europe,
13:56 mais on va en parler j'espère tout à l'heure,
13:58 est-ce un frein ce côté social ?
14:00 Mais si on revient sur les causes du déclin, vous avez parlé du vieillissement,
14:07 il y a une autre cause du déclin, enfin du décrochage plus exactement,
14:11 européen, c'est quand même l'énergie, c'est-à-dire que les États-Unis,
14:15 c'est la première cause en vérité, les États-Unis sont,
14:19 avec le gaz et le pétrole de schiste, sont devenus équilibrés
14:23 en matière énergétique pétrolière, et même depuis 2019,
14:29 légèrement exportateurs, donc ça, ça change tout,
14:33 l'Europe, elle, achète son gaz et son pétrole, encore, ça coûte énormément,
14:38 et les États-Unis sont capables, avec cette production chez eux,
14:43 d'avoir une énergie un tiers, voire à moitié moins chère,
14:48 donc c'est tout bon pour l'industrie, c'est tout bon pour les gens
14:51 qui peuvent rouler avec une essence à un dollar, en gros, le litre,
14:56 je fais la conversion en galonne, à partir de galonne,
15:00 et donc, évidemment, c'est bon pour les ménages,
15:04 et c'est bon pour les industriels que d'avoir une énergie pas chère,
15:07 c'est la première cause, l'avantage américain.
15:10 – Tout à l'heure, je disais que la comparaison avec les États-Unis
15:13 était une pierre dans le jardin de ceux qui sont hostiles à l'immigration,
15:16 mais là, la comparaison avec les Américains sur le coût de l'énergie
15:21 est une pierre dans le jardin des écologistes,
15:23 de ceux qui, à toute force, veulent, ils ont raison,
15:27 pour des raisons de lutte contre le réchauffement climatique,
15:30 décarboner l'économie française, mais ce qui a un double effet,
15:35 un effet de renchérissement très lourd du prix de l'énergie,
15:38 donc un effet sur les coûts de production industrielle,
15:41 et un effet de réduction aussi des capacités de consommation
15:44 des ménages américains.
15:46 Je regardais un chiffre, la consommation par tête,
15:50 entre les États-Unis et l'Europe,
15:53 convertie, là, toujours en parité de pouvoir d'achat,
15:56 c'est 60% des États-Unis, alors qu'on a vu tout à l'heure
16:00 que pour le PIB, on était plutôt sur 70%.
16:03 Donc on a un écart, à notre défaveur, de consommation par tête.
16:06 – Ah oui, mais c'est sûr que leurs voitures sont plus grosses,
16:09 leurs maisons sont plus grosses, leurs steaks sont plus gros,
16:13 enfin, on le sait depuis longtemps.
16:15 – Mais j'en reviens d'un mot, sur la préoccupation environnementale,
16:19 comment est-ce que, si on voit qu'il y a un écart de compétitivité,
16:23 de productivité avec les États-Unis à cause de l'énergie,
16:25 comment on peut rendre compatible notre engagement pour la décarbonation
16:29 et le fait de desserrer cette contrainte sur nos coûts de production ?
16:32 – Il faut une énergie décarbonée, c'est ça toute la question,
16:35 c'est de foncer sur le renouvelable, mais le renouvelable est intermittent,
16:40 et donc sur le nucléaire.
16:42 Tant qu'on n'aura pas cet avantage-là,
16:45 on ne pourra pas rivaliser avec les pays qui ont une énergie quasi gratuite,
16:54 aux États-Unis ou…
16:57 Les autres pays, remarquez, les autres grands concurrents,
17:00 qui sont la Chine et l'Inde, n'ont pas d'énergie non plus,
17:03 donc elles sont un peu dans la même position que l'Europe.
17:07 – Mais ils n'ont pas du tout pris le tournant que nous avons pris,
17:11 pas pour l'instant en tous les cas, de renchérissement de l'énergie
17:14 du fait du coût de la transition énergétique.
17:16 – Non, c'est ça, bien sûr.
17:17 – Ils ont encore des centrales thermiques épouvantablement polluantes d'autrefois.
17:22 – En expliquant que tout le stock de CO2 qui est dans l'atmosphère,
17:26 il a été réalisé par les Européens et les Américains, pas eux,
17:30 donc ils ont le droit de faire un rattrapage.
17:33 – Et si on se penche maintenant, si on fait un zoom sur la France…
17:36 – Attendez, je voudrais revenir parce que je trouve que le débat
17:39 est très intéressant sur l'Europe, sur ce décalage entre les États-Unis
17:44 et l'Europe sur deux points de vue.
17:47 La première question, c'est la question institutionnelle.
17:50 L'Europe à 27, ne peut-elle ne jamais révaliser avec un seul pays ?
17:56 Les États-Unis, enfin, ce sont plusieurs États,
17:59 mais en gros c'est un État fédéral très intégré quand même,
18:02 d'un point de vue économique.
18:05 Et est-ce qu'on peut y arriver ? Autrement dit, il y a des gens qui disent
18:08 "ça n'arrivera jamais parce qu'on est trop différents,
18:11 nous, donc à chaque fois c'est trop compliqué,
18:13 donc on est forcément très lent" et donc l'Europe est finalement,
18:17 elle part battue, si vous voulez, sur l'économie.
18:22 Je crois, ce n'est pas faux, il faut regarder cet argument
18:25 qui pèse quand même et qui conduit normalement à accélérer
18:29 tout ce qui est fédéralisme économique.
18:34 On l'a fait sur la monnaie, mais Enrico Letta,
18:38 l'ancien chef du gouvernement italien, a fait des propositions
18:42 pour faire avancer sur des choses sur lesquelles on n'avait pas avancé,
18:45 sur l'énergie, il n'y a pas une politique énergétique,
18:49 un marché énergétique européen, sur les télécoms,
18:52 on explique pourquoi on n'a pas des GAFA,
18:54 mais on a encore 100 groupes de télécoms en Europe,
18:57 ils en ont 3 aux États-Unis.
18:59 Forcément, il y a une question de taille, d'investissement,
19:02 de vitesse de numérisation.
19:05 Et puis sur le capital, où on a encore des banques
19:08 très différentes dans les pays, etc.
19:10 Le capital n'a pas la surface, la profondeur, comme on dit.
19:14 Il faut accélérer tout ça pour réaliser ce grand marché unique
19:18 qu'ils ont aux États-Unis et qu'on n'a toujours pas.
19:21 C'est un très joli débat institutionnel, ça veut dire
19:24 qu'il faut vite accélérer sur un certain nombre
19:27 de démarches fédérales, même si on ne fait pas
19:30 l'Europe politique, il faut au moins faire l'Europe économique,
19:33 la finir, la bien finir.
19:35 Alors le deuxième débat qui est, c'est sur le social.
19:39 Parce qu'au fond, les gens disent, oui, mais l'Amérique,
19:43 c'est un capitalisme brutal, choum pétérien,
19:46 et donc c'est pour ça qu'ils vont plus vite.
19:48 Dès que ça va mal, on arrête.
19:50 – Illégal. – Très illégal.
19:52 – Quand on regarde l'évolution des inégalités
19:55 entre les États-Unis et l'Europe,
19:58 même si les inégalités se sont légèrement creusées
20:01 en Europe au cours des 20 dernières années,
20:04 elles se sont bien plus significativement creusées
20:07 aux États-Unis. – C'est ça.
20:09 – Avec une crise notamment des classes moyennes,
20:11 une polarisation au détriment des classes moyennes,
20:13 dont on a vu les effets politiques dévastateurs
20:15 sur le continent américain.
20:17 – Le débat est quand même de dire, ce décrochage,
20:19 au fond, c'est ce que nous voulons, puisque nous voulons
20:21 une Europe sociale, une Europe de la douceur,
20:24 si je m'exprime comme ça.
20:26 Eux, c'est la brutalité, nous c'est la douceur,
20:28 donc voilà, on en paye le prix en matière de croissance
20:31 et de prospérité. On a la douceur, mais on a moins,
20:34 des voitures plus petites, on a moins de voitures, etc.,
20:36 on a moins de croissance et moins de richesse.
20:38 – Mais on a plus de loisirs.
20:40 – Et on a plus de loisirs aussi.
20:42 Donc ça, c'est un vrai débat, c'est très intéressant.
20:45 Personnellement, j'en conclus que, quand même,
20:51 il faut savoir où on va,
20:54 et cette question de l'Europe sociale,
20:57 qui est le grand continent le plus social dans le monde entier,
21:02 qui veut être le modèle du monde, etc.,
21:05 il faut mesurer ce que ça nous coûte,
21:08 aujourd'hui, en matière de croissance,
21:10 mais aussi en matière numérique,
21:12 parce que pour la capitale, pour investir sur le numérique,
21:15 et en matière de défense aussi,
21:17 parce que nous sommes vraiment, quand on est le continent de la douceur,
21:21 évidemment, on n'est pas le continent des armes.
21:23 – Il faudrait qu'on utilise les dernières minutes qui nous restent
21:25 pour faire un petit zoom sur la France,
21:27 non pas en la comparant aux États-Unis, j'aurais pu le faire,
21:29 mais je me suis dit que c'était intéressant de la comparer à l'Allemagne,
21:32 même si, dans ces derniers mois, les choses bougent un peu,
21:36 mais quand on regarde au cours de la dernière décennie,
21:38 on voit que, vis-à-vis de l'Allemagne,
21:42 on était à peu près au même niveau de PIB que l'Allemagne il y a 25 ans,
21:46 et on est maintenant de l'ordre de 10% en dessous.
21:49 On a un taux d'emploi qui est 10 points inférieur à celui de l'Allemagne,
21:53 on a une productivité, malgré tout ce qu'on raconte sur notre productivité,
21:57 je ne veux pas rentrer dans le débat, mais qui est inférieure à l'Allemagne,
22:00 on a une production industrielle qui a décroché par rapport à l'Allemagne.
22:04 Donc, dans un continent qui a un problème vis-à-vis des États-Unis,
22:07 est-ce que la France, elle, a un problème vis-à-vis de ses voisins comparables
22:11 et plus puissants ?
22:12 – Je vous dirais, ça c'était avant.
22:15 C'était avant la guerre, où l'Allemagne,
22:20 le modèle allemand de pacifisme mercantile,
22:24 c'est-à-dire on a le parapluie américain, le marché chinois,
22:27 et ça leur permettait de faire marcher leurs usines, d'exporter, etc.,
22:35 et d'avoir une croissance très ronflante, enfin, ronflante,
22:41 – Plus élevée que la nôtre.
22:42 – Plus élevée que la nôtre. Ça a changé.
22:45 Ça a changé pour deux raisons.
22:46 D'abord, parce que je trouve que l'économie française s'est réveillée
22:49 depuis dix ans, on a un chômage qui a baissé,
22:53 les grands groupes marchent formidablement,
22:56 et puis il y a un climat d'entreprenariat en France qui est très important,
23:02 tous les jeunes veulent créer des boîtes, etc.,
23:04 des grosses boîtes, des start-up, ou même des champs, cultiver des champs.
23:10 Et ça, ça a changé.
23:12 Le problème de la France, aujourd'hui, c'est l'État, c'est plus l'économie.
23:16 Donc on a plutôt rattrapé l'Allemagne ces dernières années,
23:20 et par contre, le modèle allemand est là très très mal,
23:26 puisque le gaz était russe, on arrête,
23:30 la Chine qui était un grand débouché devient un concurrent, c'est très sérieux,
23:35 les voitures électriques chinoises sont meilleures que les allemandes.
23:38 Donc le modèle allemand est très mal, très très en péril,
23:43 et la classe politique est incapable de le gérer,
23:46 alors qu'en France, notre économie va plutôt mieux, c'est notre État qui va mal.
23:51 – Pour finir, Eric, si vous étiez le conseil des gouvernements européens
23:55 ou de la Commission européenne, quelles seraient les deux ou trois mesures décisives
24:00 qui nous permettraient de combler l'écart que vous avez signalé vis-à-vis des États-Unis ?
24:05 – Le premier écart, c'est numérique, c'est sûr qu'il faut absolument accélérer
24:09 la recherche et développement en Europe, qui n'est pas satisfaisante.
24:13 Au moment où la Chine et les États-Unis augmentent et accélèrent,
24:16 nous, on n'a pas accéléré, donc ça c'est la première mesure.
24:19 Deuxième mesure, c'est l'industrie, arriver à défendre son industrie,
24:24 recomposer son industrie sur la green tech par exemple,
24:29 et là on a affaire à des grands concurrents, c'est pas facile,
24:33 mais il faut que l'Europe y aille avec du coup la constitution,
24:38 je crois que c'est majeure, d'un grand capital européen,
24:41 l'épargne européenne est de 300 milliards chaque année aux États-Unis,
24:46 faute de pouvoir s'investir dans les entreprises européennes, c'est trop bête.
24:51 Il faut qu'on puisse récupérer cet argent.
24:53 Enfin, si vous me permettez une dernière mesure, elle est plus institutionnelle,
24:57 il faut accélérer partout.
25:00 Le grand qualificatif de cette époque, c'est la vitesse, il faut aller vite.
25:06 Les Américains vont très vite pour financer les entreprises,
25:09 même pour les arrêter, et donc je crois que le problème institutionnel de l'Europe,
25:15 à 27, c'est trop lent, il faut inventer un système où on aille beaucoup plus vite.
25:21 – Puissiez-vous être entendu, ça mériterait qu'on fasse une émission
25:25 à elle seule, et malheureusement notre émission s'achève.
25:30 Je voulais vous remercier Eric de vos lumières.
25:33 – Merci Fanny.
25:34 – Je voulais vous remercier à vous qui nous avez suivis.
25:37 Je vous signale que vous pouvez revoir cette émission sur le site publicsenat.fr.
25:45 L'Europe finalement ne s'en tire pas si mal,
25:49 même si elle décroche tout de même des États-Unis,
25:52 c'est la conclusion que je tire de notre débat.
25:54 Oui, elle décroche, mais à certains égards,
25:57 elle a un modèle social qui peut expliquer une partie de cet écart.
26:02 Quant à la France, alors là, l'optimisme d'Eric m'impressionne,
26:07 la France caracole, cependant que l'Allemagne s'affaiblit.
26:11 On n'a pas parlé de la Chine, on aurait pu,
26:13 je pense qu'on va revenir dans l'émission élémentaire sur les deux sujets,
26:19 le décrochage ou pas de la France,
26:21 et l'évolution de l'économie mondiale face aux nouveaux acteurs.
26:25 Mais enfin, ce sera l'objet d'une autre émission.
26:28 Merci de nous avoir suivis, bonsoir et à la prochaine émission.
26:33 [Générique]