• il y a 8 mois
Depuis l’attaque terroriste sans précédent du 7 octobre en Israël et la riposte massive de l’État hébreu sur Gaza, la question du Proche-Orient, est revenue brutalement sur la scène géopolitique mondiale.
D’abord favorable à Israël, l’opinion internationale paraît se retourner à mesure que s’intensifient les bombardements sur Gaza et que progresse le nombre des victimes.
C’est désormais l’État hébreu qui se trouve mis en accusation au point qu’on peut se demander, et c’est le titre de cette émission, « Peut-on encore défendre Israël ? »
Pour répondre, débat avec Bernard-Henri Lévy qui signe « Solitude d’Israël » (Ed. Grasset).

Année de Production : 2023

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Transcription
00:00 [Musique]
00:15 Bonsoir et bienvenue dans "Ellémentaires",
00:17 l'émission de Public Sénat qui cherche à donner
00:19 de la profondeur de champ aux éléments de l'actualité.
00:22 Depuis l'attaque terroriste sans précédent du 7 octobre en Israël
00:26 et la riposte massive de l'État hébreu sur Gaza,
00:29 la question du Proche-Orient qui paraissait avoir disparu
00:32 de l'agenda politique mondial y est revenue en force,
00:35 si j'ose dire, de manière inédite.
00:37 Passé le premier moment d'effroi et de compassion pour les Israéliens,
00:42 l'opinion mondiale a paru se retourner
00:45 à mesure que s'intensifiaient les bombardements sur Gaza
00:48 et que croissait le nombre des victimes.
00:52 C'est désormais l'État hébreu qui est mis en accusation
00:56 au point qu'on peut se demander,
00:57 et c'est le titre un peu provocateur de cette émission,
01:00 Israël est-il encore défendable ?
01:04 Absolument, répond Bernard-Henri Lévy qui publie un essai bref,
01:08 puissant, qui va, qui suscite la controverse
01:12 et qui est précisément intitulé "La solitude d'Israël".
01:16 Bonsoir Bernard-Henri Lévy. – Bonsoir.
01:19 – Je voudrais me faire ici l'avocat de ceux,
01:21 non pas des ennemis d'Israël, mais de ceux qui sont les amis d'Israël
01:26 et qui souhaitent qu'Israël vive en sécurité,
01:30 dans des frontières sûres et reconnues,
01:32 qui pensent que cela passe notamment par une forme d'accord pacifique
01:37 avec les Palestiniens et de reconnaissance de leurs droits
01:40 et qui sont aujourd'hui tristes, ou en tout cas perplexes,
01:44 devant l'évolution de la situation.
01:46 Et c'est de ça dont je voudrais parler avec vous ce soir.
01:49 Première question, dans votre livre, vous dites que le 7 octobre
01:53 est un événement au sens propre du terme, au sens où il est inédit.
01:58 Vous dites "il n'a pas de passé", même s'il a un avenir.
02:03 Est-ce que vous êtes sûr de ça ?
02:04 Est-ce que vous pouvez comprendre que sans du tout minimiser,
02:09 ni excuser si peu que ce soit les crimes épouvantables du 7 octobre,
02:13 on puisse replacer ces attentats dans une perspective,
02:18 celle de l'exaspération croissante qu'ont connue les Palestiniens,
02:22 chassés en 1948 d'une partie de leur terre,
02:26 exilés pour une part d'entre eux, occupés pour une autre part,
02:30 avec toutes les humiliations de l'occupation,
02:33 abandonnés par les pays arabes qui ont, pour beaucoup d'entre eux,
02:36 signé des accords de paix séparés avec Israël
02:39 et qui désespèrent de voir leurs droits nationaux reconnus.
02:44 Vous connaissez cette formule de Ben Gurion,
02:46 le fondateur de l'État hébreu, je suis certain que vous la connaissez,
02:49 qui avait dit à Naoum Goldman "Si j'étais un leader arabe,
02:54 je ne signerais jamais un accord avec Israël, c'est normal,
02:58 nous avons pris leur pays, Dieu nous l'a donné,
03:01 mais en quoi cela les concerne-t-il ?
03:04 Nous sommes venus et nous avons volé leur pays,
03:06 pourquoi l'accepterait-il ? "
03:09 – Cette citation de Ben Gurion, puisqu'on donne la profondeur,
03:12 Ben Gurion a dit beaucoup de choses,
03:14 on lui a attribué aussi beaucoup de déclarations,
03:17 et des déclarations qu'il a prononcées d'autres apocryphes.
03:21 Sur le fait que le 7 octobre soit un événement en majuscules,
03:26 au sens philosophique du terme, oui, ça me paraît clair,
03:30 la manière dont tout cela s'est opéré, la cruauté,
03:41 le mal pour le mal, etc., tout cela est relativement inédit
03:45 et ne ressemble pas à un épisode d'un long conflit.
03:48 Après, est-ce qu'on devrait contextualiser la chose
03:54 et l'inscrire dans la longue histoire de l'humiliation,
03:58 de la négation des droits des Palestiniens, etc. ?
04:01 Non, non, pour une raison très simple,
04:03 c'est que Gaza n'était pas, enfin vous le savez bien,
04:09 n'était pas occupé, il n'y avait pas un soldat de Tsaïl,
04:13 il n'y avait pas un colon, il n'y avait pas un juif.
04:18 Lorsque Ariel Sharon, je raconte ça dans le livre,
04:21 je raconte la conversation avec lui à l'époque où Sharon quitte Gaza,
04:26 avec l'idée que ça va devenir un immense Dubai City, etc.
04:32 Les dernières maisons juives sont brûlées par les Palestiniens.
04:36 Donc non, il n'y avait pas d'occupation à Gaza,
04:40 il n'y avait pas d'humiliation à Gaza,
04:42 il y avait des tirs, des roquettes incessantes sur Israël
04:46 et ce jour-là, en effet, cette invasion d'Israël par des milliers de,
04:52 pas seulement de terroristes, de terroristes et des bataillons, une armée,
04:58 une armée professionnelle, entraînée, voilà.
05:03 Donc non, je refuse, enfin je crois qu'il faut se refuser
05:06 à cette tentation de contextualiser la chose.
05:10 Mais vous faites l'hypothèse qu'il n'y a pas de conscience collective palestinienne
05:14 parce que vous dites "Gaza, c'est ça, et la Cisjordanie c'est autre chose"
05:17 et ce n'est pas comme ça qu'ils le vivent par exemple.
05:22 Est-ce que vous reconnaissez, j'en suis presque certain,
05:25 mais je voudrais vous l'entendre dire, que le gouvernement israélien,
05:29 et puisque c'est une démocratie, la majorité des citoyens israéliens,
05:34 ont rendu presque impossible la paix et la création de deux États
05:40 par l'implantation de colonies juives dans les territoires occupés,
05:45 dans les territoires de la Palestine qui ont été reconnus
05:48 comme appartenant aux Palestiniens par la partition de l'ONU en 1947.
05:55 Et aujourd'hui en plus dans ces colonies, avec des colons radicalisés
05:59 qui, par la violence, par l'intimidation, organisent ce qu'on ne peut pas appeler autrement
06:06 qu'un nettoyage ethnique, ou qui en tout cas ont la visée d'organiser
06:09 un nettoyage ethnique de la Judée, de la Samarie et de Jérusalem-Est.
06:14 Ça, ça existe et ça pèse dans la conscience palestinienne ?
06:18 – Ça existe, oui.
06:19 C'est une faute des gouvernements israéliens successifs,
06:25 notamment dans les dix dernières années.
06:27 Oui, ça rend difficile le futur État palestinien, oui.
06:33 Après, est-ce qu'il y a une conscience nationale palestinienne
06:38 qui se soucierait de cela et qui expliquerait ou qui formerait,
06:46 pour tout ou partie, contexte pour ce qui s'est passé cet octobre ?
06:49 Non, les gens du Hamas se moquent éperdument de ce dont vous parlez là.
06:55 Lisez les déclarations du Hamas.
06:57 Écoutez ce que disent les chefs militaires du Hamas.
06:59 Écoutez ce que disent les chefs politiques à Doha ou en Turquie.
07:07 Ils ne parlent pas de ça.
07:08 Ils ne parlent pas du problème,
07:10 l'obstacle que peuvent poser les colonies en Cisjordanie.
07:16 Ils parlent de leur désir, de leur vœu,
07:19 d'un État qui irait de la mer au Jourdain, c'est-à-dire un État palestinien,
07:23 c'est-à-dire un État qui annihilerait purement et certainement Israël.
07:27 Donc bien sûr que ce n'est pas ça.
07:29 Et de surcroît, l'épisode, ce dont vous parlez,
07:33 cette multiplication des colonies, c'est un obstacle à la paix.
07:39 Mais après, tant d'autres obstacles à la paix.
07:42 Pourquoi il n'y a pas d'État palestinien aujourd'hui ?
07:44 Parce que les Palestiniens l'ont refusé au moment de la commission PIL en 1937,
07:50 en 1947 au moment du partage,
07:53 parce qu'ils l'ont refusé après les accords de Slo,
07:56 parce qu'ils l'ont refusé à Camp David,
07:57 parce qu'ils ont refusé le plan des Houdon-Mertres.
08:00 Il y a eu tant de moments dans l'histoire...
08:04 Moi, si j'étais palestinien aujourd'hui,
08:07 j'en voudrais peut-être à Israël,
08:10 la phrase de Ben Gurion que vous citiez,
08:12 mais j'en voudrais surtout aux dirigeants palestiniens,
08:15 pas seulement à Hamas, qui depuis 75 ans,
08:18 ont laissé passer toutes les occasions de paix
08:23 et ont saboté, torpillé méthodiquement l'idée même d'un État national.
08:30 C'est contre eux que je me soulèverais.
08:31 C'est à eux que je ferai grief de la situation dans laquelle je me trouve.
08:37 – Mais si on se met de l'autre côté,
08:38 si on se met du côté de la conscience juive, disons.
08:42 Vous avez célébré le génie du judaïsme dans un livre précédent.
08:46 Est-ce que, peut-être que c'est difficile à entendre,
08:49 mais est-ce que vous ne trouvez pas normal
08:51 qu'on ait à l'égard de l'État d'Israël,
08:54 c'est-à-dire à l'égard de l'État du peuple
08:56 qui a apporté au monde l'idée de la loi morale,
09:00 et qui a fait en plus depuis 2000 ans dans sa chair,
09:04 l'expérience de la xénophobie, du racisme, de l'arbitraire, de la violence,
09:10 qu'on ait à son égard une exigence supérieure
09:13 qu'à l'égard de n'importe quel autre État,
09:16 qu'on attende de lui qu'il se tienne à la hauteur de l'idéal moral
09:20 qu'il a apporté au monde en quelque sorte.
09:24 Quand on est né, comme c'est le cas de l'État d'Israël,
09:26 de l'horreur du génocide,
09:27 est-ce qu'on ne doit pas avoir, quoi que pensent les Palestiniens,
09:31 et qu'ils aient refusé ou pas les mains qu'on leur tendait,
09:34 est-ce qu'on ne doit pas avoir à l'égard du droit international humanitaire
09:41 un respect supérieur à celui de tout autre État ?
09:47 – Bien sûr, je suis entièrement d'accord avec ça.
09:50 – Et est-ce que vous avez le sentiment que ce respect supérieur
09:52 à celui de tout autre État, c'est le cas aujourd'hui de l'État d'Israël
09:56 dans les territoires occupés ?
09:57 On va parler de Gaza après.
10:00 – D'abord, est-ce qu'on doit avoir vis-à-vis d'Israël
10:03 un niveau d'exigence morale élevé, voire supérieur à tout autre État ?
10:10 Moi je suis partisan de ceux qui pensent que oui.
10:12 Vous savez, il y a eu un grand débat au moment de la naissance du sionisme
10:17 entre ceux qui disaient "on va faire un État comme les autres"
10:20 et ceux qui disaient "on va faire un État pas tout à fait comme les autres".
10:24 Et il y avait des hommes comme Haïm Arlozorov et d'autres,
10:29 dans le mouvement sioniste, il y avait Gershom Scholem,
10:33 qui pensaient ça, qui pensaient qu'il fallait faire un État
10:37 parce qu'il serait l'héritier de, en effet, l'âme juive,
10:43 l'héritier de la façon d'habiter la terre enseignée
10:50 dans la pensée juive depuis des siècles,
10:52 devait se conduire de manière exemplaire.
10:54 Donc ça, vous avez raison.
10:56 Après, dans la manière de conduire cette guerre,
11:00 si on descend d'un étage, est-ce qu'Israël se conduit de la sorte ?
11:05 Moi, je pense que oui.
11:06 Je pense qu'Israël respecte le droit de la guerre,
11:13 les lois de la guerre, respecte le droit humanitaire,
11:17 comme honnêtement, je l'ai rarement vu dans les guerres
11:21 que j'ai couvertes depuis 30 ou 40 ans ou 50 ans que je couvre des guerres.
11:26 J'étais à Mossoul, par exemple,
11:28 au moment de la libération de Mossoul du califat.
11:31 J'ai tourné un film pour une chaîne de télévision,
11:34 pour Arte.
11:35 La coalition internationale ne livrait pas des centaines de camions
11:39 d'aide alimentaire tous les jours.
11:42 La coalition internationale, dont notre pays, la France, était membre,
11:47 ne prenait pas la peine d'évacuer les civils autant qu'elle le pouvait
11:53 avant de bombarder le centre.
11:56 J'ai vu ça, j'ai vécu cela, le centre de Mossoul.
12:00 La coalition internationale, quand il y avait des frappes civiles,
12:03 ne diligentait pas des enquêtes menées par la police militaire
12:09 et arrivant à des conclusions en 48 heures ou trois jours,
12:12 et ne suspendait pas les officiers coupables d'avoir manqué aux lois de la guerre.
12:18 Ce que fait Israël.
12:20 – On a accusé Israël tout de même d'organiser un blocus humanitaire,
12:23 enfin de filtrer trop, durement.
12:25 – Mais c'est faux.
12:26 La réalité de la situation humanitaire,
12:29 ça je le raconte vraiment, je crois, dans le détail,
12:32 c'est qu'Israël filtre pour éviter qu'il y ait des armes, etc.
12:37 Les camions passent et ils restent bloqués de l'autre côté de la frontière.
12:42 Parce qu'il y a une agence qui s'appelle l'UNRWA,
12:44 une agence de l'ONU, qui est supposée distribuer l'aide,
12:48 et qui en effet, ne le fait pas, en est incapable,
12:52 et plus soucieuse de ce qu'on a découvert depuis,
12:56 c'est-à-dire de prêter la main, de prêter main forte au Hamas
12:59 que de soulager la souffrance et la détresse des populations civiles palestiniennes.
13:06 Mais ce n'est pas Israël qui bloque l'aide alimentaire.
13:09 – On va parler de Gaza maintenant, faisons l'hypothèse que vous avez raison.
13:14 On va parler de Gaza parce que c'est vraiment là
13:15 que se situe la source désormais de la réprobation d'Israël,
13:19 de la solitude d'Israël dont vous parlez.
13:21 J'entends les arguments, j'entends que c'est le Hamas
13:25 qui a été l'agresseur le premier de l'État d'Israël
13:28 et que donc l'État d'Israël est en situation de légitime défense.
13:32 J'entends que c'est le Hamas qui expose ses civils
13:35 par la stratégie du bouclier humain qui est considérée comme un crime de guerre.
13:41 J'entends, comme vous venez de le dire, que c'est la dure loi de la guerre au fond
13:44 et que les Israéliens l'amènent plutôt de manière plus propre que les autres.
13:49 Mais que quand on regarde le nombre des victimes de Gaza
13:52 en proportion de la population totale,
13:55 on est à peu près dans les données statistiques de Fallujah, de Raqqa, de Mossoul,
14:01 c'est-à-dire la coalition à laquelle nous participions pour chasser Daesh.
14:06 Mais une fois qu'on a dit tout ça, Bernard-Henri Lévy,
14:09 est-ce qu'on peut supporter, quel que soit le motif,
14:13 que chaque jour des hommes, bien sûr les combattants,
14:17 mais des dizaines, des centaines de femmes, d'enfants, de vieillards,
14:21 meurent quand on est un ami d'Israël,
14:24 meurent sous les bombes ou sous les tirs israéliens ?
14:27 Est-ce qu'il n'y a pas dans cette obstination à vaincre le Hamas,
14:33 à tout prix, une démesure qui fait sortir la réponse de l'État hébreu,
14:39 de l'ordre de la justice, pour la faire entrer dans…
14:42 l'ordre de la barbarie, ce serait exagéré,
14:44 ce n'est pas devant vous que je prononcerais ce mot,
14:46 mais enfin à sortir de l'ordre de la justice.
14:50 Les pères ne seront pas mis à mort pour les fils
14:53 et les fils ne seront pas mis à mort pour les pères,
14:56 c'est le deutéronome, c'est la rupture que le judaïsme a introduit
15:01 dans l'histoire de la civilisation en substituant la justice à la vendetta.
15:06 Est-ce que, même si sa riposte est fondée,
15:09 même s'il est très cautionneux,
15:10 est-ce qu'aujourd'hui la violence de la riposte israélienne
15:13 ne fait pas qu'Israël tourne le dos à elle-même, à ses principes ?
15:19 Évidemment que les images et les faits sont insupportables et insoutenables.
15:27 Est-ce que l'esprit de vengeance, après,
15:29 l'emporte sur l'esprit de justice ? Non.
15:32 Je pourrais vous en donner mille exemples.
15:34 Est-ce que vous savez, par exemple, qu'en ce moment même,
15:37 en pleine guerre, il y a quelques semaines ou quelques mois,
15:40 une des cinq ou six sœurs du chef politique du Hamas,
15:46 Ismaël Hanier, citoyenne israélienne, a été hospitalisée et sauvée
15:53 dans un hôpital israélien, l'hôpital Soroka ?
15:56 C'est normal à Berchemat.
15:58 C'est totalement normal, bien sûr.
16:01 Mais c'est la preuve qu'il n'y a pas d'esprit de vengeance.
16:04 Je vous dis ça à cause de la phrase du Deutéronome.
16:09 La faute des frères, en tout cas, n'est pas reportée sur les sœurs.
16:13 Et les médecins israéliens, les mêmes d'ailleurs qui ont sauvé la vie
16:19 du chef militaire du Hamas, autrefois Yassin Ouar, qui avait un cancer,
16:23 c'est les médecins israéliens.
16:24 Bref, je ne crois pas qu'il y ait esprit de vengeance.
16:27 Après, que les images soient insupportables, je vous répète, oui.
16:31 C'est la raison pour laquelle je me réveille chaque matin
16:35 en me demandant qu'est-ce qu'attend la communauté internationale ?
16:38 Qu'est-ce qu'attendent les États-Unis ?
16:40 Qu'est-ce qu'attend la France pour faire pression sur les États sponsors du Hamas,
16:46 pour les États parrains, pour les États qu'il abrite, qu'il arme, qu'il soutienne,
16:51 pour exiger de lui qu'il arrête cette guerre, qu'il rende les armes,
16:54 qu'il libère les otages, à la seconde où le Hamas reconnaît sa défaite,
17:00 quelle qu'en soit la forme, qu'il se rende, qu'il soit évacué,
17:04 comme l'étaient les forces de Yasser Arafat autrefois au Liban,
17:09 à Tripoli, au Liban, etc.
17:12 À cette seconde-là, la guerre s'arrête.
17:14 Moi, c'est ça que j'attends.
17:16 Alors, je vois bien qu'aujourd'hui, toute la pression internationale
17:20 est exercée sur Israël pour qu'il décrète un cessez-le-feu.
17:26 Je ne vois pas de pression internationale exercée sur le Hamas
17:30 pour qu'il admette que cette guerre est perdue,
17:35 que cette guerre a fait trop de morts,
17:36 que cette guerre a créé trop de dévastations, qu'ils ont échoué,
17:40 qu'ils ont abîmé, voire déshonoré pour un certain temps la cause palestinienne.
17:47 – Et vous faites l'hypothèse que, comme disait Margaret Thatcher,
17:52 c'est le fameux TINA, "there is no alternative",
17:54 il n'y a pas de plan B, que pour Israël,
17:57 la seule façon d'éradiquer le Hamas, c'est la stratégie actuelle.
18:01 J'ai entendu par exemple une voix de la gauche israélienne
18:04 qui n'est pas angélique, puisque c'est un héros,
18:08 y compris du 7 octobre, le général Yair Golan,
18:11 qui a dit "non, on pourrait faire autrement,
18:13 on pourrait retirer nos troupes en échange de la libération des otages
18:18 et filtrer, empêcher que le Hamas ne se réarme,
18:22 nous empêcherions que le danger du Hamas ne ressurgisse".
18:27 C'est une autre stratégie défendue par des Israéliens de gauche,
18:31 elle pourrait être un plan alternatif à l'action actuelle de l'État hébreu.
18:37 Yair Golan est un...
18:39 Je l'ai rencontré, je le connais un peu,
18:41 c'est en effet un grand d'Israël.
18:48 Là où il n'y a pas d'alternative,
18:49 c'est à la nécessité, en effet, de briser les reins du Hamas
18:53 et de faire en sorte que le Hamas ne représente plus,
18:57 ni de près ni de loin, ni d'un héros autonome,
19:00 ni intégrer à une future OLP la cause palestinienne.
19:03 Alors après, assiéger Gaza,
19:06 on vous dira demain si c'était le cas,
19:09 que c'est un crime de guerre, que c'est un crime contre l'humanité,
19:13 empêcher les approvisionnements de Gaza, etc.
19:17 Donc la réalité, cher Denis Oliven,
19:20 c'est que quand vous regardez les alternatives,
19:25 quand vous regardez les alliés américains
19:30 qui convoquent tel ou tel général israélien ou chef d'état-major,
19:34 il n'y a pas de vraie alternative.
19:36 Ce n'est pas vrai.
19:40 Un plan B, il existe peut-être,
19:42 mais il n'a pas réellement été proposé.
19:44 Alors aujourd'hui, vous avez en effet l'armée israélienne
19:48 qui s'est retirée du centre de Gaza,
19:51 qui attend pour entrer à Rafah que les civils aient été évacués.
20:01 Est-ce qu'il y a une alternative à cette stratégie,
20:03 encore plus économe en vie civile ?
20:06 Je souhaite de toute mon âme, mais pour l'instant, je ne la vois pas.
20:08 Personne ne l'a proposée.
20:10 – Est-ce que vous n'avez pas le sentiment tout de même
20:11 que la démocratie israélienne,
20:14 c'est la seule démocratie de cette région,
20:16 et elle est indiscutable, a quand même une faiblesse
20:19 dans l'incapacité dans laquelle elle s'est trouvée
20:22 de faire que s'exerce la responsabilité politique
20:25 de son chef de gouvernement actuel, Benjamin Netanyahou,
20:29 qui est responsable d'avoir laissé se développer
20:34 la situation des colonies qu'on évoquait tout à l'heure,
20:36 qui est comme un poison lent dans le sang d'Israël,
20:39 d'avoir laissé, on le sait maintenant, d'avoir organisé,
20:43 ou en tout cas accepté de laisser se développer le Hamas
20:46 en imaginant sans doute de manière machiavélique
20:49 que c'était une façon de diviser son ennemi,
20:53 qui n'a pas vu venir du tout, malgré certains avertissements apparemment,
20:59 la menace de l'opération du 7 octobre,
21:02 qui n'a pas été capable, en tous les cas,
21:05 est-ce que d'autres l'auraient été,
21:06 mais enfin qui n'a pas montré une grande efficacité
21:09 dans la libération des otages,
21:10 le fait qu'il soit encore le chef du gouvernement
21:12 est probablement un obstacle sur le chemin futur de la paix.
21:16 Est-ce que le fait qu'il soit là
21:17 et que sa responsabilité n'ait pas été exercée
21:20 n'est pas un problème, une faiblesse de fonctionnement
21:22 de la démocratie israélienne ?
21:23 – Il y a beaucoup de choses dans ce que vous dites.
21:27 La responsabilité dans la multiplication des colonies, oui.
21:30 La responsabilité dans la croissance du Hamas,
21:33 ça c'est une légende, j'entends ça partout,
21:38 c'est parce que de l'ordre de la légende urbaine,
21:40 j'en sais rien, c'est une accusation gravissime
21:45 et je n'ai jamais lu, jamais vu de preuve
21:49 de ce machiavélisme dont vous parlez.
21:51 Ça pour moi c'est de l'ordre de la théorie du complot.
21:54 Après la démocratie israélienne,
21:57 elle est vivante chaque samedi dans les manifestations monstres
22:02 qui ont lieu à Tel Aviv, à Jérusalem,
22:06 les chaînes humaines qui se forment et qui demandent,
22:08 un, la mise en accusation,
22:12 la reconnaissance des responsabilités de chacun
22:15 à commencer par le Premier ministre Netanyahou
22:17 et qui demande sa démission.
22:19 La seule chose, c'est que comme en effet Israël est une démocratie,
22:22 tout ça ne va pas se passer seulement sous la pression de la rue.
22:26 Il y aura des commissions d'enquête,
22:27 il y aura une justice qui examinera tout cela et qui tranchera.
22:33 Et alors que ça ne se fasse pas,
22:35 peut-être d'ailleurs ça se fera en temps de guerre,
22:37 peut-être on verra bien,
22:39 mais que cela ne se fasse pas en temps de guerre,
22:42 que cela se passe lorsque ce cauchemar sera terminé,
22:49 ça ne me surprendrait pas et ça ne me semblerait pas contraire
22:54 au génie de la démocratie.
22:57 Pour l'heure, on sait, tous les sondages le disent
23:00 et surtout les foules dans la rue,
23:02 une immense majorité de la société israélienne
23:05 pense que ce Premier ministre-là a failli.
23:08 Pas failli dans la conduite de la guerre,
23:11 failli dans ses projets de réforme judiciaire,
23:14 dans ses projets de mettre au pas l'opposition,
23:18 des actes de corruption apparemment avérés.
23:22 Une immense majorité de la société israélienne
23:24 est en colère contre Netanyahou.
23:27 Et le fait savoir, et le lui fera savoir,
23:29 lorsque le cours normal de la démocratie pourra reprendre.
23:34 Si on se projette un peu dans l'avenir,
23:36 en faisant l'hypothèse que ce cauchemar,
23:38 comme vous venez de le qualifier justement, aura disparu.
23:44 On voit mal, ça fait depuis 1967 que les Israéliens ont échoué,
23:48 les Palestiniens, à trouver une solution pacifique,
23:50 celle des deux États.
23:52 On voit mal de bons esprits, je pense à l'ancien ambassadeur Eli Barnavi,
23:57 l'ancien ambassadeur d'Israël en France, éminent historien,
24:01 pense que la solution ne viendra pas de l'intérieur.
24:05 Elle ne pourra venir que de la pression exercée par les États-Unis,
24:11 peut-être par l'Europe, sur le gouvernement israélien,
24:14 sur les pays arabes, sur les Palestiniens,
24:16 pour fabriquer cette solution.
24:19 Est-ce que vous partagez ce point de vue d'une part ?
24:21 Et d'autre part, que pensez-vous de l'initiative du président Macron,
24:26 pour lequel je crois, avec lequel vous en retenez des relations cordiales,
24:30 aussi, autant qu'on puisse le savoir,
24:33 avec le président égyptien et le roi de Jordanie,
24:36 qui a été rendu public hier,
24:38 pour un règlement immédiat de la situation à Gaza ?
24:40 Pas pour un règlement immédiat, pour un arrêt de la guerre.
24:48 Maintenant, aujourd'hui, pour un cessez-le-feu immédiat et durable.
24:52 Ça, ce que je pense, c'est que ça veut dire que,
24:56 le lendemain matin, les survivants des bataillons du Hamas
25:00 sortent des tunnels, pavoisent, crient victoire,
25:05 et deviennent les champions de la cause palestinienne,
25:08 des idoles dans le monde arabe,
25:09 et des icônes chez tous les amnésiques,
25:15 qui confondent tout et qui les verront
25:18 comme l'incarnation de l'esprit de résistance.
25:20 Je pense que cette position-là, je pense qu'elle est redoutable.
25:25 Et que ça n'était pas la position que tenait la France
25:30 au moment du calife à Mossoul,
25:32 ou au moment où les talibans et Al-Qaïda
25:37 avaient mis les États-Unis à genoux avec le World Trade Center.
25:41 Quand on a affaire Al-Qaïda à Mossoul ou Hamas,
25:45 je crois qu'on ne les laisse pas en place,
25:47 on ne dépose pas les armes devant eux,
25:49 et on ne les laisse pas triompher.
25:52 Après, est-ce que l'état futur de la région,
25:57 la paix entre Palestiniens et Israéliens,
26:01 est-ce que cela viendra de l'extérieur
26:03 comme une solution imposée ?
26:05 Je ne le crois pas.
26:06 Je crois que quand une situation de ce genre
26:16 dure depuis si longtemps,
26:18 on ne peut pas faire l'économie d'une paix négociée.
26:22 On ne peut pas faire l'économie d'un dialogue.
26:25 Alors ça, ça passe par deux choses,
26:26 et par une chose en particulier,
26:29 il faut que le peuple palestinien se réveille.
26:32 Ça fait 75 ans que le peuple palestinien est entretenu
26:37 par des mauvais bergers, par des chefs irresponsables.
26:42 Hamas aujourd'hui, mais hier l'OLP,
26:45 qui leur raconte des sornettes,
26:47 qui leur disent qu'Israël est une entité provisoire,
26:54 que le temps du retour est proche.
26:58 Non, la première condition pour qu'il y ait la paix,
27:01 c'est que dans les manuels scolaires,
27:03 c'est que dans les esprits,
27:04 cette culture de la haine,
27:06 cette culture du déni et cette culture de la guerre
27:09 soit éradiquée.
27:12 Donc ça suppose en effet une sortie de cet état de somnambulisme
27:17 où les Palestiniens ont été plongés depuis trop longtemps.
27:22 – En un mot pour conclure, votre livre s'appelle "Solitude d'Israël".
27:26 Est-ce que vous avez le sentiment que c'est une solitude ontologique,
27:29 que Israël, comme les Juifs parmi les nations,
27:32 est condamné à cette solitude ?
27:35 Comment vous voyez l'évolution future de l'image d'Israël
27:39 dans l'opinion, de son insertion dans l'opinion mondiale ?
27:44 – Non, je ne crois pas qu'elle soit ontologique.
27:47 Je crois qu'elle est politique.
27:51 Aujourd'hui, Israël mène seule une guerre
27:56 que d'autres devraient mener avec lui.
27:59 Vous savez, il y a un épisode que tout le monde a oublié,
28:02 qui était il y a 30 ans.
28:04 En 1991, Israël a été victime d'une agression
28:10 qui à l'époque paraissait également sans précédent,
28:12 c'était la guerre des Scuds.
28:14 Les Scuds, dont on disait à l'époque qu'ils pouvaient être armés
28:19 par des munitions au gaz envoyées par l'Irak de Saddam Hussein.
28:23 Et à l'époque, Israël s'est retenu et n'a pas répliqué.
28:26 Mais Israël n'a pas répliqué, pourquoi ?
28:29 Parce que les États-Unis l'ont fait à sa place.
28:31 C'était l'époque de la guerre du Koweït.
28:33 Aujourd'hui, Israël est seul à mener cette guerre.
28:36 Israël est seul sans coalition internationale.
28:41 Israël est seul à affronter cette troisième étape
28:47 de l'histoire récente de l'islam politique meurtrier
28:52 qu'est le Hamas.
28:54 Israël est seul parce que l'Amérique est dans une époque de repli,
28:59 parce qu'elle est…
29:02 D'un côté, il y a les trumpistes, de l'autre côté, il y a les walkistes,
29:07 parce que l'Europe, elle est fidèle à sa vieille pente municoise
29:12 qui consiste à penser que rien ne vaut…
29:17 Aucun combat contre la barbarie ne vaut que l'on renonce à avoir la paix.
29:23 Israël est seul pour ça, pour des raisons politiques,
29:26 parce que l'Amérique perd la tête
29:28 et parce que l'Europe retrouve sa pente ancienne.
29:31 Il n'y a rien d'ontologique là-dedans.
29:34 – Merci, cette émission s'achève.
29:36 Merci à vous qui l'avez suivie.
29:38 Merci Bernard-Henri Lévy d'avoir répondu à mes questions.
29:42 Vous pouvez, pour ceux qui ne l'ont pas vue,
29:44 vous pouvez revoir cette émission sur le site publicsena.fr.
29:49 J'espère qu'on vous aura un peu éclairé
29:52 et j'espère surtout que la paix,
29:56 c'est presque le même mot en hébreu, shalom et en arabe, salam,
30:00 que la paix va venir maintenant,
30:03 comme disait une partie de la gauche israélienne il y a quelques décennies.
30:06 Merci à vous. – Moi je le dis toujours,
30:09 si le Hamas rend les armes.
30:11 – Bonsoir, merci.
30:13 [Musique]

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