C’est une relation complexe inhérente à la 5ème république… celle entre un Président et son Premier ministre. Une relation incarnée notamment par deux hommes politiques majeurs du 20e siècle, Charles de Gaulle et Georges Pompidou… Une collaboration débutée au lendemain de la Seconde guerre mondiale qui se poursuivra à l’Élysée pour le premier et Matignon pour le second, une relation émaillée de désaccords, de petites trahisons et d’ambitions personnelles.
Mais alors que reste-t-il de ces années politiques ? Président… Premier ministre, ce duo est-il condamné à la rupture ? Rebecca Fitoussi et ses invités ouvrent le débat.
Année de Production : 2023
Mais alors que reste-t-il de ces années politiques ? Président… Premier ministre, ce duo est-il condamné à la rupture ? Rebecca Fitoussi et ses invités ouvrent le débat.
Année de Production : 2023
Category
📺
TVTranscription
00:00 De Gaulle et Pompidou jusqu'à la rupture,
00:04 documentaire de Catherine Ney et d'Antoine Coursa,
00:07 un film précieux pour l'histoire, précieux pour comprendre ce lien si particulier
00:11 qui unissait De Gaulle à Pompidou et qui dit beaucoup de Georges Pompidou,
00:15 lui-même mort il y a précisément 50 ans.
00:17 Avec nous pour en parler sur ce plateau, Michel Allumary, bienvenue.
00:20 Merci d'avoir accepté notre invitation.
00:22 Vous avez été ministre des Affaires étrangères, garde d'Essoe,
00:24 ministre de l'Intérieur, ministre de la Défense, mais aussi maire et députée européenne.
00:28 Vous avez également été présidente du RPR et vous avez toujours revendiqué
00:32 votre héritage gaulliste, un lien très fort avec le gaullisme social, dites-vous.
00:36 Vous nous direz s'il est compatible ou incompatible avec le pompidolisme.
00:39 Béatrice Guray, bienvenue à vous également.
00:41 Grand reporter au monde, grande spécialiste du pouvoir politique
00:44 et notamment de Jacques Chirac, vous lui avez consacré plusieurs ouvrages.
00:47 "Les Chirac", sacré livre politique de l'année 2015 et plus récemment "Le roi emmuré".
00:52 Ce qui vous passionne notamment, c'est "La fin du pouvoir".
00:55 Ce film, c'est précisément la fin d'un règne et le début d'un autre très différent.
00:58 On en reparlera.
00:59 Gilles Boyer, bienvenue à vous également.
01:01 Député européen du groupe Rignou, le groupe de la majorité présidentielle.
01:04 Vous êtes le conseiller spécial de l'ancien Premier ministre, Edouard Philippe.
01:07 Vous avez été également très proche d'Alain Juppé.
01:10 Les coulisses du pouvoir et la relation président-premier ministre,
01:13 vous connaissez par cœur, vous aussi.
01:15 Pierre Mananti, bienvenue.
01:16 Historien du gaullisme, auteur du livre "Les barons du gaullisme"
01:19 et de "Histoire du gaullisme social".
01:22 Vous avez également été collaborateur parlementaire ici au Sénat,
01:25 mais aussi à l'Assemblée nationale, ainsi que conseiller politique.
01:28 Merci à tous les quatre d'être ici.
01:30 On ne peut pas sortir d'un tel film et ne pas revenir sur cette relation,
01:35 ce lien qui unissait les deux hommes.
01:37 Pierre Mananti, est-ce qu'on peut dire que Georges Pompidou
01:40 a fini par être déçu par De Gaulle ?
01:43 Qu'il est passé d'une forme d'admiration sans borne à la désillusion ?
01:46 Ce qui est certain, c'est qu'on a un attachement originel de Pompidou très fort à la libération.
01:51 Il a envie de s'engager auprès de ce général De Gaulle.
01:53 Il n'a pas été lui-même résistant, mais il a envie justement de se donner à son pays.
01:57 Et puis, presque 20 ans plus tard, à partir de l'élection présidentielle 65,
02:01 on a un homme qui commence à montrer des fractures,
02:03 une forme de déception parce que des conceptions différentes
02:06 de ce que doit être la France, de ce que doit être la modernité
02:08 et les transformations du pays.
02:10 Et donc, cette rupture, presque inévitable en 68,
02:12 parce qu'il y a deux regards sur cette société qui bouillonne
02:15 avec les événements de mai,
02:17 et la rupture qu'on sommait en 68 quand Pompidou s'en va,
02:20 et puis en 69 quand il ferme la porte, il ferme le banc.
02:23 C'est le début d'une nouvelle période.
02:25 Au fond, des hommes avec des visions très différentes, Michel Aignemarie,
02:28 qu'on pourrait peut-être un peu caricaturer en disant
02:31 "De Gaulle, le conservateur, Pompidou, le moderne" ?
02:33 Ou c'est trop réducteur ?
02:34 Non, je ne crois pas, c'est beaucoup trop réducteur.
02:36 D'abord parce que je ne pense pas que De Gaulle était conservateur.
02:40 Je dirais qu'au contraire, des thèmes comme ceux de la participation
02:44 étaient des thèmes qui étaient très novateurs
02:47 et qui, au contraire, faisaient un peu peur à Pompidou.
02:50 On le voit bien dans le film.
02:52 Pompidou qui représente une vision probablement à la fois très moderne
02:57 sur le plan notamment technologique,
02:59 mais en même temps une vision assez classique
03:02 du point de vue du libéralisme économique.
03:06 Et donc là, effectivement, il y a une divergence.
03:09 Ceci dit, je pense que les deux hommes avaient certainement en commun
03:12 une très haute idée de la place de la France,
03:16 une très haute idée de la nécessité d'être à la pointe du progrès
03:21 et donc d'accompagner un certain nombre d'évolutions,
03:24 même si c'est très différent de la part d'un militaire, ne l'oublions pas,
03:29 et par ailleurs d'un homme de l'entreprise,
03:32 et notamment de la finance,
03:33 qui est encore une forme un peu particulière de l'entreprise.
03:36 Un grand amour de la France, c'est ça qui les unissait,
03:39 mais des cassures aussi, des brisures, que l'on voit très bien dans ce film.
03:42 Alors avec son paroxysme, l'affaire Markovitch,
03:44 qui est vue comme une trahison de la part de De Gaulle, Béatrice Guray,
03:47 il y a eu des petites trahisons ?
03:49 Alors, pour Pompidou, évidemment, c'est une trahison,
03:53 parce que cette relation, elle commence sous des auspices quasi familiaux, quasi intimes,
03:59 alors même que Pompidou n'a pas été résistant,
04:04 ce que lui reprocheront les vrais gaullistes et les gaullistes de gauche,
04:08 et par ailleurs, il va aussi faire une carrière dans la banque,
04:13 dans la banque Rothschild.
04:15 Et donc, il y a toute une partie de sa vie qui est celle des plaisirs,
04:19 qui est celle de l'argent assez facile,
04:21 il travaille beaucoup, naturellement, c'est pas ça qui est en question,
04:24 mais il aime le luxe, il aime l'art, il aime recevoir, il aime dîner en ville,
04:31 et Claude, sa femme, l'accompagne énormément dans cette vie-là.
04:37 Leurs vacances à Saint-Tropez, ils ont une Porsche,
04:40 enfin, on n'est pas du tout dans l'univers du général De Gaulle.
04:42 Bon, évidemment, enfin, pour moi, en tout cas,
04:46 la grande différence entre les deux hommes, c'est cette vision de la vie.
04:53 C'est-à-dire qu'il y a une austérité chez l'un qu'il n'y a pas du tout chez l'autre,
04:57 et même s'il y a un amour de la France partagé,
05:00 il n'y a pas du tout la même vision de la société,
05:04 et, je dirais, de l'économie.
05:07 Mais il y a un véritable fossé entre deux sur ce point-là.
05:14 - C'est à se demander comment ils ont pu même s'unir et travailler ensemble, non, Gilles Boyer,
05:18 avec tout ce qu'on vient de se dire ?
05:20 - D'abord, il y avait quand même une différence générationnelle entre eux,
05:22 il faut quand même le dire, une relation de type filiale, en tout cas de filiation politique.
05:27 Pompidou devait tout à De Gaulle, il devait tout,
05:30 rien ne le prédestinait au fond à l'engagement politique,
05:32 et c'est la relation avec De Gaulle qui l'a fondée, d'après ce que j'en sais.
05:36 Et ensuite, ils ont inauguré cette diarchie si extraordinaire en France,
05:41 entre le président de la République et le Premier ministre,
05:43 ils l'ont fondée, ils l'ont forgée, avec ses grandeurs, ses grands moments,
05:47 et aussi avec la manière dont ça peut se terminer parfois sur un malentendu,
05:51 parce qu'on peut plus parler de malentendu, au fond,
05:53 pour solder cette histoire d'amitié politique.
05:57 - Ce qu'on a du mal à savoir, même après ce documentaire,
05:59 c'est si Georges Pompidou, au fond, était très ambitieux.
06:02 Est-ce qu'au fond, il a toujours eu à l'esprit l'idée qu'un jour,
06:05 il deviendrait président ? Et même à l'issue de ce film,
06:07 je n'ai pas eu de réponse, je n'ai pas réussi à trouver la réponse.
06:10 Est-ce qu'on le sait ?
06:11 - Moi, je pense qu'il l'est devenu, et que finalement,
06:14 c'est une sorte d'obligation de tous ceux qui sont premiers ministres.
06:21 Je me souviens d'une discussion que j'ai eue avec Edouard Balladur
06:24 sur un de ses livres, dans laquelle il disait
06:28 qu'un premier ministre ne devait pas et ne pouvait pas se présenter
06:32 à la présidence de la République.
06:33 Je lui ai dit que j'étais d'accord avec à peu près tout ce qu'il y avait
06:36 dans son livre, sauf ça.
06:37 - Sauf ce point.
06:38 - Parce qu'humainement, ça n'est pas vrai.
06:40 Et c'est assez logique, d'ailleurs, parce que le premier ministre,
06:43 au départ, soit enthousiasté par l'idée de servir.
06:46 Je ne parle pas de premier ministre de cohabitation.
06:48 - Bien sûr, c'est autre chose.
06:49 - Il faut bien distinguer les choses.
06:51 Mais qu'il ait d'abord envie de ça.
06:52 Au départ, il y a une équipe, c'est vrai.
06:55 Mais je pense que le premier ministre, qui est en charge
06:58 de tous les problèmes du pays et dans les aspects les plus pesants,
07:02 à un moment donné, se sent investi, en quelque sorte.
07:05 - Et se sent capable.
07:06 - Et se sent capable, bien entendu.
07:08 Mais il a le sentiment que c'est lui qui dirige.
07:11 Et c'est d'autant plus vrai, d'ailleurs, qu'il y a aussi
07:14 une évolution des institutions.
07:16 Parce que, n'oublions pas, institutionnellement,
07:19 le général de Gaulle et Pompidou, c'est la Constitution de 58,
07:22 avec la répartition entre le président et le premier ministre,
07:26 et avec ce domaine réservé qui a beaucoup fait gloser,
07:30 mais qui, en fait, limite aussi un peu l'intérêt du président
07:33 de la République sur un certain nombre de choses essentielles.
07:36 Les affaires étrangères, l'armée, etc.
07:38 Et une vision globale.
07:40 Au fur et à mesure, on va voir le champ du président
07:44 de la République, de par l'histoire de chacun,
07:46 s'étendre à l'éducation, s'étendre à la culture,
07:50 s'étendre à l'économie, etc.
07:52 Et donc, finalement, les lieux de conflit
07:56 avec le premier ministre sont d'autant plus grands.
07:59 Parce que le premier ministre se sent en charge du pays,
08:02 et que le président de la République
08:04 et les collaborateurs des uns et des autres,
08:06 il faudra bien à un moment donné en parler,
08:08 se trouvent en conflit frontalier, en quelque sorte.
08:12 Et donc, je pense que ça accentue encore cette tendance
08:15 du premier ministre à se sentir en charge à la place d'eux.
08:19 Avec des présidents qui n'ont pas,
08:21 pour reprendre l'expression du général de Gaulle,
08:23 l'intention d'inaugurer les chrysanthèmes.
08:25 - Pierre Mananti, est-ce qu'il y avait de l'ambition
08:27 chez Georges Pompidou au fond ?
08:29 Et peut-être de la naïveté chez le général de Gaulle aussi ?
08:31 - Alors, de l'ambition, oui, je suis d'accord.
08:33 Et je pense qu'elle s'est effectivement construite
08:35 dans la pratique du pouvoir.
08:37 Parce que lorsqu'il arrive comme chef de cabinet au RPF,
08:39 au Rassemblement du Peuple Français,
08:41 il a à l'époque un rôle assez modeste
08:43 dans l'entourage du général de Gaulle.
08:44 Et il n'a jamais eu de prétention de monter vite les échelons.
08:46 On sait qu'en 1951, certains gaullistes autour du général
08:49 l'encouragent à se présenter aux élections.
08:51 Pas pour moi, homme de l'ombre, collaborateur général,
08:53 ça me va bien.
08:55 Quand il revient en 1958, quand de Gaulle devient président du Conseil,
08:57 il est d'abord directeur de cabinet.
08:59 Et il n'aspire pas à plus.
09:01 Il ne demande pas à être ministre en 1958.
09:03 Mais c'est l'exercice du pouvoir.
09:05 C'est parce qu'il a, à cette époque, et c'est bien rappelé dans le documentaire,
09:07 la gestion de la France, quand le général s'occupe des grandes crises,
09:10 l'Algérie française, la création d'un nouveau régime constitutionnel.
09:13 Là, il goûte à ce pouvoir.
09:15 Il aimerait plus.
09:17 Et puis, il n'accepte pas autre chose que Matignon en 1958.
09:19 Il revient en 1962 comme Premier ministre.
09:21 Et là, vraiment, se cristallise.
09:23 - Et c'est à de Gaulle leçon ou pas ?
09:25 - Pas forcément. Parce que de Gaulle est quelqu'un qui a une vision
09:27 très haute de son service du pays.
09:29 Il est au service de la France. Il n'attend rien pour lui-même en retour.
09:31 Et il projette sur ses collaborateurs la même idée.
09:34 Ses collaborateurs sont là pour le servir et pour servir la France.
09:36 Pas pour avoir quelque chose d'autre.
09:38 Ça crée des frustrations.
09:40 On sait que des personnages comme Michel Debré, Olivier Guichard
09:42 ont très mal vécu, justement, le fait que le général de Gaulle
09:44 estime qu'ils avaient servi leur pays,
09:46 leur temps était passé, et puis autre chose.
09:48 Et c'est peut-être ce qui, justement, cristallise
09:50 l'animosité du général pour Pompidou.
09:52 C'est qu'à un moment, il comprend que Pompidou veut plus.
09:54 À partir de 1964, Pompidou s'imagine, pourquoi pas, en successeur.
09:56 Et ça, ça heurte le général.
09:58 - Ça fait partie des choses qui mènent à la rupture, en tout cas,
10:00 entre les deux hommes.
10:02 - Mais c'est pire qu'un malentendu, en fait.
10:04 C'est bien pire qu'un malentendu.
10:06 Parce que quand de Gaulle fait cette conférence de presse incroyable
10:08 où il dit... En fait, il congédie Pompidou.
10:10 Il dit...
10:12 Il a tellement bien servi.
10:14 Il a été, pendant 6 ans et demi,
10:18 premier ministre.
10:20 Ça ne s'est jamais vu depuis 4 générations.
10:22 Enfin, on est en train de revenir à la 3e République.
10:24 Il dit strictement n'importe quoi, mais il habille
10:26 le fait qu'il le congédie.
10:28 Parce que Pompidou a joué
10:30 avec sa démission.
10:32 Et ça, de Gaulle, c'est pas le genre de choses
10:34 qu'il peut accepter. - Ça fait pas partie de son logiciel.
10:36 - Ça fait pas partie de son logiciel.
10:38 Et moi, je pense qu'il y a une vraie...
10:40 En psychologie,
10:42 ça s'appelle un déni.
10:44 C'est-à-dire que quand il écrit à René Brouillet
10:46 "Je n'ai aucune ambition,
10:48 je ne cherche ni honneur, ni..."
10:50 Écoutez, vraiment,
10:52 quand on entre en politique,
10:54 forcément, l'ambition est là.
10:56 Je ne dis pas que vous rêvez
10:58 du jour où vous entrez dans un cabinet
11:00 de devenir président de la République.
11:02 Non, c'est pas comme ça que ça fonctionne.
11:04 - Mais en tout cas, de monter les échelons et de gagner en tout noir.
11:06 - Mais en tout cas, lui, il est prudent.
11:08 Il ne va pas jusqu'à la prudence
11:10 extraordinaire de François Fillon
11:12 avec Sarkozy, qui dure, lui,
11:14 cinq ans à Matignon et qui fait
11:16 très attention de ne jamais dire un mot.
11:18 Puisque l'autre, de ne pas irriter l'Élysée,
11:20 il n'est pas aussi méfiant
11:22 et prudent. Mais
11:24 en bon
11:26 intellectuel, il a une stratégie.
11:28 - De Gaulle a tellement marqué l'histoire
11:30 qu'on parle toujours beaucoup du gaullisme
11:32 et beaucoup s'en revendiquent, vous la première,
11:34 Michel Alliomarie. En revanche, on l'entend
11:36 assez peu, le mot "pompidolisme". Je suis même
11:38 à peu près sûre que plein de téléspectateurs
11:40 qui nous regardent ce soir ne connaissent même pas
11:42 l'expression "pompidolisme".
11:44 Comment on se l'explique ? Vous avez un
11:46 début d'explication. Est-ce que le pompidolisme a été
11:48 écrasé par le gaullisme ? Un gaullisme
11:50 trop fort, Gilles Boyer ? - D'abord, Georges Pompidou
11:52 a battu le record de l'enchévité à Matignon.
11:54 Ou plutôt, il l'a inauguré et personne ne l'a battu
11:56 depuis. Et il est tout à fait possible que personne ne le batte
11:58 avant longtemps. Donc, il a
12:00 longtemps été identifié dans le sillage
12:02 du général pour mettre en œuvre sa politique.
12:04 Ensuite, son propre septennat a été
12:06 interrompu par la maladie et le décès.
12:08 Donc, évidemment, la capacité
12:10 d'agir et de marquer les esprits dans la
12:12 durée s'en est trouvée, évidemment, interrompue.
12:14 Mais je crois que Georges Pompidou,
12:16 c'était un homme libre.
12:18 Et donc, c'était ce qui, sans doute,
12:20 séduisait le général. Et puis, par moments,
12:22 aussi, il devait le déconcerter. Il a,
12:24 dès les premiers jours de sa nomination
12:26 à Matignon, il a menacé de démissionner
12:28 sur l'affaire de Jouhau, le général
12:30 refusant de grâcier le général
12:32 Jouhau, qui était un des poutchistes
12:34 d'Alger. Il a mis sa démission dans la balance
12:36 après quelques jours, parce qu'il avait,
12:38 sans doute, une vie ailleurs,
12:40 même s'il voulait rester, assurément,
12:42 mais il avait cette liberté. Et je crois
12:44 que le rapport a commencé à se détériorer
12:46 au moment où on a commencé
12:48 à dire, à lire, à écrire que c'était Pompidou
12:50 qui avait sauvé la situation
12:52 et que le général de Gaulle commençait à perdre
12:54 la main. C'était une inversion de la logique
12:56 des institutions de la Ve République.
12:58 Et l'attitude de Pompidou a été
13:00 dans cette période à la fois formidable
13:02 et impardonnable, sans aucun doute.
13:04 C'était les deux à la fois.
13:06 - C'est intéressant parce que... Oui, pardon.
13:08 Pour en revenir, effectivement,
13:10 à la question, la petite
13:12 divergence que j'aurais peut-être avec Gilles,
13:14 c'est que je pense aussi que Pompidou
13:16 s'est présenté d'une façon très pragmatique,
13:18 mais le pragmatisme, il l'avait
13:20 en commun avec le général de Gaulle,
13:22 mais essentiellement sur des sujets
13:24 qui n'étaient pas tellement des sujets politiques,
13:26 mais qui étaient beaucoup plus des sujets
13:28 économiques et technologiques.
13:30 - Et alors, ça marche quoi ?
13:32 - Il a modernisé considérablement la France
13:34 du point de vue financier, économique
13:36 et technologique.
13:38 Et il est évident qu'après
13:40 le geste gaulliste, si l'on peut dire,
13:42 et l'image qui est restée
13:44 dans l'esprit des gens,
13:46 qui était celle de la solution
13:48 des grandes crises politiques, finalement.
13:50 Et les grandes crises politiques,
13:52 on pourrait aussi bien parler,
13:54 et peut-être plus encore d'ailleurs,
13:56 de Pompidou dans la crise de 68,
13:58 mais ce qui reste
14:00 dans l'imaginaire collectif, si je puis dire,
14:02 ou dans la pensée collective,
14:04 c'est finalement le général de Gaulle,
14:06 parce que c'est aussi lui qui était à la tête de l'État.
14:08 - Mais de façon assez écrasante. Alors, c'est intéressant
14:10 parce qu'en préparant cette émission, je me suis rendu compte
14:12 que ça rejoignait peut-être ce que Pompidou souhaitait
14:14 lui-même. Jean-Michel Besat
14:16 rappelle dans Le Monde,
14:18 "La grandeur de la France était la mission que de Gaulle
14:20 s'était assignée. Un journaliste
14:22 qui lui demandait en 69 ce qu'il aimerait
14:24 que les gens retiennent de lui, Pompidou répondit
14:26 avec une modestie pleine d'esprit,
14:28 "Les peuples heureux n'ayant pas d'histoire,
14:30 je souhaiterais que les historiens n'aient pas
14:32 trop de choses à dire sur mon mandat."
14:34 Finalement, c'est un peu ce qui s'est passé.
14:36 Pierre Mananty, les historiens ont un peu
14:38 oublié Pompidou ?
14:40 - Non, alors il y a eu beaucoup de travaux historiques sur Georges Pompidou,
14:42 des biographies, et Eric Roussel notamment
14:44 a fait un travail assez pionnier
14:46 et ensemblier après Anna Frèrejean sur
14:48 Georges Pompidou. - Alors, j'en prends ma question, le grand public
14:50 a un peu oublié Pompidou ?
14:52 - Je suis d'accord avec Michel-Hélien Mariança,
14:54 l'image de De Gaulle a écrasé Pompidou
14:56 parce que De Gaulle
14:58 a été celui qui a solutionné la crise
15:00 et qui a créé un mouvement politique autour de lui.
15:02 Quand on regarde Jacques Chirac,
15:04 Valéry Skardestin, par la suite, ils ont tous créé leur propre
15:06 parti et leur propre mouvement politique
15:08 alors que Georges Pompidou
15:10 s'est inscrit dans le siège du général De Gaulle, mais il n'existe pas
15:12 de parti pompidolien, pour rebondir
15:14 sur votre question tout à l'heure, il n'existe pas
15:16 les grandes personnalités qui ont accompagné
15:18 Pompidou, des Jacques Chabot d'Helmas,
15:20 des Pierre Mesmer, des Roger Frey,
15:22 des Olivier Guichard, avaient
15:24 un lignéage politique avec De Gaulle,
15:26 pas forcément avec Pompidou. Et donc il n'a pas
15:28 créé d'instant Pompidou,
15:30 il a transformé le pays profondément.
15:32 - Oui mais ce qui est énorme, ce que les Français auraient pu
15:34 retenir, pourquoi ?
15:36 - Il a fait des transformations. - Je pense qu'il est quand même
15:38 lié dans l'esprit des Français
15:40 - À De Gaulle. - Mais autant de glorieuse.
15:42 Tout de même,
15:44 le premier choc pétrolier
15:46 arrive en 1974, à peu près au moment
15:48 où il meurt. Et donc
15:50 c'est une période
15:52 extrêmement heureuse, comme il l'a souligné
15:54 lui-même, de croissance économique
15:56 et quand l'économie va,
15:58 tout va. Alors que
16:00 après, bon, il va y avoir
16:02 d'autres réformes,
16:04 mais
16:06 Pompidou, je pense, c'est
16:08 la croissance. C'est une croissance
16:10 à deux chiffres et c'est
16:12 formidable parce que, voilà,
16:14 on va se doter aussi
16:16 d'une force nucléaire, et grâce
16:18 à De Gaulle, donc on va maîtriser
16:20 l'énergie. Enfin, il y a des choses
16:22 très très importantes qui se
16:24 décident à ce moment-là. - Pompidou,
16:26 ce sont les années heureuses, Gilles Boyer,
16:28 ou c'est un mythe, ces années heureuses ?
16:30 - On le sait mieux avant,
16:32 et on revient à la mode.
16:34 Mais je
16:36 pense qu'en effet, c'était des années où
16:38 la France ne savait pas qu'elle était heureuse, en vérité.
16:40 Voilà, parce qu'il y a toujours des raisons
16:42 de râler d'être malheureux
16:44 et c'est bien compréhensible. Mais en l'occurrence,
16:46 c'était, comme l'a dit Béatrice, des années
16:48 avec une croissance économique
16:50 très forte, avec une modernisation
16:52 accélérée.
16:54 Et donc, je me méfie du "c'était mieux avant",
16:56 mais je crois qu'en effet, ça a été
16:58 avant le choc pétrolier, des années
17:00 où la France était sans doute heureuse
17:02 sans le savoir. - Et vous voyez des héritiers à Georges Pompidou
17:04 aujourd'hui ?
17:06 - Certains se réclament. Je pense
17:08 à David Distan, qui vient de signer un livre
17:10 hommage avec Christophe Tardieu
17:12 à Georges Pompidou, mais c'est peut-être
17:14 un des rares, sur le spectre politique actuel,
17:16 qui revendique cette filiation à Georges Pompidou.
17:18 Le grand héritier, c'était Chirac.
17:20 - La phrase de Pompidou qui est la plus revendiquée aujourd'hui
17:22 par tout le monde, c'est "arrêtez d'emmerder les Français".
17:24 C'est la phrase qui
17:26 fait consensus dans la classe politique,
17:28 tout au moins en théorie. - Et qui traverse l'isage
17:30 sans aucun problème. - Voilà, tout au moins
17:32 en théorie. - Le pompidolisme est en train
17:34 de revenir. Certains voudraient revendiquer
17:36 leur héritage. Vous le sentez comme ça, Michel Dalliomarie ?
17:38 - Je ne suis pas sûre.
17:40 D'ailleurs, je pense qu'on manque
17:42 de culture historique, d'une façon
17:44 générale, en politique.
17:46 Donc, on oublie les héritages
17:48 et on se projette
17:50 dans des futurs qui sont
17:52 bien éclatés et auxquels il manque
17:54 une vision. - Emmanuel Macron,
17:56 d'une certaine façon,
17:58 se revendique un peu de cet héritage.
18:00 Moderniser la France, la France du plein emploi.
18:02 - Pragmatisme économique. - Il a été
18:04 banquier dans la même banque.
18:06 Donc, il y a ce
18:08 point commun aussi, le pragmatisme,
18:10 le primat de l'économie, etc.
18:12 Sauf que
18:14 on n'est pas du tout dans la même société.
18:16 Comme le rappelait Gilles,
18:18 7e et 5e républiques, ils l'ont construite
18:20 ensemble, de Gaulle et
18:22 Pompidou. Et après,
18:24 on a eu quand même des réformes
18:26 tellement importantes dans cette
18:28 constitution, notamment le passage au quinquennat.
18:30 La raison
18:32 effectivement
18:34 pour laquelle la longévité de Pompidou à
18:36 Matignon ne peut être battue, c'est que
18:38 maintenant, le mandat est à 5 ans.
18:40 Donc, forcément,
18:42 un Premier ministre ne peut pas rester.
18:44 L'inversion du calendrier,
18:46 tout ça fait que le rapport entre le Premier
18:48 ministre et le Président de la République
18:50 n'est plus le même. - Alors justement,
18:52 ce film nous interroge aussi plus généralement
18:54 sur cette relation complexe,
18:56 inhérente au couple exécutif de la 5e République.
18:58 Comment se positionner quand on est,
19:00 entre guillemets, que le Premier ministre ?
19:02 Doit-on s'interdire d'avoir des ambitions ?
19:04 Est-ce qu'on peut se fabiliser quand on en a ?
19:06 Ce lien est-il décidément voué à la rupture ?
19:08 Je vais vous poser toutes ces questions. Je voudrais d'abord que l'on réécoute
19:10 un passage du film, où l'on comprend
19:12 à quel point ça a été difficile
19:14 pour Pompidou de prendre la suite
19:16 du Président de Gaulle.
19:18 - Ça a été sans doute très,
19:20 très douloureux pour lui
19:22 d'assumer cette succession
19:24 en ayant l'air de tuer le père.
19:26 Pour lui, c'était quelque chose
19:28 certainement très difficile, parce que
19:30 Georges Pompidou n'était pas un monstre froid.
19:32 C'était une vraie...
19:34 une vraie affection pour le général.
19:36 - Et à une ou deux reprises, j'ai entendu
19:38 Pompidou évoquer ses relations avec De Gaulle,
19:42 mais sur un thème, comment vous dire,
19:44 très nostalgique
19:46 et très intime,
19:48 comme de bons souvenirs d'autrefois.
19:52 Et derrière, il y avait quand même,
19:54 on sentait très bien,
19:56 la mélancolie
20:00 d'avoir vu ses bons souvenirs
20:02 prendre fin comme ils avaient pris fin.
20:04 - C'est difficile de tuer le père
20:06 quand on a été Premier ministre, Gilles Boyer ?
20:08 - Je ne sais pas si je suis le mieux placé
20:10 pour répondre à cette question.
20:12 Disons que c'est une relation
20:14 que je peux qualifier d'impossible,
20:16 même si beaucoup de gens l'ont exercée,
20:18 les ont exercée. D'abord parce que
20:20 on marche sur un fil quand on est Premier ministre.
20:22 - Pourquoi ? - Parce qu'il ne faut pas être mauvais,
20:24 mais il ne faut pas non plus être trop bon,
20:26 il ne faut pas être absent, mais il ne faut pas non plus
20:28 être trop présent. Il ne faut pas
20:30 réussir trop de choses et il ne faut évidemment
20:32 pas en rater trop. Donc on marche
20:34 sur un fil en permanence.
20:36 D'ailleurs, il y a des relations entre
20:38 le Président et le Premier ministre qui se sont très bien passées.
20:40 Mais enfin, sur la durée, c'est difficile
20:42 de marcher sur un fil pendant plusieurs années
20:44 sans jamais déraper, faire
20:46 d'erreur. Et donc,
20:48 d'ailleurs on l'a vu depuis,
20:50 et cette relation, elle est citée en exemple.
20:52 Alors que pourtant, nous avons vu que
20:54 elle ne s'était pas très bien terminée.
20:56 Mais elle est citée en exemple de longévité
20:58 et puis aussi parce que c'était le général.
21:00 Il faut aussi se remettre
21:02 dans la période. Donc c'est une fonction
21:04 très difficile.
21:06 Je dirais que
21:08 pour autant, personne n'a jamais refusé d'aller
21:10 à Matignon, tout en sachant
21:12 que ça va être très difficile.
21:14 Et que, évidemment, selon les cas,
21:16 je mets les cohabitations à part, comme l'a fait
21:18 Michel Laliomari.
21:20 Mais c'est quand même une fonction
21:22 que tous ceux qui l'ont
21:24 exercée décrivent comme un
21:26 équilibre très précaire entre
21:28 garder la confiance du Président
21:30 sur la durée, garder le soutien
21:32 de la majorité parlementaire sur la durée,
21:34 et marcher sur ce fil.
21:36 - Une fonction dans laquelle on doit s'interdire
21:38 d'avoir des ambitions présidentielles ?
21:40 Vous avez déjà un petit peu répondu.
21:42 Michel Laliomari, c'est compliqué ?
21:44 - Moi je pense que c'est impossible
21:46 de ne pas avoir d'ambition présidentielle. Ou alors,
21:48 il peut y avoir des cas un peu exceptionnels.
21:50 Je dirais qu'il y a plusieurs cas de figure
21:52 qui dépendent finalement
21:54 des hommes d'abord, de leur histoire
21:56 personnelle et de leur contexte.
21:58 Rocart et Castex,
22:00 c'est pas la même chose. Born et Valls,
22:02 c'est pas la même chose.
22:04 Et donc, les uns et les autres peuvent évoluer,
22:06 bien entendu, mais vous avez ceux
22:08 qui instaurent une sorte de cohabitation
22:10 tacite dès le départ,
22:12 même s'ils sont du même parti que le Président.
22:14 Bon, Rocart,
22:16 Mitterrand, on connaissait la rivalité
22:18 dès le départ, et il est évident que
22:20 Rocart ambitionnait de diriger la France.
22:22 Je pense que Valls, ça n'est pas
22:24 non plus caché.
22:26 Bon, vous avez
22:28 Villepin et Chirac,
22:30 on a eu également ce genre de
22:32 situation. Donc, vous avez ce qui
22:34 est finalement sous-jacent, mais tellement
22:36 apparent que ça ne pose pas de problème. Et puis,
22:38 il y a des cas un peu plus compliqués, je pense que Gilles
22:40 faisait allusion notamment à Alain Juppé,
22:42 en la matière, où effectivement, il y a une relation
22:44 qui est une relation
22:46 un peu filiale, vous avez utilisé le terme
22:48 au départ entre Pompidou et De Gaulle,
22:50 mais qui ne l'empêche pas
22:52 qu'il y en a un qui
22:54 estime qu'il est le meilleur, comme on lui a
22:56 dit, et par conséquent, sa vocation
22:58 c'est de devenir Président.
23:00 Et tout ceci, effectivement,
23:02 crée une situation, très vite,
23:04 une situation de tension
23:06 qui, finalement,
23:08 ne fait probablement que
23:10 conforter l'ambition de celui
23:12 qui est Premier ministre. - Vous voulez y intervenir, Jigmé ?
23:14 Après, je vous donne la parole. - Oui, pardon, je voulais juste
23:16 ajouter qu'il y a dû y avoir à peu près une vingtaine
23:18 de Premiers ministres sous la Ve République, je n'ai pas refait le compte.
23:20 Il n'y en a que deux
23:22 qui sont arrivés à l'Élysée après avoir exercé
23:24 cette fonction, et aucun des deux
23:26 immédiatement après. - Ça prouve à quel point c'est compliqué.
23:28 - Donc, ce n'est pas impossible,
23:30 mais ce n'est pas l'hypothèse
23:32 la plus faible.
23:34 - C'est ce que m'avait dit d'ailleurs Jacques Chirac.
23:36 À un moment donné,
23:38 il m'avait fait venir, puisqu'il a envisagé
23:40 de me nommer Premier ministre, et il hésitait entre
23:42 Villepin et moi, et il m'a dit
23:44 une chose qui était drôle, c'est-à-dire qu'il m'a dit
23:46 "il va falloir que vous choisissiez
23:48 parce que celui qui ira à Matignon ne se présentera pas
23:50 à la présidentielle".
23:52 Il ne pourra pas se présenter à la présidentielle.
23:54 - Vous voulez intervenir, Béatrice ?
23:56 - Sur le choix du Premier ministre,
23:58 puisque c'est une prérogative du Président de la République,
24:00 évidemment, il entre en compte
24:02 la question de la majorité,
24:04 qui ne laisse pas un choix
24:08 énorme quand il y a eu un rat de marée
24:10 aux législatives qui n'est pas du
24:12 parti du Président, et puis
24:14 il y a aussi, en arrière
24:16 de la tête,
24:18 probablement, cette question
24:20 "est-il un rival ?"
24:22 Et quand, par exemple,
24:24 Jacques Chirac nomme
24:26 miraculeusement réélu
24:28 en 2002, nomme Jean-Pierre
24:30 Raffarin à Matignon,
24:32 il y en avait beaucoup qui piafaient,
24:34 notamment Nicolas Sarkozy qui disait
24:36 dans Paris "qui, Raffarin ?"
24:40 Et Jérôme Monod, l'un des conseillers
24:42 de Chirac, disait "au moins,
24:44 il est sûr qu'il ne lui plantera pas
24:46 un couteau dans le dos."
24:48 C'est un vocabulaire assez
24:50 guerrier, très dur.
24:52 - On a déjà ça chez le général de Gaulle,
24:54 quand il choisit Georges Pompidou en 1962,
24:56 il ne choisit pas un des grands barons de la famille Gaulliste,
24:58 il y a des grandes personnalités,
25:00 Chaban, président de l'Assemblée Nationale,
25:02 Debray vient de quitter Matignon...
25:04 - Il ne veut pas de rival. - Il ne veut pas de rival.
25:06 Et il choisit d'ailleurs à l'époque... Pompidou est un outsider.
25:08 Les grandes figures de la famille Gaulliste
25:10 sont très étonnées lorsque le général de Gaulle choisit
25:12 Georges Pompidou, parce qu'il choisit presque
25:14 un technicien, un administrateur dont il connaît les qualités,
25:16 en qui il a confiance, il ne faut pas oublier
25:18 que dès les années 40, il lui confie la fondation
25:20 à Anne de Gaulle, du nom de sa petite fille
25:22 Trisomyx, on parlait tout à l'heure d'un lien familial
25:24 entre les deux hommes, Pompidou est entré dans le cercle
25:26 familial de Gaulle, c'est vraiment quelqu'un de très proche,
25:28 mais ça n'est pas un politique.
25:30 Et puis la rupture, c'est vraiment cette préhensielle 65.
25:32 Quand on étudie le mandat de Pompidou
25:34 auprès de de Gaulle, il y a deux parties, 62-65
25:36 où il est le collaborateur,
25:38 le principal collaborateur, et puis
25:40 cette élection présentielle, où Pompidou
25:42 a des ambitions, où Pompidou se révèle
25:44 comme quelqu'un qui voudrait bien le jour venu succéder,
25:46 et à partir du moment où en janvier
25:48 66, il est confirmé, c'est un rival
25:50 qui est confirmé, et pour reprendre
25:52 ce que vous disiez tout à l'heure, c'est un petit peu une forme
25:54 de cohabitation, on sait qu'on a choisi son premier ministre,
25:56 mais on sait qu'on est maintenant dans un match
25:58 qui va se jouer, et là, c'est là que
26:00 commencent les mots durs, c'est là que commence la remise
26:02 en question du général de Gaulle, c'est là que commencent
26:04 dans la presse et dans le milieu politique les critiques,
26:06 est-ce que c'est pas Pompidou qui est vraiment gouverne ?
26:08 Et ça va aller jusqu'à Lally et jusqu'à
26:10 cette rupture de 68. - Mais quand on voit que
26:12 seuls deux premiers ministres ont réussi à être président
26:14 de la République, on peut quand même se demander si finalement
26:16 le premier ministre n'est pas condamné à être l'éternel
26:18 super collaborateur, c'est l'expression
26:20 qu'on emploie, Gilles Boyer.
26:22 - Alors l'expression de collaborateur pour
26:24 un premier ministre, elle a été utilisée,
26:26 elle n'a pas porté bonheur à celui
26:28 à qui elle s'appliquait d'ailleurs, mais
26:30 en vérité, je crois qu'il n'y a pas
26:32 de règle, voilà, c'est pas une fatalité.
26:34 C'est pas une fatalité d'abord parce que
26:36 chaque situation est différente.
26:38 - Vous voyez un ancien premier ministre
26:40 devenir président de la République ? - Ça peut tout à fait
26:42 arriver une troisième fois, oui absolument, c'est tout à fait
26:44 possible, c'est tout à fait possible. - Mais je pense
26:46 qu'aux yeux du président
26:48 qu'il nomme, il a toujours
26:50 dans l'idée que celui qui va travailler avec
26:52 lui va en réalité travailler pour lui.
26:54 Et
26:56 c'est le moment où ça
26:58 bascule, où celui
27:00 qui devient premier
27:02 ministre et qui au début
27:04 a quasiment forcément de l'admiration
27:06 pour celui qui vient d'être élu
27:08 et qui l'a nommé,
27:10 il pense ensuite qu'il peut
27:12 travailler pour lui-même. - C'est tout sûr.
27:14 - Et pour sa carrière, et c'est ça aussi le problème.
27:16 Et je pense que dans
27:18 la relation du général de Gaulle
27:20 avec Georges Pompidou, il y a probablement
27:22 eu aussi l'idée du général
27:24 qu'on ne peut travailler que pour
27:26 la France. Et donc que penser
27:28 à sa carrière, c'est penser
27:30 à sa carrière que de vouloir devenir président
27:32 de la République, c'est finalement
27:34 déroger un peu.
27:36 - Ça reste une relation hiérarchique,
27:38 il ne faut pas l'oublier, il faut le revendiquer,
27:40 il faut l'assumer, c'est la vérité.
27:42 Et d'ailleurs en politique, il y a une
27:44 véritable hiérarchie entre celui qui est élu et celui
27:46 qui est nommé. Ça se retrouve à tous les échelons,
27:48 on retrouve ça à tous les échelons,
27:50 entre ceux qui sont élus à tous les niveaux,
27:52 au niveau local, au niveau
27:54 national, et puis ceux qui sont nommés
27:56 par eux. Et c'est tout à fait logique,
27:58 et c'est tout à fait dans la logique de la
28:00 prééminence du politique. - Oui, nos textes
28:02 fonctionnent comme ça, nos institutions fonctionnent comme ça.
28:04 - Pas tout à fait, en fait, puisque la
28:06 constitution de 58, elle dit
28:08 "le Premier ministre définit et conduit
28:10 la politique du gouvernement". Or, on
28:12 voit bien que la plupart du temps, tout finit par
28:14 se passer à l'Élysée. Moi, je crois
28:16 que le roi ne choisit jamais son
28:18 successeur, en fait. Ça me paraît
28:20 être une règle psychologique
28:22 assez évidente.
28:24 Quand...
28:26 Alors, ce n'est pas l'apparence des choses,
28:28 mais quand
28:30 Chirac choisit Juppé,
28:32 il veut Juppé, il l'a toujours
28:34 couvée, il lui a donné des circonscriptions
28:36 gagnables, il est, voilà,
28:38 c'est son "fils spirituel",
28:40 entre guillemets.
28:42 Mais il sait que Juppé ne va
28:44 jamais devenir président de la République.
28:46 - Vous avez un avis, Gilles Boyer ?
28:48 - Oui, j'ai un avis, mais qui n'est pas étayé par des
28:50 conversations avec les intéressés, donc je ne peux pas tellement
28:52 en dire. J'ai le sentiment qu'entre
28:54 Jacques Chirac et Alain Juppé, il y avait
28:56 une relation de grande confiance. Vous parliez de la
28:58 situation de Jean-Pierre Raffarin, et c'est vrai que Jacques Chirac
29:00 savait qu'Alain Juppé
29:02 ne lui mettrait du point, ne lui mettrait jamais de couteau
29:04 dans le dos. - C'était pareil avec Juppé.
29:06 - Oui, c'est ce que je... Oui, oui, c'est exactement...
29:08 Je parlais d'Alain Juppé, en l'occurrence,
29:10 ici, et donc,
29:12 après, ce que Jacques Chirac avait dans l'intimité
29:14 de son être,
29:16 l'intime conviction que jamais Alain Juppé
29:18 serait président, moi, je n'ai pas ressenti ça.
29:20 J'ai senti, au contraire,
29:22 que Alain Juppé
29:24 a pâti d'être considéré comme le fils
29:26 préféré, d'une certaine manière. Et ça a à la fois
29:28 aidé,
29:30 favorisé son ascension politique,
29:32 et en même temps, ça lui a nui
29:34 aussi, parce qu'il était devenu la cible de tous les autres.
29:36 - Mais il n'avait
29:38 pas eu
29:40 le tempérament à tuer le père.
29:42 - Une dernière question... - Je ne sais pas
29:44 s'il faut le critiquer pour ça.
29:46 - Une dernière question... - C'est juste un constat.
29:48 - Pour clore ce débat, parce qu'il arrive à sa fin,
29:50 ce sera ma dernière question,
29:52 et peut-être votre mot de conclusion. Est-ce que
29:54 nos institutions poussent à une hyper-présidentialisation,
29:56 et qu'il faudrait peut-être rééquilibrer
29:58 les choses pour redonner une autre place
30:00 au Premier ministre, autre que celle de super collaborateur,
30:02 éternel trahi,
30:04 et incapable de devenir président
30:06 de la République ? - Pierre Mananty.
30:08 - D'abord,
30:10 si le président a
30:12 du mal à choisir son successeur,
30:14 et du mal à créer cette relation avec son Premier ministre,
30:16 c'est aussi parce que dès lors qu'il pense à la suite,
30:18 il perd en pouvoir, il perd en puissance
30:20 sur la scène politique. Pourquoi,
30:22 on a beaucoup évoqué Chirac et quelques autres,
30:24 mais pourquoi De Gaulle ne se résout pas à préparer
30:26 la suite ? Parce qu'il sait que dès lors qu'il dira
30:28 le nom de son successeur, et qu'il dira son désir
30:30 de partir, il s'affaiblira.
30:32 L'amiral De Gaulle, qui vient de publier ses derniers
30:34 souvenirs, il y a quelques jours, qui ont été publiés
30:36 de manière posthume, après sa disparition,
30:38 il écrit que son père s'apprêtait
30:40 à quitter le pouvoir en 1971,
30:42 et aurait eu le projet de quitter le pouvoir en 1971,
30:44 et finalement, précipite son départ en 69
30:46 avec ce référendum. Mais,
30:48 pour les historiens spécialistes du sujet,
30:50 jamais à aucun moment, De Gaulle n'est esquissé
30:52 de préférence sur la suite. Que ça soit vis-à-vis
30:54 de Debray, de Pompidou, ou plus tard
30:56 de Couvre-Veu de Murville, ces trois premiers ministres.
30:58 Parce que dès lors qu'ils mettaient le doigt dans l'engrenage,
31:00 c'était terminé, il n'était plus
31:02 le centre du pouvoir. - On choisit jamais son successeur.
31:04 - On ne choisit pas son successeur, je suis d'accord avec vous.
31:06 Après, pour répondre à votre question sur
31:08 ce rapport, Premier ministre, Président,
31:10 je pense que dans l'esprit
31:12 de nos institutions, telles que le Général l'a voulu,
31:14 il y a aussi ce rapport de pouvoir,
31:16 un rapport de pouvoir hiérarchique, pour reprendre le mot de Gilles Boyer.
31:18 Il est voulu tel quel, le Premier
31:20 ministre est celui qui, aux côtés du Président de la République,
31:22 met en oeuvre la politique du pays.
31:24 Ce n'est pas deux têtes différentes,
31:26 ce sont deux partenaires
31:28 d'une même dynamique. - Ils sont censés l'être,
31:30 en tout cas. - Je crois que c'est paradoxalement,
31:32 dans les périodes de cohabitation, nous avons vu presque
31:34 le vrai visage de la Ve République
31:36 dans l'esprit de ses fondateurs,
31:38 c'est-à-dire sur la répartition
31:40 entre le Président et le Premier ministre,
31:42 en l'occurrence en période de cohabitation,
31:44 la répartition est beaucoup plus claire.
31:46 Pour répondre à votre question, moi j'ai les plus grands doutes
31:48 sur le fait que nous pourrions revenir en arrière
31:50 avec un Président en surplomb.
31:52 Aujourd'hui, je crois que l'attente des citoyens
31:54 qui ont élu ce Président, c'est qu'il s'occupe
31:56 de tout, pour mieux ensuite lui reprocher de s'occuper
31:58 de tout. C'est une relation, finalement,
32:00 d'une grande complexité.
32:02 - Oui, moi je ne suis pas du tout d'accord
32:04 avec Gilles sur ce plan. Je pense que
32:06 la Constitution de 1958
32:08 était très équilibrée.
32:10 Et l'affaire du domaine
32:12 réservé dont on parlait tout à l'heure,
32:14 qui faisait que le Président de la République
32:16 est en charge, finalement,
32:18 d'une vision dont on manque
32:20 aujourd'hui. Les Français ne savent plus où on va.
32:22 Et je pense que c'est un vrai problème.
32:24 Ils ont besoin de ça.
32:26 Ils ont besoin d'avoir une certaine assurance,
32:28 notamment en termes de sécurité, d'où
32:30 effectivement la défense,
32:32 et ô combien ces temps-ci, et des affaires
32:34 étrangères, je pense que
32:36 c'était un véritable équilibre.
32:38 Et je pense que chaque fois
32:40 que l'on doit légiférer, il faut
32:42 avoir une plume tremblante,
32:44 disaient nos ancêtres.
32:46 Je pense que c'est vraiment
32:48 le cas et qu'on a trop rajouté
32:50 et donc on a fait perdre
32:52 de ce rôle très encadreur,
32:54 en quelque sorte, de la Constitution.
32:56 Et le Président
32:58 de la République demeure, malgré tout,
33:00 quand on discute,
33:02 c'est là où, Gilles, je ne suis pas tout à fait d'accord,
33:04 quand on discute avec les gens, le Président
33:06 demeure le dernier recours.
33:08 Si vous allez directement à lui,
33:10 vous n'avez plus de dernier recours.
33:12 Et dans un pays qui est
33:14 très éruptif,
33:16 Jacques Chirac le disait bien,
33:18 c'est quand même un pays de révolution,
33:20 on a besoin, pour éviter
33:22 les affrontements, pour garder
33:24 un minimum d'unité nationale,
33:26 de quelqu'un qui est le recours et qui
33:28 permet un arbitrage suprême, quitte à se
33:30 couper parfois, c'est un autre problème.
33:32 Et je crois qu'il faut être
33:34 très simple quand on parle
33:36 d'institution, parce que c'est le cadre général
33:38 de vie d'un pays.
33:40 - Pour conclure, Béatrice Curie ?
33:42 - L'hyperprésent... - Présidentialisation.
33:44 - Merci beaucoup.
33:46 Est-ce qu'elle est
33:48 inhérente à cette Constitution ?
33:50 Je pense qu'elle est
33:52 plutôt...
33:54 Elle est plutôt
33:56 inhérente à la personnalité
33:58 de celui qui occupe ce poste.
34:00 Car il y a
34:02 toujours
34:04 dans l'esprit "je suis
34:06 élu par le peuple".
34:08 Donc, cette magistrature
34:10 suprême, comme on l'appelle,
34:12 elle a une
34:14 onction qui est celle
34:16 de l'ensemble des Français, puisque une majorité
34:18 se dégage, et peu importe
34:20 au fond qu'elle soit très large
34:22 ou très ricrac
34:24 quand elle arrive, après
34:26 c'est l'exercice du pouvoir qui va la
34:28 conforter ou déstabiliser
34:30 le président ou la
34:32 présidente élue.
34:34 La présidente,
34:36 réponds un peu.
34:38 Je pense qu'on ne peut pas
34:40 éviter de tirer vers
34:42 cette personne-là qui a reçu
34:44 l'onction du suffrage universel.
34:46 - A condition de ne pas descendre sous 50%
34:48 de la participation.
34:50 - Et ce sera le mot de la fin. Merci.
34:52 On ne va pas relancer le débat.
34:54 - Merci beaucoup. Merci à tous les quatre d'avoir participé
34:56 à cette émission. Merci à vous de nous
34:58 avoir suivis comme chaque semaine.
35:00 Émissions et documentaires à retrouver en replay
35:02 sur notre plateforme publicsena.fr
35:04 A très bientôt. Merci.
35:06 [Musique]