• il y a 10 mois
Dans la baie du Mont-Saint-Michel, ce film raconte une saga judiciaire opposant un berger de moutons de prés-salés apôtre du pastoralisme et une association environnementale qui prône le droit de l'environnement. L'objet du litige : une bergerie en bois construite sans permis en infraction avec la loi littoral.
François, néo-berger issu d'une famille de notables normands, incarne l'agriculture paysanne rêvée pour la baie. Dans ce portrait idéal, la construction illégale en 2009 de sa bergerie sur le littoral avec l'aval d'élus locaux, est un péché originel qui le hante. Depuis, le combat judiciaire a progressivement fait basculer sa vie.
Ce n'est pas un hasard si le combat du berger François Cerbonney résonne au-delà de la Manche. Dans sa lutte effrénée, il interroge les fondements même de notre état de droit : la loi doit-elle être supérieure au bon sens ? Un berger qui participe à l'équilibre naturel de la baie du Mont-St-Michel peut-il continuer son activité indéfiniment alors même qu'il est en infraction la loi ?
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Transcription
00:00 (Générique)
00:03 ---
00:14 (Générique)
00:18 ---
00:23 -C'est l'histoire d'une bataille judiciaire
00:25 entre une association de protection de l'environnement,
00:28 qui fait tout pour faire respecter la loi,
00:30 et un berger épris de grands espaces et de liberté.
00:34 La protection de ce paysage somptueux les réunit
00:38 et pourtant, tout les oppose.
00:40 -C'est une affaire qui traîne depuis 20 ans
00:43 dans le paysage local.
00:45 Quand il a commencé à construire sa bergerie sans permis,
00:48 les ennuis ont commencé.
00:50 (Générique)
00:53 -L'histoire d'un berger aussi buté qu'un bélier.
00:56 Un berger hors la loi.
00:58 -Evidemment, il est hors la loi.
01:00 C'est pas l'association qui le dit, c'est les tribunaux.
01:03 Et les tribunaux sont appuyés sur la loi électorale.
01:06 Les tribunaux confirment ce que dit la loi.
01:10 La messe est dite.
01:12 -Prends soin de ton bébé.
01:15 (Générique)
01:17 -Depuis 15 ans, cet homme et ses bêtes
01:20 sont embourbés dans un conflit qui les dépasse.
01:23 -Eh oui.
01:25 -Lorsqu'on a vu que, d'un seul coup,
01:27 François était attaqué pour une bergerie en bois,
01:32 parce qu'on est dans "Les trois petits cochons"
01:34 et le loup qui vient détruire,
01:36 on s'est dit "Qu'est-ce qui se passe à Genet ?"
01:39 -Allez, viens, bébé.
01:41 -Un combat où citoyens, élus, fonctionnaires,
01:45 remettent en question des décisions de justice.
01:48 -En tant que maire, je fais le constat
01:51 que nous sommes dans une situation complètement ubuesque
01:54 -Où deux visions de l'écologie s'affrontent,
01:57 une écologie dictée par la loi
01:59 contre une écologie de terrain.
02:01 -Au moment où la grande majorité des bergeries a disparu,
02:04 cette bergerie, ça fait mal aux tribes
02:07 de savoir qu'elle doit disparaître.
02:09 -Un duel pour une bergerie à la vie et à la mort.
02:12 -Aujourd'hui, ce garçon paye très cher.
02:15 Il a failli le payer de sa vie.
02:17 -C'est comme si on mettait à mort un homme
02:20 et c'est quelque chose de profondément injuste.
02:24 Le paysan est un de nos héros modernes.
02:26 Musique douce
02:29 ...
02:33 Les oiseaux
02:35 ...
02:43 -Le héros de cette histoire, ou plutôt l'anti-héros, c'est lui.
02:48 ...
02:55 -Je m'appelle François Serbonnet.
02:57 J'habite ici depuis plus de 30 ans.
02:59 Je suis berger de la baie depuis plus de 20 ans.
03:02 ...
03:07 Sifflement
03:09 C'est magique, la baie.
03:11 On a une merveille au milieu, un joyau, le Mont-Saint-Michel.
03:15 ...
03:17 Et autour, on a d'autres merveilles qui font partie du patrimoine aussi.
03:21 Les herbus, les présalés.
03:23 ...
03:24 Et les agneaux présalés.
03:26 -Venez, venez, venez ! Come on !
03:28 -Voilà, il faut que toute la baie,
03:30 il faut la sauvegarder pendant le plus longtemps possible.
03:34 Et les moutons et les bergers en font partie.
03:36 -Pour François, humains, animaux et végétaux
03:40 ne sont pas des entités séparées.
03:42 Nous appartenons tous au même écosystème à protéger.
03:46 -Quand j'étais jeune, j'étais plutôt un contemplatif.
03:49 J'étais bien dans la baie,
03:51 à m'extasier de pas grand-chose.
03:54 Et il manquait quelque chose sur cette prairie,
03:58 c'est des animaux pour l'entretenir.
04:00 ...
04:02 Moi, j'ai plutôt fait du pastoralisme
04:04 pour entretenir au départ cette baie que j'aime tant.
04:08 ...
04:10 Quand je suis arrivé, l'herbu était plus petit,
04:13 à peu près la moitié de celui-là.
04:15 Et le fait que les niveaux montaient,
04:17 c'était juste des nids à marécage, des nids à moustiques.
04:20 Et c'était pas un herbu entretenu comme ça
04:23 qui laisse respirer et s'exprimer
04:25 les autres formes de végétation ou de vie animale.
04:28 ...
04:31 Je regarde mes animaux faire et j'apprends beaucoup d'eux.
04:34 C'est pas à moi de leur imposer un rythme journalier.
04:37 Ils ont le leur. Ils mangent pas les mêmes plantes,
04:40 ils ont pas les mêmes horaires en fonction des saisons.
04:43 ...
04:44 -Go, please. -Go left.
04:46 ...
04:48 -La vie d'un berger,
04:49 c'est une cohabitation permanente avec son troupeau.
04:52 ...
04:54 -Moi, j'ai des animaux, j'ai un devoir de paternité.
04:57 ...
04:58 Un devoir de paternité, c'est qu'on doit les considérer
05:01 comme ses enfants et les assister toute leur vie.
05:04 S'ils ont froid, faim, c'est à nous de gérer notre troupeau.
05:08 C'est le troupeau qui dépend de nous.
05:10 ...
05:17 ...
05:25 ...
05:27 -Je suis leur papa.
05:28 Je pense que c'est mes moutons, c'est ma famille.
05:31 Famille mouton.
05:32 ...
05:35 C'est mon cheptel, mes ouailles, je suis le pasteur.
05:39 Voilà.
05:40 La petite paroisse, ma chapelle, ici, la bergerie.
05:43 ...
05:46 -Et l'objet du litige, c'est cette bergerie, justement.
05:50 ...
05:56 -Viens, ma copine. Tu viens ?
05:58 -Bon, ben, voilà, les écolos, soi-disant.
06:02 Je pense que je suis plus écologiste qu'eux,
06:05 mais ils vont le détruire, pas ce tourisme.
06:08 De faire détruire la bergerie du vilain berger.
06:11 ...
06:21 ...
06:24 -Ses adversaires depuis 15 ans, Manche Nature,
06:27 une association environnementale
06:29 affiliée à France Nature Environnement.
06:32 300 bénévoles sur le département
06:34 et 9 membres du bureau
06:36 qui ont systématiquement refusé nos demandes d'interview.
06:40 -Monsieur, la réponse reste la même.
06:43 La chose est jugée et nous n'avons pas l'intention
06:46 de la commenter tant que la décision n'est pas appliquée.
06:50 -Tant que la bergerie n'est pas détruite,
06:52 Manche Nature refuse de s'exprimer.
06:54 Alors, afin de comprendre les motivations de l'association,
06:57 nous avons retrouvé son ancien secrétaire.
07:00 Entre 2012 et 2022,
07:03 Joël Belleenfant était membre du bureau,
07:05 là où toutes les décisions sont prises.
07:08 Si aujourd'hui, il a quitté l'association
07:11 pour des raisons personnelles,
07:12 il a défendu durant 10 ans la position de Manche Nature
07:17 dans ce qu'elle appelle "l'affaire de la bergerie de Genet".
07:20 -Il voulait faire sa bergerie là,
07:22 parce que ça l'arrangeait, parce que c'était proche du Zerbu.
07:26 Là, ce n'est pas la question.
07:28 La question de base, il faut toujours revenir à la source.
07:31 La source, c'est est-ce qu'on respecte
07:35 ou pas la loi littorale ?
07:36 Est-ce que c'est possible ou pas en vertu de la loi littorale
07:40 et de la réglementation qui concerne les espaces remarquables ?
07:43 La réponse, juridiquement, elle est non.
07:46 -Le coeur du problème est là.
07:50 François, le berger poète,
07:52 a construit sans permis sa bergerie sur la baie du Mont-Saint-Michel.
07:56 Or, cette baie est protégée de l'urbanisation
08:01 par la loi littorale,
08:03 votée en 1986 à l'unanimité.
08:06 Cette loi s'applique sur toutes les côtes françaises
08:11 et interdit toute construction ou installation
08:14 à moins de 100 m de la mer.
08:16 L'herbu étant considérée comme un espace maritime,
08:19 la bergerie, construite en 2009 à environ 100 m,
08:24 est en limite de zone.
08:26 Mais surtout, la baie est classée "espace remarquable".
08:30 Donc, depuis 2006, les nouvelles constructions
08:33 doivent être légères et temporaires.
08:36 -C'est pas une petite bergerie, 1 000 m2, quasiment,
08:41 dans un espace remarquable du littoral
08:43 où toute construction est interdite.
08:45 Donc, manifestement, il y a un problème.
08:48 L'action judiciaire, bien évidemment, il faut la lancer.
08:51 -L'association a toujours été vigilante.
08:55 Et pour préserver la faune et la flore,
08:58 son arme, c'est le droit de l'environnement.
09:00 Créée par un professeur de droit,
09:03 Manche Nature est l'une des seules associations de la région
09:07 à employer une juriste à plein temps.
09:10 Elle revendique plus de 150 actions judiciaires en 20 ans.
09:15 Une stratégie payante.
09:19 En 2016, par exemple,
09:21 Manche Nature attaque une autorisation préfectorale
09:24 afin de sauver les saumons de la ville.
09:27 En 2017, elle se bat encore contre le préfet
09:31 pour éviter que des goélands argentés soient tués.
09:35 -Il faut savoir que même en cas de victoire,
09:39 un combat juridique par une association,
09:41 ça a un coût.
09:43 D'abord, le combat juridique, il faut déjà payer la juriste.
09:47 On a parfois des succès importants
09:49 parce qu'on effectue un travail conséquent.
09:52 Ca aide beaucoup pour monter les dossiers, les recours, etc.
09:56 Et quand on arrive autour de la table en commission,
10:00 contrairement à d'autres,
10:03 on a regardé les dossiers.
10:04 On sait de quoi on parle.
10:08 Voilà.
10:10 -Pour ces protecteurs de la nature, tenaces, rigoureux et légalistes,
10:17 aucun passe-droit n'est acceptable.
10:19 -Au départ, on comprend que vis-à-vis de sa famille,
10:24 beaucoup d'anciens élus l'ont soutenu
10:26 parce que fils d'une famille de notables locales...
10:31 Sauf qu'ils ont tous oublié qu'il y avait un problème avec le littoral.
10:35 Et cette espèce de déni d'existence de textes
10:39 qui fait que, pour les structures associatives,
10:43 ça devient agaçant comme genre de comportement.
10:54 -D'un côté, une association qui protège la baie
10:56 avec des textes de loi.
10:58 De l'autre, un berger qui protège la même baie avec ses moutons.
11:06 Comment en sont-ils arrivés à s'opposer ?
11:09 Pour comprendre, il faut revenir aux sources du conflit, la bergerie,
11:17 et creuser l'engagement de François pour ses moutons.
11:22 Sonnerie.
11:23 -Oui ?
11:26 -François Cerbonnet,
11:27 j'asserre Bonnet, ici dans la région,
11:29 c'est un nom connu, parce qu'à Vranches,
11:32 c'était un magasin, une droguerie, qui a ouvert en 1905.
11:36 La droguerie, maintenant, est devenue un grand magasin.
11:39 C'est quelqu'un qui est issu d'une famille connue, bourgeoise.
11:42 François Cerbonnet, c'est un peu l'électron libre
11:45 de la famille, un peu le marginal, si j'ose dire.
11:48 -Ça, je commets une image.
11:51 J'étais à l'école chez les Bonnesœurs.
11:53 À l'école, j'étais timide et réservé et studio.
11:57 -Comme il était très intelligent,
12:00 je pense qu'il aurait pu faire des grandes études,
12:03 mais ça lui convenait pas.
12:05 Il avait besoin de nature.
12:07 François est venu habiter chez sa grand-mère,
12:13 à Saint-Léonard.
12:15 Il y avait une petite bergerie,
12:20 puisque c'était vraiment au bord des grèves,
12:23 et donc il a commencé à élever des moutons.
12:27 Il devait avoir vingtaines d'années.
12:29 Donc il est devenu berger,
12:31 il a fait une formation, bien sûr, pour ça.
12:34 Et disons que le métier de berger lui convenait tout à fait.
12:38 Les animaux, la nature, être chez sa grand-mère, aussi.
12:45 Il adorait cette maison qu'il habite maintenant.
12:49 Et de mouton en mouton,
12:51 eh bien, il a évolué dans son cheptel.
12:54 Il a cherché des terrains
12:57 pour construire une bergerie plus conséquente, évidemment.
13:01 Le maire de Genet de l'époque, qui était Alain Lalisse,
13:06 lui a dit "Écoute, au Manet, il y a des terrains à vendre.
13:11 "Achète un terrain au Manet, du côté de Genet.
13:14 "C'est juste à côté de l'herbue.
13:16 "Tu pourras faire tes moutons de présalier."
13:18 C'est un problème double et logique.
13:20 -Moi, j'étais à l'époque 2e adjointe du maire.
13:26 L'arrivée de François, c'était revivre ce qu'avaient fait
13:31 nos grands-parents, nos arrière-grands-parents,
13:34 nos ancêtres. Et quand François a eu ce projet,
13:36 il avait vraiment le soutien de la population,
13:39 des habitants, des politiques aussi,
13:42 puisque tout le monde était favorable à cette installation.
13:47 -Malgré l'engouement des élus locaux pour l'installation d'une bergerie,
13:51 entre 2004 et 2006,
13:54 François se voit refuser 4 permis de construire.
13:57 -Au départ, comme je n'avais pas pu avoir de permis de construire,
14:05 j'avais construit des tunnels de maraîchers,
14:07 des petites serres qui faisaient 2,50 m de haut, 7 m de large.
14:11 Voilà, les premiers tunnels.
14:13 J'avais fait 8 serres comme ça,
14:15 où je mettais 50 brebis sous chaque.
14:17 Puisqu'il faut au minimum 2 m2 par brebis.
14:20 C'était pas très pratique pour moi,
14:22 parce que le tracteur pouvait pas rentrer.
14:25 Il fallait tout faire à la main, sous le tunnel,
14:27 router comme ça.
14:28 Pas d'électricité, c'est groupe électrogène.
14:31 Pour l'eau, j'avais fait un château d'eau avec une pomme.
14:34 Mais j'ai vu que les agneaux se plaisaient bien
14:37 avec la lumière du jour. C'était ouf.
14:39 C'était des bonnes années, mais au bout de 3 ans,
14:44 les gendarmes m'ont dit que j'avais pas le droit
14:47 de faire une serre comme ça, démontable.
14:49 Il a fallu que je les détruise.
14:51 Je me suis retrouvé pendant une année
14:53 sans aucun bâtiment pour mes moutons.
14:55 Et là, j'ai eu beaucoup de pertes, forcément.
14:58 Plus de 50 % de mes agneaux sont morts en période...
15:02 Cette période-là.
15:04 Morts parce qu'ils ont pas pu être isolés avec leur maman
15:10 ou parce qu'il faisait très froid et neigé cette année-là.
15:13 Plus jamais ça, un annulage d'un gros troupeau sans bergerie.
15:17 C'est pas dans le bien-être animal.
15:18 Préoccupé par le bien-être de ses moutons,
15:24 François retourne voir le maire de la commune.
15:27 -L'analyste lui a dit, "De toute façon,
15:30 "nous, on est OK pour la bergerie.
15:32 "Commence ta bergerie. La procédure est très longue."
15:36 Donc, voilà.
15:38 Entre nous et François, a décidé de construire sa bergerie.
15:43 Effectivement, sans permis de construire,
15:45 on n'est pas d'accord là-dessus.
15:47 -Privilégiant ses agneaux aux démarches administratives,
15:51 François construit tout son avenir sur cette promesse orale.
15:54 ...
15:57 Musique douce
16:00 ...
16:04 -On a décidé de la faire en bois
16:06 parce que, déjà, c'est un matériau noble
16:08 qui vient d'un petit bois d'à côté, au P'tit Ceylan,
16:11 d'une forêt certifiée, renouvelable, PEFC.
16:14 J'avais l'expérience, avant, de mes tunnels de maraîchers,
16:17 que quand la lumière du soleil pénétrait dans la bergerie,
16:20 les agneaux poussaient comme des champignons.
16:23 J'ai décidé de faire le toit en translucide,
16:25 pour qu'il y ait de la clarté et qu'il n'y ait pas d'électricité.
16:29 -Une personne, quelle qu'elle soit,
16:31 qui possède un terrain,
16:33 qui construit sa chambre pertinemment,
16:36 qui ne peut pas le faire,
16:38 qui a fait des demandes de permis,
16:40 toutes refusées,
16:42 s'il persévère et qu'il construit sans autorisation,
16:46 il se considère au-dessus des lois.
16:48 Il n'a pas besoin de sortir de Saint-Cyr
16:50 d'avoir fait Polytechnique ou l'ENA pour ça.
16:52 -L'argument est imparable, la bergerie est illégale.
16:58 Pour autant...
17:00 -La bergerie, on ne la voit pas, elle est derrière le bosquet.
17:03 Pour moi, c'est la bergerie la mieux intégrée
17:06 de la baie du Mont-Saint-Michel,
17:08 parce qu'on la voit nulle part.
17:11 -Nous, on a vécu à Sophie Antipolis,
17:13 c'est dans le 06,
17:14 donc on sait comment le littoral est saccagé
17:18 au nom du tourisme, au nom du béton,
17:21 donc on est forcément à 100 % pour la loi littorale.
17:24 Mais voilà, on a un retour d'expérience
17:27 sur cette bergerie, maintenant,
17:28 qui prouve qu'il n'y a aucun impact sur l'environnement.
17:33 Musique douce
17:35 -Une bergerie écologique et invisible
17:38 pourrait-elle faire changer la loi ?
17:40 Et c'est là qu'intervient un sénateur,
17:44 un sénateur arrangeant,
17:46 qui pourrait bien devenir encombrant.
17:48 -J'ai rencontré François Serbonnet,
17:53 tout simplement par un appel d'un ami de la famille
17:58 et qui m'a demandé, je dirais, entre guillemets, un coup de main,
18:02 parce que la problématique de la loi littorale
18:05 intéresse tout l'ensemble du département de la Manche,
18:08 le kilomètre de côte,
18:09 et là, nous avions un dossier assez emblématique,
18:12 et puis, si je puis dire,
18:14 qui permettait d'affiner davantage la loi littorale.
18:18 -Affilié au parti Les Républicains,
18:21 Jean Bizet, alors sénateur de la Manche,
18:24 se saisit de l'histoire de François pour modifier la loi littorale.
18:28 -Vous avez la loi, vous avez l'esprit de la loi,
18:32 et vous avez l'ouverture d'esprit.
18:34 La loi, elle est imparfaite,
18:36 en l'occurrence, là, elle est imparfaite.
18:38 Tout, voilà, bon...
18:40 Une loi, par définition,
18:44 il y a des moments où il faut la faire évoluer.
18:46 Moi, je suis allé jusqu'à, si je puis dire,
18:49 coécrire avec des collègues une proposition de loi
18:52 pour, je dirais, engager des chartes régionales
18:57 de l'aménagement de la loi littorale.
19:03 -Parce que la loi littorale, sur les espaces remarquables,
19:06 donne des ouvertures.
19:08 Et le sénateur s'est engouffré dans cette ouverture
19:12 pour dire que si vous avez une bergerie
19:16 et que vous êtes bio et AOP,
19:18 normalement, vous pouvez vous installer
19:20 sur les espaces remarquables.
19:21 -Le pouvoir du sénateur permet à François d'espérer.
19:28 Son élevage coche le cahier des charges
19:31 des appellations d'origine contrôlée.
19:33 -Donc, l'AOC, sortie en 2009,
19:37 et là, normalement, tous les feux étaient ouverts
19:40 pour pouvoir déposer un permis de construire et de l'avoir.
19:43 Ca a mis beaucoup de temps,
19:45 parce qu'il fallait que ce soit signé par le ministre,
19:48 en passant par la commission des sites.
19:50 Donc, ça a été le cas, je l'ai obtenu en 2011.
19:52 Quand j'ai eu mon permis de construire,
19:55 c'était très émouvant, c'est le maire de Genest
19:57 qui m'a annoncé ça, alors que je faisais la fête
20:00 de la salée sur les herbes de Genest.
20:01 On avait fait un gros méchoui pour 600 personnes.
20:04 Le maire a demandé à prendre la parole
20:06 et a annoncé que Nathalie Caussis-Commercé,
20:09 ministre de l'Environnement à l'époque,
20:11 avait signé mon permis.
20:12 J'étais serein. C'est un permis signé par le ministre,
20:15 on se dit qu'on est sereins.
20:17 Applaudissements
20:18 -Deux ans après avoir construit sa bergerie de façon illégale,
20:23 le permis est régularisé à posteriori.
20:26 ...
20:30 -Ce qui est consternant, là-dedans,
20:32 c'est aller promettre à ce garçon,
20:36 en intervenant auprès du ministre ou de ceci ou de cela,
20:39 qu'on va lui trouver une solution.
20:43 Tous ces élus ne sont pas au courant
20:46 de l'existence de cette loi.
20:48 C'est quand même dommage, quoi.
20:50 Et donc, continuer à faire espérer à ce garçon
20:55 que ça pourrait s'arranger, qu'on trouverait une solution, etc.
20:59 Donc...
21:00 ...
21:03 C'est affligeant, quoi. Dans quel monde on vit, là ?
21:06 Un monde de bisounours ?
21:07 Donc...
21:08 Non, c'est pas ça, la réalité, c'est pas ça, quoi.
21:11 ...
21:16 -La côte de la Manche-Ouest
21:18 prend alors des airs de Far West.
21:20 Qu'il soit signé ou non par le ministre de l'Environnement,
21:24 l'association Manche Nature attaque en justice
21:27 le permis délivré à François Cerbonnet.
21:29 ...
21:33 ...
21:36 ...
21:39 Le 28 juin 2012,
21:41 le tribunal administratif annule le permis de construire.
21:45 Le duel vient de commencer.
21:47 François est à terre.
21:49 -On pensait vraiment, comme disait le maire, être sur du velours,
21:53 que le permis n'était pas caduque.
21:55 Finalement, il l'a été, il a été annulé par le tribunal administratif.
21:59 ...
22:01 -La commune de Genet a été attaquée pour mon permis de construire.
22:05 J'avais pas le droit de prendre un avocat.
22:07 La commune de Genet n'a envoyé aucun avocat
22:09 au tribunal administratif pour défendre le permis.
22:13 Alors, un juge qui ne connaît rien,
22:15 qui s'est pas déplacé, qui a pas envoyé d'experts,
22:18 a fait confiance à cette association,
22:20 Manche Nature, qui a un joli nom environnemental.
22:23 En disant que c'était un bâtiment industriel
22:25 et qu'on le voyait de l'air vu, personne n'a contrôlé ça.
22:28 Donc, bien sûr, j'ai perdu mon permis.
22:30 -Elle a été considérée comme trop grande
22:35 par rapport à ce qui était possible.
22:37 Il n'y avait jamais eu une notion d'industrie là-dedans.
22:40 La loi littoral n'autorise, dans les espaces remarquables,
22:44 aucun construction que ce soit, y compris en matière agricole.
22:48 Ca faisait des petites structures très petites, mobiles,
22:52 d'accueil temporaire, ce qui n'était pas le cas là,
22:55 puisque la bergerie, elle fait 998 m2.
22:58 Musique douce
23:00 ...
23:03 -Après avoir perdu en appel,
23:06 François se pourvoit en cassation.
23:08 ...
23:13 Il peut ainsi continuer son activité pastorale,
23:15 soutenue par une communauté de plus en plus importante.
23:19 ...
23:23 -En tant qu'actrice de la protection de l'environnement,
23:26 pour moi, il est très important
23:29 de garder l'objet et le but recherchés
23:33 par une association de protection de l'environnement.
23:36 François, c'est pas un promoteur immobilier,
23:41 c'est un berger, c'est un gardien de la baie.
23:45 ...
23:47 -Le collectif qui soutient le berger est très éclectique.
23:50 Parmi les politiques,
23:52 aux côtés du sénateur LR Jean Bizet,
23:55 François Dufour, agriculteur affilié au parti Europe Ecologie Les Verts.
24:00 ...
24:01 Il soutient François et son troupeau depuis la première heure.
24:05 Pour lui, le pastoralisme est un outil au service de la biodiversité.
24:09 ...
24:10 -Il se trouve qu'en 2010, je suis devenu conseiller régional,
24:14 vice-président en charge de l'agriculture en Basse-Normandie.
24:18 Au fil des années, on a perdu
24:21 grande partie de nos bergeries de proximité.
24:24 Beaucoup d'élevages se sont éloignés des herbus
24:28 et du domaine maritime.
24:30 C'est pourtant une utilité publique
24:33 que de maintenir ces herbus et leur entretien par les moutons.
24:38 -De nombreuses études le prouvent.
24:41 En mangeant les herbes hautes,
24:43 les moutons empêchent le sable de se fixer dans la baie.
24:46 ...
24:48 Ils luttent ainsi contre l'ensablement.
24:50 Plus encore, ils participent à la diversité de la flore.
24:54 -Ici, on a essentiellement du chien d'an,
24:57 sur le haut-chor, la partie haute de l'herbu,
25:00 car il a été longtemps sous-pâturé.
25:02 Il y a que le chien d'an qui envahit et recouvre tout,
25:05 qui empêche les autres plantes de pousser.
25:08 Le chien d'an maritime, qu'on reconnaît
25:10 comme un petit exudagris, avec ses grandes feuilles plates.
25:14 Depuis que j'ai mis les moutons,
25:15 on voit qu'une autre végétation s'installe.
25:18 Maintenant, on peut trouver la puccinelli,
25:20 la petite herbe fine,
25:23 qui est là, toute ronde, pleine.
25:25 Là, l'herbu a gagné l'ensablement de la baie.
25:28 Ça gagne, ça prolifère, avec des plantes pionnières,
25:31 comme la spartine.
25:32 Dans la saison, il y aura de l'eau bione qui pousse.
25:35 Elle n'est pas encore sortie.
25:37 Là, ça licorne, là, ça soude.
25:39 Donc on voit bien que c'est un herbu qui hérite.
25:42 C'est bon aussi, la roche, ça se mange.
25:52 Tu peux manger ça en salade ou cuit comme des épinards.
25:55 Ça a la langue d'agneau.
25:57 C'est salé aussi, mais c'est sucré.
25:59 Je ramène un peu juste pour le soir,
26:01 pour moi, je ne fais pas des grosses cueillettes.
26:04 J'ai mon garde-manger à disposition.
26:06 Quand j'ai besoin, je prélève, quand c'est la saison.
26:09 -Dans la baie, ce berger au pied nu fait écho aux défenseurs du territoire.
26:19 -Je me bats depuis de nombreuses années
26:22 contre l'agriculture hors-sol,
26:24 celle qui consiste à produire des masses de viande,
26:27 de porc, de lapin, de poulet, confinés,
26:30 qui ne voient jamais le jour.
26:32 Là, on est sur une agriculture dite paysanne.
26:35 Quand on a un berger avec un savoir-faire aussi remarquable
26:40 que celui de François Cerbonnet,
26:43 il n'est pas intelligible
26:46 de comprendre pourquoi on le soumet
26:49 à une telle épée de Damoclès.
26:51 Voilà.
26:52 À un moment donné,
26:54 il faut être amené, à mon avis,
26:58 à faire preuve de bon sens.
27:01 -D'autant plus qu'aujourd'hui,
27:03 même les associations environnementales,
27:06 Manche Nature en convient.
27:08 Il y a, par manque d'animaux sur les herbues
27:11 dans cette partie de la Manche,
27:13 une prolifération, je dirais, d'herbe folle.
27:16 Or, la photographie du Mont-Saint-Michel
27:19 dans quelques années, s'il n'y a plus de moutons,
27:21 je vois mal le Mont-Saint-Michel entouré d'herbe folle.
27:25 -J'ai connu Saint-Léonard.
27:32 C'était pas très beau, l'herbuste.
27:34 Ca faisait peur.
27:35 C'était maracageux, des grandes herbes.
27:38 Je vois aujourd'hui que c'est bien entretenu,
27:40 qu'il y a la faune.
27:42 Les oies bernaches reviennent se poser.
27:44 Les canards t'adorent aussi.
27:46 C'est bénéfique pour plein d'espèces.
27:48 Musique douce
27:50 ...
27:59 Et en même temps, ça fait des jolis paysages.
28:02 Je suis assez fier de ce que font mes oies.
28:05 ...
28:07 -Avec le collectif de François, le duel devient idéologique.
28:11 ...
28:13 Quelle est la place des humains au sein du vivant ?
28:16 Peut-on vivre sur un territoire sans le détruire ?
28:19 ...
28:21 -L'homme et la nature, ici,
28:23 il y a une interaction continuelle,
28:25 avec une adaptation de l'un et de l'autre.
28:28 C'est important de préserver ça,
28:30 au-delà de la carte postale à la baie du Mont-Saint-Michel,
28:34 avec les moutons dans la baie.
28:36 C'est extrêmement important de pouvoir préserver
28:39 cette dimension patrimoniale, culturelle de la baie.
28:43 ...
28:45 -Depuis le Moyen Âge, dans la baie du Mont-Saint-Michel,
28:48 les bergers et leurs troupeaux ont toujours vécu
28:51 au plus près des herbes.
28:52 ...
28:58 La mairie de Genet a conservé dans ses archives
29:01 des traces de l'existence de bergeries
29:03 de siècles auparavant.
29:05 -Ici, vous avez le plan cadastral napoléonien
29:12 de la commune de Genet.
29:14 Donc, il date de 1827.
29:17 Et sur ce plan, vous avez, bien sûr, les habitations,
29:20 et vous avez, déjà à l'époque,
29:24 les bergeries qui étaient existantes
29:28 et qui se situent vraiment le long du littoral de la commune,
29:34 donc vraiment très proche de l'estrand
29:36 pour les besoins de l'élevage.
29:38 On ne se posait pas la question à l'époque de savoir
29:41 si c'était autorisé ou pas, et sous quelles conditions,
29:44 puisque c'était un besoin par rapport à l'animal
29:48 et au bien-être de l'animal.
29:49 ...
29:53 ...
29:55 -Malgré ces arguments environnementaux et historiques,
29:58 rien n'y fait.
29:59 ...
30:03 Musique intrigante
30:05 Le 17 octobre 2014,
30:08 le Conseil d'Etat confirme l'illégalité de la bergerie
30:12 au regard des dispositions de la loi littorale.
30:15 ...
30:20 ...
30:22 -C'était toujours embêtant d'avoir une épaule de démocratie
30:25 au-dessus de la tête, parce qu'on a une bergerie,
30:28 mais sans permis, c'est très précaire.
30:30 Forcément, ça a été dans les journaux,
30:33 et j'ai des amis qui ont vu ça, qui se sont joints à moi,
30:36 qui sont venus me voir et ont décidé de monter
30:38 un comité de soutien.
30:40 On a fait une journée porte ouverte à la bergerie,
30:42 on a eu plus d'un millier de personnes.
30:45 Le préfet était derrière moi, les élus, sénateurs, députés.
30:49 Au bout d'un moment, il me s'est mis de côté,
30:52 on m'a dit "T'inquiète pas, t'as démoliras jamais ta bergerie."
30:55 Et voilà, j'ai continué.
30:57 Et puis, ça s'est tassé, on oublie un peu, parfois.
31:00 ...
31:02 -François oublie, car l'illégalité est certes prononcée,
31:06 mais elle n'est assortie d'aucune peine,
31:09 jusqu'à ce jour fatidique.
31:11 ...
31:15 -Le 30 mars 2015, je me rappelle très bien de la date.
31:19 La Turquie revient avec une dette recommandée.
31:21 Ils avaient deux ans pour aller au tribunal de grande instance
31:24 demander la démolition.
31:26 Six jours avant ces deux ans-là, j'ai eu le policier
31:28 qui est venu chez moi m'annoncer qu'il me mettait au tribunal.
31:32 Et voilà, ça m'a fait partir en sucette.
31:37 ...
31:40 -François nous a toujours dit
31:41 "Si je me perds, je me pends dans ma bergerie."
31:44 Il l'a perdue, il s'est pendu.
31:46 ...
31:57 -Sa femme, qui cherchait quelque chose en bergerie,
32:01 est arrivée vraiment à temps.
32:02 -Et je me souviens très bien, si vous voulez,
32:05 d'avoir visité dès le lendemain.
32:07 C'était un samedi matin à l'hôpital,
32:10 où j'ai vu les stigmates qui étaient les siennes.
32:13 Donc je ne connais pas beaucoup de gens qui ont vu
32:16 des pendus qui se sont ratés.
32:19 Moi, je l'ai vu.
32:20 Et je suis sévère.
32:23 À l'adresse des gens qui, indirectement,
32:28 en sont la cause.
32:30 Sévère.
32:32 Voilà.
32:35 ...
32:41 -Moi, je me suis rendu pour voir François,
32:44 qui était malheureusement en soins.
32:47 J'ai essayé de faire de la concertation autour de moi
32:50 en disant "Attention, des drames dans les campagnes,
32:53 "nous en avons beaucoup."
32:55 C'est une situation intenable pour un agriculteur
32:58 qui se retrouve seul au milieu du guet.
33:00 Il faut qu'on trouve le meilleur compromis possible.
33:03 Mais lorsqu'il y a des décisions de justice,
33:06 on sait que c'est pas facile.
33:08 Musique douce
33:10 ...
33:11 -Tout le monde le sait, la justice est aveugle,
33:15 mais elle est lente aussi.
33:16 Ce qui permet à François de maintenir un statu quo
33:20 sans jamais appliquer l'ordre qui lui a été donné.
33:23 ...
33:26 -Je m'en suis relevé, j'ai continué.
33:29 Bien sûr, j'ai perdu au tribunal.
33:32 Mais toujours sans obligation de démolir.
33:36 ...
33:46 -Juin 2017, 8 ans après la construction,
33:50 le tribunal de grande instance de Coutances
33:53 ordonne la démolition de la bergerie
33:55 dans un délai de 2 mois.
33:56 ...
34:02 Mais soutenu par la préfecture,
34:04 François continue son activité.
34:06 -Ils ont eu gain de cause,
34:08 mais personne ne m'a donné l'ordre de démolir.
34:11 C'était au préfet de donner l'ordre,
34:13 il a pas jugé bon de donner l'ordre.
34:15 Un préfet a fait une page dans la Manche libre
34:18 pour annoncer qu'il fallait pas détruire cette bergerie.
34:21 -Je ne bouge pas.
34:22 Il faut savoir ce qu'on veut,
34:24 si on veut des moutons de préssalé ou si on n'en veut pas.
34:27 ...
34:30 -Le duel se poursuit.
34:32 ...
34:34 Pour contourner le préfet qui refuse d'exécuter la peine,
34:37 Manche Nature assigne François
34:39 auprès du juge de l'exécution des peines.
34:42 ...
34:44 En 2021, François Serbonnet est condamné au paiement
34:48 d'une astreinte de 150 euros par jour,
34:50 mais fait appel de la décision.
34:52 ...
34:55 ...
34:57 ...
34:59 ...
35:02 Ce mardi 13 septembre 2022,
35:05 ...
35:07 la cour d'appel de Caen doit rendre son verdict.
35:10 ...
35:13 Après 12 ans de procédure,
35:15 c'est l'un des derniers espoirs pour le berger.
35:17 ...
35:20 Téléphone
35:22 -Allô ?
35:23 -Monsieur Serbonnet ? -Oui.
35:25 -Bonjour, monsieur.
35:27 Je suis journaliste à la rédaction de France 3 Normandie, à Caen.
35:31 -Oui.
35:32 -Est-ce que vous avez eu connaissance du jugement ?
35:35 -Non.
35:36 -Non ? -Non.
35:37 -Alors, de ce que nous, on comprend,
35:41 du fait du jugement,
35:43 la décision serait annulée
35:46 et vous auriez 12 mois pour faire démonir la bergerie.
35:51 Et, passés ces 12 mois,
35:54 il y aura une astreinte financière de 50 euros par jour.
35:58 -D'accord, merci. Au revoir.
36:01 ...
36:04 ...
36:14 -Le tribunal laisse un an à François Serbonnet
36:17 pour détruire sa bergerie.
36:19 Après cette date,
36:20 il est condamné à payer une astreinte de 50 euros par jour.
36:23 -Oups.
36:24 -Allez, à tout à l'heure.
36:26 ...
36:31 Musique douce
36:34 -Un jugement qui ne convainc personne.
36:37 Ni Manche Nature, ni Didier, ni sa femme Christiane,
36:41 retraitées de l'Agence de la transition écologique.
36:44 Un duel sans fin,
36:46 dans lequel les deux parties adverses sont engluées.
36:49 Alors, un conflit de la sorte pourrait-il se régler
36:52 en dehors des tribunaux ?
36:55 -On n'est pas là pour faire la guerre,
36:57 pour dire que Manche Nature sont des méchants
37:00 ou que nous, on est des agneaux.
37:03 Non, je pense qu'il faut qu'on arrive
37:05 à trouver quelque chose qui se termine bien.
37:08 Si ça se termine mal, on n'aura même plus de moutons.
37:11 C'est d'une tristesse.
37:12 Ce matin, on avait dit qu'on appellerait Manche Nature
37:17 pour voir si on peut discuter avec eux
37:20 et puis avoir un entretien.
37:22 Parce qu'on va pas se donner rendez-vous dans un an.
37:25 -Manche Nature, on n'en a rien contre.
37:29 On pourrait être adhérents,
37:31 parce qu'ils sont tout à fait dans notre optique.
37:34 C'est ça qui est triste.
37:35 On est tout à fait d'accord avec Manche Nature
37:38 sur beaucoup d'actions qu'ils font.
37:40 On pourrait les soutenir.
37:42 C'est étonnant, mais c'est comme ça.
37:45 -Ils sont sans doute animés de bonnes intentions,
37:47 mais il y a un moment donné
37:49 où le radicalisme en tout domaine n'est pas bon.
37:54 Et puis, il faut se parler.
37:56 -Bon, écoute, moi, je tente le coup.
37:58 J'appelle l'association et on verra bien.
38:01 ...
38:03 Sonnerie.
38:05 Oui, bonjour, c'est Christiane Horel de La Bade,
38:10 de la bergerie.
38:11 J'aimerais savoir si on peut obtenir un rendez-vous
38:16 pour parler de la bergerie.
38:19 ...
38:23 Ben, la présidente.
38:24 Donc, on voudrait refaire le point avec Manche Nature,
38:29 savoir ce qu'il en est, connaître...
38:33 Bref, discuter, quoi.
38:35 ...
38:40 Ben, de voir s'il peut y avoir un terrain d'entente,
38:44 une négociation, j'en sais rien.
38:47 En fait, je pense que là, au bout de 12 ans de procédure,
38:51 à un moment donné, il faut le délibérer
38:54 étant "mi figue, mi raisin", comme ils disent,
38:58 ou, moi, je dirais, très normand,
39:00 c'est-à-dire, tête bain que oui, tête bain que non.
39:03 C'est peut-être à nous, les protagonistes,
39:05 de trouver une solution.
39:07 Oui, non, ben, on va pas...
39:11 On va pas repartir là-dessus.
39:13 C'est-à-dire que là, effectivement...
39:15 Voilà, transmettez. C'est pas possible.
39:18 Nous, on veut bien, on est ouverts.
39:20 Voilà, c'est tout.
39:21 Eh ben, c'est gentil. Merci.
39:23 Merci, au revoir.
39:24 ...
39:29 -Ils sont toujours au pareil.
39:31 -La bergerie est illégale.
39:33 -Oui, c'est marqué dans tous les journaux.
39:35 -Donc, elle n'a pas à être là.
39:37 ...
39:38 -Ils sont bornés.
39:39 -Depuis le début, j'ai voulu discuter avec Manche Nature,
39:42 savoir pourquoi ils attaquaient ma bergerie.
39:45 Ils ont toujours esquivé, ils ont jamais voulu me rencontrer.
39:48 -Il a toujours dit "ah, Manche Nature a jamais voulu me rencontrer",
39:52 sauf que les personnes qui voulaient se présenter à la bergerie
39:56 faisaient demi-tour à vitesse grand V,
39:59 parce qu'il est pour chasser, donc...
40:01 C'est sûr que ça incite pas, si vous voulez, au dialogue, quoi.
40:05 -Il en a dit "mais c'est pas le fait qu'elle embête personne,
40:08 "c'est le fait qu'elle soit illégale."
40:10 -C'est très fallacieux comme argument.
40:13 -Et si le théâtre de cette affaire n'était pas le Mont-Saint-Michel,
40:18 mais le Sénat à Paris ?
40:20 François serait-il un mouton de la farce ?
40:23 D'une farce qui le dépasse.
40:26 La victime collatérale d'un combat politique.
40:30 -Je pense qu'ils se sont acharnés sur une personne
40:34 qui a servi de bouc émissaire pour montrer
40:37 que les hommes politiques pourraient faire n'importe quoi
40:40 et détourner la loi.
40:42 Mais c'est un autre combat.
40:43 -L'homme politique qui pourrait détourner la loi, c'est lui,
40:56 Jean Bizet, sénateur de la Manche de 1996 à 2000.
41:01 Depuis, il a quitté la politique
41:03 pour rejoindre le monde des affaires.
41:06 Résolument pro-OGM,
41:08 il assume être l'ami de la science et du milieu économique.
41:13 Dans la ligne de mire des associations environnementales,
41:17 Greenpeace lui décerne en 2008 un prix satirique,
41:21 le "Mont-Santo-d'Or".
41:23 En 2009, c'est Manche Nature
41:25 qui lui décerne un prix poubelle.
41:28 Entre le sénateur et les associations environnementales,
41:32 il existe un fossé, celui des idées.
41:37 -La configuration de la région fait
41:39 que vous ne pouvez pas avoir des bergeries très éloignées de l'eau.
41:43 C'est un sujet qui était délicat, qui posait problème.
41:48 En tant qu'élu, je me suis pris de passion pour ça.
41:51 Dès que je me suis engagé là-dedans,
41:53 j'ai été l'objet de toutes les associations environnementales,
41:57 de tous les colibés qu'on peut imaginer.
42:01 -Il y a des gens dans ce pays qui promeuvent des lois,
42:05 qui créent des lois,
42:07 et il y en a d'autres qui n'ont aucun intérêt,
42:09 c'est d'attaquer les lois.
42:12 Musique douce
42:14 -Et en plein champ de tir, un berger, François Serbonnet.
42:17 -Je pense qu'il s'est trouvé, à un moment donné,
42:20 au milieu d'un combat politique.
42:22 -Allez, allez !
42:24 -Et du coup, Manche Nature a dit
42:26 "Oui, c'est le petit gosse de riche
42:28 "qui se fait aider par les petits copains des parents
42:32 "par des politiques,
42:34 "et puis ce gosse de riche, je l'ai entendu,
42:37 "on va le casser."
42:38 Musique douce
42:41 -J'étais entre l'enclume et le marteau,
42:43 et en m'attaquant moi, ils attaquaient le sénateur Bizet,
42:47 qui, malheureusement, s'affichait en faveur de ma bergerie.
42:50 Et c'était pour m'aider,
42:53 mais ça ne m'a pas aidé,
42:55 parce que Manche Nature a voulu tirer sur Jean Bizet,
42:59 et j'étais entre les deux,
43:01 et c'est moi qui ai morflé.
43:03 Musique douce
43:05 Je l'ai dit à François, je l'ai dit, écoute,
43:08 François, je sens qu'effectivement,
43:10 par moments, je ne sais pas si je ne te nuis pas
43:13 plutôt que je t'aide.
43:14 Je te le dis, je suis très honnête avec toi,
43:17 donc faisons attention,
43:19 parce que je ne veux pas non plus,
43:21 je dirais, crisper ces gens-là.
43:24 Musique douce
43:27 -En effet, dans l'un des nombreux communiqués
43:30 publiés par Manche Nature,
43:32 le billet d'humeur de son président est sans équivoque.
43:35 -Ces puissants politiques du département,
43:37 depuis une vingtaine d'années,
43:39 s'associent pour nous obliger à accepter
43:41 que M. Cerbonnet ne respecte pas la loi,
43:44 sous le simple prétexte qu'il est membre
43:46 d'une famille très proche de M. Bizet, sénateur.
43:49 Pour paraphraser Coluche,
43:51 les bergers sont tous égaux devant la loi littorale.
43:54 Tous, sauf un, M. Cerbonnet,
43:56 qui est plus égaux que les autres.
43:58 -Ca fait depuis sa prénomination
44:01 que la loi littorale, elle est malmenée,
44:03 mais pour l'instant, elle est toujours là, elle existe.
44:06 Moi, j'ai toujours dit et pensé
44:08 qu'il fallait, au contraire, la densifier
44:11 de façon qu'elle soit le plus efficace possible.
44:14 -Car il y a la loi,
44:16 et puis l'interprétation de la loi.
44:18 Et dans cette baie du Mont-Saint-Michel,
44:21 divisée par le fleuve Cuenon,
44:23 avec au sud la Bretagne et au nord la Normandie,
44:26 la jurisprudence n'est pas la même, selon la région.
44:30 Et souvent, les élus normands disaient
44:33 "Vous avez vu, en Bretagne, c'est mieux, c'est plus souple."
44:37 La côte bretonne, de ce côté-là,
44:39 est plus construite que chez nous.
44:41 -De manière assez curieuse,
44:44 selon que vous êtes d'un côté ou de l'autre côté du Cuenon,
44:47 qui est la limite entre la Bretagne et la Normandie,
44:51 nous n'avons pas la même jurisprudence
44:53 ni la même analyse par les services administratifs.
44:56 Je vous donne un exemple.
44:58 Dans un de mes derniers dossiers emblématiques
45:01 pour Bretagne vivante, par exemple,
45:04 il s'agissait d'empêcher le stationnement des voitures
45:07 sur ce qui s'appelle le domaine public maritime,
45:10 dans la baie du Mont-Saint-Michel,
45:12 qui était, en fait, le lieu de départ
45:15 pour les pêcheurs à pied.
45:16 En Bretagne, vous avez des autorisations d'occupation
45:20 du domaine public maritime pour 86 véhicules à moteur.
45:24 -Toujours côté breton,
45:26 un autre parking de 720 m2 situé sur le domaine public maritime
45:31 a été autorisé en 2019 par la préfecture
45:34 pour accueillir les clients d'un restaurant au bord de la plage.
45:38 -Côté manche, c'est totalement interdit.
45:40 C'est la même baie.
45:42 On est avec les mêmes enjeux de sauvegarde du patrimoine.
45:46 Côté breton, vous allez avoir le conservatoire du littoral,
45:50 à Ross-sur-Cuenon, qu'à une bergerie,
45:52 bois, 900 m2, sur le rivage.
45:56 -Gérée par le département d'Ille-et-Vilaine,
45:59 cette bergerie a été achetée par le conservatoire du littoral en 2014
46:04 pour maintenir l'activité pastorale et la biodiversité sur les herbues
46:09 avec l'éco-pâturage réalisé par les moutons.
46:12 Autour d'elle, trois autres bergeries,
46:18 elles aussi proches du rivage.
46:20 -Pourquoi en Bretagne, ça serait autorisé ?
46:23 Et pourquoi, côté normand, il y aurait une autre réglementation ?
46:27 -Car ces bergeries ont été construites
46:30 il y a plusieurs générations.
46:32 Elles portent d'ailleurs souvent sur elles
46:34 les stigmates de l'histoire.
46:36 -Si vous vous promenez,
46:38 vous allez vers Mont-Saint-Michel, il y a plein d'élevages de présalés.
46:42 -On va voir des bergeries existantes avant la loi littoral.
46:45 -Elles ont été restaurées avec de la tôle, des parpaings.
46:48 -C'est des bâtiments immenses,
46:51 avec une moyenne de plus de 1 000 brevis par exploitation.
46:54 Ca, c'est permis.
46:55 -La loi littoral est bien, pour protéger le littoral,
46:58 mais il faudrait pouvoir donner des permis de construire.
47:01 Comme là, quand je vois les poteaux en béton,
47:04 des lignes pas enterrées,
47:06 et qu'on m'emmerde pour une bergerie qui ne se voit pas.
47:09 ...
47:12 -Installé dans la baie depuis maintenant 30 ans,
47:15 parfaitement intégré au point d'être devenu une figure locale,
47:19 le berger a même passé un CAP boucher
47:22 et propose sa viande labellisée bio et AOP
47:26 dans les marchés aux alentours.
47:27 ...
47:34 -Dans l'agglomération, vous avez une réflexion
47:37 sur le plan alimentaire territorial.
47:39 Comment faire en sorte de rendre accessible à la population
47:42 la nourriture produite sur place,
47:44 pour éviter d'aller chercher l'agneau en Nouvelle-Zélande
47:48 comme on en a dans la baie du Mont-Saint-Michel ?
47:51 François nourrit les habitants du territoire.
47:54 -Bonjour, madame la cliente.
47:56 -Bonjour.
47:57 Je vais prendre du foie. Il y a du foie d'agneau, là.
48:00 Oui, bah, deux tranches, aussi.
48:02 ...
48:06 L'agneau pré-salé est excellent.
48:08 Quand ils sont là, bientôt les samedis.
48:10 -Ah ouais ?
48:12 -Et consommer local, c'est pas simplement pour le consommateur,
48:15 c'est aussi que les animaux retrouvent les herbes,
48:18 eux ne se délocalisent pas,
48:19 comme la terre ne se délocalise pas.
48:22 -Moi, j'aime me balader à Saint-Léonard
48:25 et regarder les agneaux dans les prés.
48:28 S'ils sont plus là, ça va faire quoi ?
48:30 Ca va faire un truc en friche, et puis...
48:32 Nul. Nul.
48:33 -A la 7,60.
48:35 -A la 7,60.
48:37 Voilà.
48:38 Moi, je viens là depuis 60 ans,
48:41 j'ai toujours bu ça, et je veux que ça reste.
48:44 Voilà.
48:45 -On est à la fois à défendre, d'une manière générale,
48:49 ce type d'élevage, la qualité, le bien-être de l'animal,
48:53 et en même temps, la loi empêche
48:55 que ce type d'exploitation puisse perdurer chez nous.
48:58 Donc c'est juste là qu'il faut qu'on arrive à trouver
49:01 un équilibre entre tout ça.
49:03 ...
49:07 -Merci, et à samedi prochain.
49:09 -Bonne journée, au revoir.
49:10 -Au revoir.
49:14 -Le combat dure depuis 14 ans.
49:16 Il est loin d'être fini.
49:17 Mais pour les deux parties, l'avenir s'annonce sombre.
49:21 -Maintenant, avec les nouveaux textes qui sont apparus,
49:24 notamment la loi climat et résilience,
49:27 on s'aperçoit qu'il va falloir passer à une vitesse supérieure
49:30 parce qu'il y a toute cette partie du littoral
49:34 qui va être sujette à la submersion marine
49:37 de par la montée du niveau des eaux.
49:40 Donc de toutes les façons, maintenir la bergerie à cet endroit-là,
49:44 non seulement c'est pas autorisé maintenant,
49:46 mais ça le serait encore moins dans l'avenir.
49:49 ...
49:51 Bruits de la mer
49:54 ...
49:59 -Décembre 2023, les membres actuels de Manches Nature
50:03 refusent toujours nos demandes d'interview
50:05 et assignent à nouveau le berger au tribunal
50:08 pour obtenir le versement de l'astreinte
50:10 et le triplement de celle-ci.
50:12 Dans son dernier communiqué, l'association s'explique.
50:36 Dans l'attente de ce énième jugement,
50:39 François résiste encore et toujours.
50:42 ...
50:46 Bim !
50:47 ...
51:08 -C'était pas moi le plus lésé là-dedans.
51:10 C'est toujours la baie, la biodiversité,
51:13 les montants de poids salés.
51:15 Moi, c'est moins grave qu'un cancer, je vais me remettre.
51:18 Je ferai autre chose,
51:20 un travail juste nourricier, on va dire,
51:23 pour 8h par jour,
51:25 en gagnant la même chose que je gagne aujourd'hui,
51:29 avec des week-ends, des vacances.
51:31 Je suis pris, quand même.
51:34 Parce que là, c'est 24h24,
51:37 où on pense à nos allumaux, à notre métier,
51:40 et à cette épée de damoclès qu'il y a au-dessus de ma tête.
51:43 On peut faire casser tout ce que j'ai construit
51:47 en plus d'un temps.
51:50 ...
51:55 ...
52:19 ...
52:20 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
52:23 [SILENCE]

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