Des créations élégantes, colorées et taillées sur mesure, des vitrines comparables à celles des plus grandes bijouteries, et une renommée internationale, symbole de l’excellence française : non, les créations de notre invité ne se portent pas, elles se dégustent avec gourmandise. Inventeur de la « Haute-pâtisserie », et couronné « roi du macaron », celui qu’on surnomme le « Picasso de la pâtisserie » est l’un des pâtissiers les plus prisés au monde. Comment perçoit-il cette frénésie de plaisirs sucrés ? A force de faire de sa pâtisseries un objet de luxe ne l’éloigne-t-il pas du plus grand nombre ? Et quel parfum secret prépare-t-il dans le secret de son laboratoire ? Cette semaine Rebecca Fitoussi reçoit Pierre Hermé, dans l’émission d’entretien Un monde, un regard.
Année de Production : 2023
Année de Production : 2023
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00:00 *Musique*
00:22 C'est un entretien gourmand que je vous propose aujourd'hui.
00:25 Gourmand au sens propre.
00:27 Parce que notre invité est un créateur de douceur, un magicien des saveurs.
00:31 Tantôt surnommé le Dior des desserts, tantôt le Picasso de la pâtisserie, tantôt le roi du macaron.
00:37 Il a été désigné meilleur pâtissier du monde, il a inventé ce qu'on appelle la haute pâtisserie,
00:42 comme on peut parler de haute couture. Il est entré dans l'histoire de cette discipline.
00:46 Et comme il est passionné, il y consacre sa vie. Il ne s'arrête jamais.
00:49 Son nouveau défi, le végétal.
00:51 Imaginez des gâteaux sans aucune matière animale, sans beurre, sans lait, sans crème.
00:55 Un petit miracle qui arrive après 4 ans de travail, 4 ans de recherche pour arriver à une soixantaine de recettes.
01:01 Création de goûts, organisation d'ateliers, installation de nouvelles boutiques, écriture de livres.
01:07 Il diffuse la philosophie de son art partout où c'est possible.
01:11 Et il répond à l'appétit médiatique du moment pour la pâtisserie.
01:14 Quel regard porte-t-il d'ailleurs sur cet engouement des français pour les programmes télé ?
01:19 Sur cette multiplication de jeunes chefs, sur leurs magasins qui poussent comme des champignons en même temps que leur compte Instagram ?
01:24 Tout cela fait-il du bien à la pâtisserie ou risque-t-on de frôler la crise de foie ?
01:28 Posons-lui toutes ces questions. Bienvenue dans "Un monde à regard", bienvenue à vous Pierre Hermé.
01:32 Merci d'avoir accepté notre invitation ici au Sénat.
01:35 Le monde de la pâtisserie, on peut le dire, vit une médiatisation historique relativement récente.
01:40 Qu'est-ce que cela dit de notre époque d'après vous ?
01:42 Est-ce que ça dit un besoin, un désir de douceur et de sucrerie, sans mauvais jeu de mots ?
01:48 Alors votre question, elle a plusieurs compartiments.
01:50 Si on fait d'ailleurs une partie historique, la pâtisserie était toujours considérée comme une des disciplines et souvent la dernière discipline de la cuisine.
02:00 Et dans une briade de cuisine, il y avait le chef de partie viande, le chef de partie poisson, le chef de partie hors d'œuvre et puis le chef de partie pâtisserie.
02:13 Dernière roue du carotte.
02:15 Le chef pâtissier était la dernière roue du carotte.
02:17 Et c'est vrai que depuis quelques années, les chefs pâtissiers ont pris la parole.
02:23 Je dirais depuis les années 90, ont pris la parole, ont fait voir leur travail.
02:29 Se sont un peu affranchis de la tutelle des cuisiniers et existent par eux-mêmes, par leur travail, par leur talent,
02:39 par la qualité de ce qu'ils produisent, aussi bien du point de vue visuel que du point de vue gustatif, ce qui est quand même le plus important.
02:48 Donc vous dites que c'est mérité.
02:49 Et c'est vrai que les réseaux sociaux, d'abord l'émission "Le meilleur pâtissier", que ce soit pour les amateurs ou les professionnels,
02:57 a contribué à faire parler de la pâtisserie, ça depuis maintenant 12 ans.
03:02 Et puis les réseaux sociaux ont beaucoup contribué à faire voir les gâteaux, la pâtisserie.
03:11 Et souvent, une daube de bœuf est moins sexy qu'un hispano-rosetti framboise, du point de vue visuel.
03:21 Donc la pâtisserie a tout là, c'est d'être beau, parce qu'on mange d'abord avec les yeux et puis ensuite on goûte.
03:31 Et est-ce que vous pensez que ça correspond aussi à un moment de notre époque où les gens ont envie de douceur, au sens propre comme au sens figuré ?
03:38 Je crois qu'on a de tout temps eu besoin de douceur.
03:41 Aujourd'hui, ce besoin est peut-être plus visible, mais on dit toujours "le salé pour se nourrir et le sucré pour le plaisir".
03:49 Et notre métier, c'est de donner du plaisir, de faire plaisir à ceux qui achètent les gâteaux et qui les goûtent.
03:57 C'est aussi presque devenu une mode, une tendance, d'apporter une belle pâtisserie chez des amis quand on est invité à dîner.
04:02 C'est presque un bijou, d'ailleurs, tels qu'ils sont présentés dans les pâtisseries.
04:06 Est-ce que ça ne fait perdre en rien l'esprit de cette discipline, de cet art, sa pureté, sa simplicité de départ ?
04:14 Alors moi, quand je pense aux pâtisseries, je pense d'abord au goût.
04:17 Je crée des saveurs, des associations de saveurs, ou un travail sur une saveur, un filetement vanille, un filetement pistache.
04:26 Il y en a comme ça un certain nombre.
04:29 Et donc, pour moi, c'est vraiment le goût qui est le principal vecteur et mon cheminement.
04:37 Et c'est à partir du goût et des saveurs que je construis l'architecture du goût.
04:42 Et le macaron, parce que vous parlez entre autres du macaron, qui est devenu aujourd'hui un objet cadeau.
04:50 Quand on va dîner chez quelqu'un, il vaut mieux emmener des macarons que des fleurs.
04:54 - Les amus fleurissent impressionnant. Non, non, je plaisante.
04:57 On amène des macarons et des fleurs. - Les deux sont sympas, mais enfin, c'est vrai que...
05:00 - Parce qu'aujourd'hui, le macaron... Quand j'ai appris le métier, on faisait quatre saveurs de macaron.
05:05 Ce n'était pas très sexy. Aujourd'hui, il y a un pléthore de saveurs de macaron.
05:10 - Est-ce que vous les suivez, ces jeunes chefs qui émergent, notamment des programmes télé dont on a parlé,
05:14 ou tous ces pâtissiers qui sont en train d'émerger, de créer leur boutique ?
05:17 Je pense à Aurélien Cohen, au Féli Barès. Il y en a d'autres, hein. Cédric Grolet.
05:22 Vous les suivez ? Est-ce qu'ils viennent stimuler le milieu et peut-être la créativité ?
05:27 Votre créativité à vous aussi ? - Je pense qu'il y a beaucoup de jeunes talents qui émergent
05:31 et qui viennent enrichir le métier et qui donnent aussi envie à des jeunes de choisir ce métier.
05:40 Parce qu'on a besoin de former des jeunes gens, des jeunes pâtissiers qui viendront prendre la relève.
05:46 Dans les métiers de l'artisanat, notre vocation, c'est de transmettre.
05:52 - Ils vous challengent ou pas ? Est-ce qu'ils vous poussent un peu dans vos retranchements quand vous voyez une œuvre ?
05:57 Vous dites "Ah oui, bonne idée, peut-être que moi aussi."
05:59 - Moi, je suis content quand je vois quelque chose. - Ça vous alimente au sens figuré ?
06:03 - Quand je vois le travail de Cédric Grolet, de Maxime Frédéric et de Claire Hetzler ou d'autres...
06:11 - Christophe Michalak aussi. - Christophe Michalak.
06:14 Je suis content de voir le travail qu'ils font parce que ça veut dire que la profession,
06:21 même si elle s'appuie sur des valeurs traditionnelles, elle évolue.
06:24 Et que la tradition d'aujourd'hui n'est pas la tradition de demain.
06:28 Donc la tradition, elle s'enrichit.
06:31 - La pâtisserie est une tradition familiale chez vous.
06:33 Vous êtes la quatrième génération d'une lignée de boulangers-pâtissiers.
06:36 Vous êtes nés à Colmar, au cœur de l'Alsace.
06:38 Vous comprenez dès l'âge de 9 ans que vous avez envie de devenir pâtissier et vous dites, je vous cite,
06:43 "C'est mon père qui m'a vraiment donné l'envie car il faisait son métier avec passion.
06:46 Il passait ses jours et ses nuits dans son atelier. Il était vraiment mordu.
06:50 Pour le voir, il fallait que j'aille à l'atelier et je le regardais travailler."
06:54 Freud dirait même que c'est pour être connecté à lui alors que vous êtes devenu pâtissier.
06:57 - Oui, parce que pour le voir, il fallait que j'aille à l'atelier.
07:00 Donc je pense qu'il y a certainement de ça.
07:03 Et c'est vrai que le métier nous a rendus complices aussi.
07:09 - Comment il a perçu la façon dont vous avez révolutionné le monde de la pâtisserie ?
07:14 Vous l'avez révolutionné, Pierre-Hermé.
07:16 - Je pense surtout que mon père voyait son fils plutôt qu'un révolutionnaire de la pâtisserie.
07:22 Et il était content de voir comment je progressais dans le métier.
07:27 Mais il n'avait pas...
07:30 Vous savez, en Alsace, on est plutôt des taiseux.
07:35 Et donc il n'exprimait pas les choses de la même façon.
07:39 Mais je pense qu'il était tout simplement content que son fils
07:43 prenne du plaisir à faire le même métier que lui.
07:46 - Et dans vos pâtisseries sophistiquées,
07:48 que reste-t-il de l'esprit familial boulangerie-pâtisserie dont je parlais sur quatre générations ?
07:54 - Ce qui reste, c'est le savoir-faire.
07:58 Ce savoir-faire, il est ancré.
08:01 Pour moi, c'est mon... Comment dire ? Ce savoir-faire, il est mon référent.
08:06 Même si je l'ai fait évoluer, si je l'ai fait bouger,
08:09 ce savoir-faire reste toujours présent à mon esprit.
08:12 Il n'est pas rare que je me réfère à des choses que faisait mon père
08:15 ou des choses que j'ai apprises chez le nôtre,
08:18 où j'ai fait mon apprentissage.
08:20 - Vous avez un socle, des fondations.
08:22 - C'est un socle important et solide.
08:25 - Et de l'Alsace, que reste-t-il dans vos créations, votre Alsace natale ?
08:30 - Le goût de l'Alsace, la cannelle, la tarte au kocha à la cannelle.
08:36 Et quelque part, l'hisparant a quelque chose de l'Alsace,
08:39 parce que c'est en goûtant un vin, qui s'appelle le Gewürztraminer,
08:44 qui est un cépage d'Alsace, que j'ai pris conscience
08:47 que le litchi avait des parfums de rose,
08:50 parce que ce vin, que j'ai goûté plusieurs fois,
08:53 avait des parfums de rose et de litchi.
08:58 Et c'est comme ça que le litchi est arrivé
09:01 pour compléter l'association de saveurs
09:05 que j'avais créé dans un autre gâteau qui était rose-framboise,
09:09 et c'est devenu hisparant avec rose-framboise-litchi.
09:12 - C'est ce qui a donné cette magnifique pâtisserie qu'on a,
09:14 que vous avez eu la gentillesse de nous apporter.
09:16 - Voilà, l'hisparant est la saveur fétiche de la maison,
09:20 et on a beaucoup de recettes qui sont des réinterprétations
09:24 de cet accord de saveurs, qui est le croissant hisparant,
09:28 la glace, le sorbet, la confiture, le bonbon au chocolat, le cake.
09:34 Il existe plus de 80 recettes autour de cet accord de saveurs hisparant.
09:40 - À l'allure de celui que vous êtes aujourd'hui,
09:42 quel conseil donneriez-vous aux petits garçons
09:45 qui se lancent dans la vie, qui s'apprêtent à se lancer ?
09:48 - Je conseille toujours aux jeunes pâtissiers
09:52 d'envisager l'apprentissage du métier comme des études.
09:56 En faisant un travail pratique chez son maître d'apprentissage,
10:00 un travail qui se poursuit ensuite au CFA ou à l'école,
10:04 et puis un travail personnel de compréhension des techniques,
10:08 des ingrédients, connaissance des ingrédients, histoire du métier.
10:13 - Quand vous dites "personnel", c'est-à-dire chez soi,
10:15 peut-être en lisant, en travaillant ?
10:17 - Oui, en lisant, tout simplement,
10:21 en regardant sur Internet.
10:23 Aujourd'hui, il y a tellement de choses disponibles
10:25 que je n'avais pas quand j'étais plus jeune.
10:28 Je trouve vraiment que c'est très important.
10:31 C'est la connaissance des ingrédients, des techniques,
10:34 de l'histoire du métier, de la pratique et de l'usage.
10:39 - L'histoire est incroyable.
10:40 À l'âge de 14 ans, alors que vous vous apprêtez
10:42 à faire votre stage chez un pâtissier du coin,
10:45 votre père tombe sur une annonce dans "Les dernières nouvelles d'Alsace"
10:48 qui propose des places d'apprenti chez le nôtre à Paris.
10:51 Et c'est votre grand-mère qui va vous aider à rédiger
10:53 la lettre de motivation.
10:55 Vous êtes pris et ce sont vos parents qui vous accompagnent,
10:58 qui vous déposent à Paris.
10:59 On a l'impression que c'est pas tout à fait ça.
11:01 - Ce sont mes parents qui sont venus me présenter.
11:03 Ensuite, quand je suis venu à Paris, je suis parti tout seul.
11:05 Ma petite valise...
11:06 - Mais c'est quand même une sacrée histoire familiale.
11:08 Vous avez été vraiment accompagné du début à la fin,
11:10 y compris par votre grand-mère qui vous aidait.
11:12 - Je crois que pour laisser partir un gamin de 14 ans,
11:15 tout seul à Paris, il fallait une dose de confiance.
11:19 Et c'est vrai que j'avais à cœur de ne pas trahir cette confiance.
11:24 - Et comment cette famille a-t-elle vécu ce succès phénoménal ?
11:28 - Ma mère, quand je l'appelais, ce qui était important pour elle,
11:30 c'est simple, "tu vas bien".
11:32 "Est-ce que tu as perdu du poids ?"
11:36 - Ah bon ? C'était la question qu'elle vous posait aussi ?
11:39 - Grosso modo, c'était pour elle, c'était mon bien-être et ma santé.
11:44 Le reste, c'était...
11:46 Je me rappelle quand je lui ai dit que j'allais publier mon premier livre,
11:49 j'étais tellement fier.
11:50 Elle me dit, avec son petit accent alsacien,
11:53 "Ah Pierre, tu sais, je ne comprends pas tout ça, mais c'est bien."
11:57 - C'est bien du moment que ça te plaît.
11:59 Une fois à Paris, Gaston Le Nôtre repère votre talent et dit à votre mère,
12:04 "J'aurais aimé avoir un fils comme Pierre Hermé."
12:07 C'est fou qu'il ait dit ça.
12:09 Vous aviez quelque chose de plus.
12:12 Vous aviez un truc qui était à part, non ?
12:15 - Il faut croire qu'il avait détecté quelque chose, c'était incroyable.
12:19 On ne se connaissait peu, mais il savait qui j'étais
12:23 à travers les chefs avec lesquels je travaillais au quotidien.
12:27 - Il y a eu Le Nôtre ?
12:29 - Par contre, tout le monde savait dans la maison,
12:31 c'est que je voulais tout apprendre.
12:33 J'étais déterminé.
12:35 Je venais mes jours de repos pour apprendre.
12:37 Quand il y avait besoin de quelqu'un, j'étais toujours volontaire.
12:41 Ça m'occupait.
12:43 - Qu'est-ce qui se noue dans la relation entre un apprenti et son chef ?
12:47 C'est de quel ordre ?
12:48 - C'est de l'ordre de la comp...
12:50 À la fois du respect, bien sûr, de la complicité,
12:54 et puis il y a ce que j'appelais tout à l'heure la transmission.
12:59 Il y a quelque chose qui se passe.
13:01 J'ai eu la chance d'avoir des chefs
13:04 qui avaient toujours à cœur d'exercer cet acte de transmission.
13:09 C'était formidable, c'était une chance énorme que j'ai eue chez Le Nôtre.
13:12 - Mais parfois de façon dure ou pas ?
13:13 - Jamais.
13:14 - Jamais ?
13:15 - Non.
13:16 Quand on parle de la dureté des relations dans le métier,
13:19 moi, je n'ai jamais été confronté à ça.
13:21 En tout cas, je me suis toujours arrangé pour ne jamais y être confronté.
13:25 - Vous êtes passé par Le Nôtre, Fauchon, Ladurée.
13:28 Avec eux, qu'est-ce que vous avez appris en plus de la technique ?
13:31 - Chez Le Nôtre, j'ai appris mon métier.
13:33 Chez Fauchon, je suis arrivé comme chef pâtissier.
13:36 Là où j'ai commencé à transmettre, j'avais 24 ans, j'étais très jeune.
13:40 Je suis resté pendant 11 ans.
13:42 Et ensuite, chez Ladurée, j'étais consultant, j'étais conseil.
13:46 Et donc, là, j'ai apporté non seulement mon savoir-faire,
13:50 mais aussi mon regard à la fois sur le marketing de la marque.
13:54 - Oui, c'est ce que j'allais vous dire.
13:55 - J'ai proposé les bases du marketing de la marque en 97.
14:00 - Et puis on apprend peut-être à faire de la pâtisserie pour une autre clientèle,
14:03 une clientèle plus internationale, non ?
14:05 - Moi, je regardais pas les choses comme ça,
14:07 mais j'ai créé L'Hisparron à l'époque chez Ladurée.
14:11 - Je voudrais vous montrer un document.
14:14 Peut-être que... Bon, je pense que vous le connaissez.
14:16 C'est un document qui nous a été transmis par les Archives nationales,
14:19 qui sont nos partenaires dans cette émission.
14:21 Ah, les équipes des Archives nationales ont retrouvé une annonce d'un stage
14:25 que vous avez donné en février 1993.
14:27 "30 heures de formation en 3 jours avec pour thème,
14:30 "technique de montage rationnel, technique décor moderne,
14:34 "notion de prix de vente", on parlait de marketing, justement,
14:37 "animateur, M. Pierre Hermé, chef pâtissier de la maison Fauchon".
14:41 Technique, beaucoup, hein ? On voit que c'est une époque plus technique.
14:45 - En fait, les clients qui viennent pour ces stages-là sont des pâtissiers.
14:49 Donc, c'est les pâtissiers parlent aux pâtissiers,
14:51 donc on leur parlait de technique, de savoir-faire,
14:54 parce que c'est ça que les gens viennent chercher.
14:57 - Mais la pâtisserie, c'est quand même, on le sent en tout cas dans le set intitulé,
15:00 c'est aussi la précision du geste, quand même.
15:03 - Alors, vous ne vous posez pas la question
15:07 comment on fait les mêmes gâteaux de la même façon à Tokyo, à Paris,
15:12 à Marrakech, à Doha, à Riyad bientôt.
15:16 C'est en fait cette précision, cette attention aux détails
15:21 qui nous permet de reproduire le meilleur gâteau possible
15:25 dans différents endroits du monde.
15:27 C'est-à-dire qu'une recette, lorsqu'elle est créée,
15:29 elle fait l'objet d'un descriptif extrêmement précis
15:34 où toutes les étapes sont définies et tous les gestes sont décrits,
15:39 ainsi que les poids et quantités,
15:42 avec parfois des photos, des dessins à l'appui,
15:46 pour permettre aux pâtissiers qui sont dans nos ateliers
15:51 partout dans le monde... - Où vous déléguez vos recettes.
15:54 - ...à réaliser l'Ispahan que vous voyez là, la tarte à fil et mangue en vanille,
15:58 c'est ce travail de précision qui permet et qui nous donne
16:03 la meilleure chance de faire le même gâteau aussi bon, aussi beau.
16:08 - Pour le client.
16:09 30 ans plus tard, 30 ans après cette annonce,
16:12 ce n'est pas un stage que vous animez,
16:13 c'est le dessert servi au roi Charles III lors de sa visite en France.
16:18 Vous avez été en charge de préparer ce dessert.
16:21 On était donc en septembre 2023.
16:23 Sacré parcours, passer de ce genre de stage à servir le dessert pour le roi Charles III.
16:29 Vous aviez des consignes, on vous disait attention,
16:33 il y a des choses qu'il n'aime pas, il y a des allergies, des intolérances.
16:36 Comment on prépare un tel dessert ?
16:39 - C'est la présidence et c'est Mme Macron qui avaient voulu un dessert autour de l'Ispahan,
16:45 rose, litchi, framboise.
16:47 J'ai fait un dessert qui comportait une compote de framboise cuite et crue,
16:52 du litchi, un sorbet litchi à la rose, un sorbet framboise et un fin disque de macarons.
17:00 C'était un dessert servi à l'assiette, contrairement ici devant où nous avons le gâteau.
17:04 - Une pièce unique ?
17:07 - C'était une création pour l'occasion.
17:10 Ce qui était une réinterprétation de la saveur ispahan.
17:14 Et puis on avait 150 convives de moins, ce qui est un nombre important,
17:23 mais pas non plus démesuré.
17:25 - Et qu'est-ce qu'il vous a dit, le roi ?
17:27 - On a eu un entretien très court avec le roi, la reine, le président et Mme Macron.
17:34 Et nous avons échangé quelques mots pour parler du dessert.
17:39 Il y avait les autres chefs qui étaient avec moi.
17:42 - Il a aimé ?
17:44 - Visiblement, il a aimé.
17:46 - Quelle est la plus grande satisfaction pour vous ?
17:48 C'est qu'un homme comme lui, qui est habitué aux meilleures tables du monde entier,
17:52 vous dise "j'ai aimé votre dessert" ?
17:54 Ou le plaisir ressenti par un ki-dam, très simplement ?
17:58 - Pour moi, chaque client est important.
18:04 Mais quand les gens me parlent des gâteaux, je suis content.
18:07 C'est toujours un plaisir quand les gens parlent de leurs émotions.
18:12 Parce que finalement, quand ils nous parlent des gâteaux,
18:14 les gens nous parlent des émotions qu'ils ont ressenties.
18:17 Ça veut dire qu'ils ont eu des émotions intéressantes, positives.
18:22 - Et qu'est-ce qu'il faut vous dire qu'on a aimé quand on veut vous flatter sur une pâtisserie ?
18:27 Quelle est l'émotion qui vous toucherait le plus ?
18:31 - Tout simplement, si c'est bon.
18:34 - C'est aussi simple que ça.
18:35 Il n'y a pas lieu de faire des tonnes.
18:39 De toute façon, la pâtisserie, c'est un plaisir immédiat.
18:44 Ce n'est pas non plus quelque chose d'extrêmement intellectuel.
18:47 On peut bien sûr avoir une émotion plus sophistiquée.
18:51 Mais simplement, c'est bon, j'ai adoré.
18:55 Et les gens, quand ils me parlent des gâteaux,
18:57 la plupart me parlent des macarons, beaucoup.
19:00 Et en particulier du macaron Mogador.
19:03 Je ne sais pas pourquoi, c'est une personne sur deux qui me parle des macarons,
19:08 qui me parle du Mogador, qui est un macaron qui est chocolat au lait, fruits de la passion.
19:12 C'est un goût à la fois sophistiqué, mais assez simple,
19:16 où le fruit de la passion vient un peu bousculer le côté gourmand du chocolat au lait et sucré.
19:24 Mais c'est comme ça.
19:28 C'est souvent le macaron préféré de nos clients.
19:31 – Je poursuis un peu le fil politique, parce qu'au monde politique,
19:34 les hommes et les femmes d'État, vous aviez déjà un petit peu connu
19:36 pendant votre service militaire, je crois que vous l'aviez fait,
19:38 dans les cuisines de Charles Ernu, alors ministre de la Défense sous Mitterrand.
19:42 C'est Gaston Lenautre qui vous y avait trouvé une place, c'est ça ?
19:45 – Effectivement, c'est M. Lenautre qui m'avait envoyé voir le chef de l'Élysée
19:49 pour voir si je pouvais effectuer mon service militaire à l'Élysée à l'époque.
19:54 Et puis, ce monsieur s'appelait Marcel Lecervo,
19:58 il a été chef de l'Élysée pendant longtemps.
20:00 Et puis finalement, je me suis retrouvé au service de Charles Ernu,
20:03 comme pâtissier de Charles Ernu, qui venait d'arriver à la Défense en 1981,
20:08 et qui était un gourmand, un épicurien,
20:13 et quelqu'un d'extrêmement gentil et sympathique.
20:16 Il n'était pas rare de lui voir passer la tête entre son appartement et son bureau.
20:22 Il y avait la pâtisserie, et souvent, il me demandait "qu'est-ce qu'on mange aujourd'hui ?"
20:27 [Rires]
20:29 - Tous les ministres ont un pâtissier ? Leurs pâtissiers ?
20:31 - Je crois pas, non.
20:33 Mais les ministères d'État, je crois, peut-être.
20:38 - D'accord. Le Sénat, vous aviez déjà...
20:40 - Il y a un pâtissier de talent au Sénat.
20:42 - Vous comptez des dizaines de points de vente partout dans le monde,
20:45 vous l'avez un peu dit tout à l'heure.
20:46 Vous avez d'ailleurs commencé par Tokyo pour tester vos pâtisseries en début de carrière.
20:50 Vous êtes implanté en Europe, en Asie, au Moyen-Orient.
20:52 Une de vos recettes fétiches, on l'a dit, c'est l'Hispaen,
20:55 mariage de rose, litchi et framboise.
20:57 Très exotique vue de Paris, mais à l'autre bout du monde,
21:00 qu'est-ce qui est vu comme exotique ?
21:02 - Alors, lorsqu'on a ouvert la première boutique au Japon en 1998, à Tokyo,
21:07 dans l'hôtel Nyotani, le gâteau qui s'est vendu le plus
21:12 et qui a fait un boom au Japon à l'époque, c'était le kuih laman.
21:18 Donc il n'y avait rien d'alsacien, rien de japonais,
21:21 mais il s'est trouvé qu'il y a un journaliste du Monde,
21:24 Philippe Ponce, qui en a parlé dans le Monde.
21:26 Et du coup, il y a eu un boom sur le kuih laman.
21:30 Et bien sûr, les gâteaux fétiches de la maison,
21:33 le demi de feuille et puis Hispaen,
21:37 la tarta filetement vanille est venue un petit peu après,
21:40 se sont imposés tout de suite comme étant des saveurs fétiches de la maison.
21:45 - Où rêvez-vous d'implanter vos pâtisseries maintenant ?
21:47 C'est quoi l'étape d'après ? C'est l'espace ?
21:49 - Dans l'espace, c'est fait.
21:52 - C'est déjà fait ?
21:53 - Oui, c'est fait.
21:54 Il y a quelques années, j'ai eu une discussion avec le patron du CNES
21:58 et on a rêvé d'envoyer des macarons dans l'espace, dans la station spatiale.
22:03 - Génial.
22:04 - Deux ans après, chose faite.
22:06 - Il faut créer un macaron Thomas Pesquet alors.
22:09 - Et celui qui a fait voir le macaron pour son anniversaire dans l'espace,
22:14 en train de jongler avec des macarons dans l'espace, c'est Thomas Pesquet.
22:17 - Incroyable.
22:18 - Et il y a une photo que vous trouverez facilement sur Internet
22:20 où Thomas Pesquet joue avec les macarons sur lesquels il y a marqué "PH".
22:25 - Et vous n'avez pas envie de créer un macaron Thomas Pesquet ?
22:27 Vous le ferez à quoi ?
22:28 - Il existe, il a été fait pour lui.
22:30 - Il a été fait pour lui spécifiquement ? Et il est à quoi ?
22:32 - Il est framboise, parce qu'il y a dans l'espace,
22:34 il y a des contraintes de -40 et +50 ou l'inverse.
22:40 Donc c'est pour ça qu'avant d'arriver dans l'espace, dans la station,
22:45 il y a eu deux ans de tests.
22:48 - Vous voyez, je posais la question sans savoir,
22:50 mais je ne pensais pas que c'était déjà fait.
22:51 - Donc dans l'espace, c'est fait.
22:52 Mais bon, il y a aujourd'hui plusieurs pays.
22:55 On va ouvrir la semaine prochaine dans l'hôtel Four Seasons à Riad,
23:01 une boutique et un salon de thé.
23:03 Et puis on a pas mal de projets d'ouverture et un projet d'école.
23:08 - J'ai des photos à vous proposer, Pierre-Hermé.
23:13 La première, la voici, il s'agit de l'équipe qui a remporté l'or
23:16 aux Coupes du Monde de la pâtisserie en 2023.
23:18 C'est une équipe japonaise.
23:20 La France est arrivée deuxième, l'Italie troisième.
23:24 Comment expliquer qu'on ne soit pas premier ?
23:26 - Alors la Coupe du Monde de la pâtisserie, que j'ai le plaisir de présider
23:31 et de présider le comité international d'organisation,
23:36 est un concours qui a été créé par Gabriel Paillasson,
23:40 qui était un grand pâtissier français.
23:42 Cette Coupe du Monde a été gagnée, je crois,
23:45 8 ou 9 fois par des équipes françaises.
23:48 Et il est aussi important que ce concours soit gagné par...
23:54 - D'autres nationalités.
23:55 - D'autres nations, parce que c'est le but d'une Coupe du Monde.
23:58 Une Coupe du Monde, c'est un moment T où une équipe est meilleure qu'une autre.
24:02 Et il y a eu la Malaisie qui a gagné, il y a eu la Belgique,
24:06 il y a eu l'Italie, il y a eu le Japon, il y a eu l'Espagne aussi.
24:10 Donc, ça serait injuste et suspect que ce soit toujours la France.
24:18 - Et réducteur.
24:19 - Si le savoir-faire français est prépondérant,
24:22 je crois que c'est bien que ce concours soit ouvert au maximum de pays.
24:27 Il y a environ 20 pays qui participent à cette Coupe du Monde, à la finale.
24:31 Et puis, il y a des épreuves éliminatoires pays par pays et continents par continents.
24:39 - Une autre photo. Connaissez-vous cet homme ?
24:41 Ça vous dit quelque chose ?
24:42 - Oui.
24:43 - Oui. Jonathan Blutinger, il est ingénieur en mécanique.
24:47 Et il a réussi avec une équipe de l'Université de Columbia à New York
24:50 à concevoir un cheesecake comestible grâce à une imprimante 3D.
24:55 Ce n'est pas une blague.
24:56 Ils ont acheté tous les ingrédients en supermarché,
24:58 les ont transformés en pâtes et en une demi-heure d'impression,
25:00 c'était dans l'assiette. Vous saviez que ça existait ?
25:03 - Non seulement je sais que ça existe et j'accompagne une marine Cor Bayet
25:08 qui a créé la pâtisserie numérique.
25:11 - Oui. Pâtisserie numérique.
25:14 - Et qui a mis au point une imprimante 3D pour créer des pâtisseries.
25:18 C'est intéressant, on en est au balpulsiment.
25:21 Et comme pour l'instant, je ne vois pas bien la...
25:25 - La finalité.
25:26 - La finalité, je trouve qu'il faut persister
25:29 parce que je suis sûr qu'il y a quelque chose d'extrêmement intéressant dans cette idée.
25:33 - Elle est esthétique avant tout, j'imagine. En tout cas, là, elle n'est pas dans le goût.
25:36 - Pour l'instant, elle est esthétique, mais justement,
25:39 j'ai mis cette dame, Marine Cor Bayet, en contact avec plein d'autres pâtissiers
25:45 pour que d'autres s'emparent du sujet et que ça crée une émulation
25:51 et qu'on l'aide à trouver des idées pour son projet.
25:55 - Vous êtes en train de scier la branche sur laquelle vous êtes assis ?
25:57 - Non.
25:58 - Ça ne vous fait pas peur ?
25:59 Une dernière photo, c'est un petit clin d'œil pour terminer, Emmanuel Macron,
26:02 lors de l'épiphanie en janvier 2024. Il a eu cette petite phrase qui a fait grand bruit.
26:06 Il a donné son avis sur pain au chocolat ou chocolatine.
26:10 - Il était dans l'assistance, donc, il a découvert. Il a raison.
26:14 - Et c'est pain au chocolat pour lui. Et vous ?
26:16 - Oui, pain au chocolat.
26:18 - Pour vous aussi.
26:19 - Chocolatine, c'est une adaptation régionale.
26:23 - Vous allez en fâcher certains.
26:25 - On dit ça, c'est quelque chose de... C'est un débat humoristique.
26:31 - Oui, c'est devenu drôle. J'ai une dernière question pour vous, Pierre-Hermé.
26:34 Nous sommes entourés de quatre statues qui représentent chacune une vertu.
26:37 Il y a la sagesse, la prudence, la justice et l'éloquence.
26:41 Y a-t-il une de ces vertus qui vous caractérise ou qui vous parle particulièrement ?
26:45 - Pourquoi il n'y a pas l'audace ?
26:47 - On va demander au concepteur du lieu. Ce serait l'audace.
26:50 - Oui, je trouve que c'est important. La sagesse, c'est bien.
26:56 L'éloquence, bien sûr, mais l'audace ?
26:59 - L'audace, on s'arrêtera sur ce mot.
27:02 Merci infiniment, Pierre-Hermé, d'avoir participé à cet entretien.
27:05 Merci d'avoir été notre invité. Merci à vous de nous avoir suivi.
27:07 Émission à retrouver en podcast également.
27:09 Ne l'oubliez pas. À très bientôt sur Public Sénat. Merci.
27:12 (Générique)