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Dans le cadre de la commission d'enquête du Sénat sur les émeutes de juin 2023, Fabien Jobard, docteur en science politique et directeur de recherches au CNRS, livrait son analyse sur les causes de ces événements.

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Transcription
00:00 Je voudrais revenir sur l'événement déclencheur, parce que moi j'en vois trois à l'intérieur d'un même événement.
00:05 Il y a un tir, il y a les... j'en vois quatre. Il y a un tir, il y a la vidéo du tir, il y a le son.
00:13 En fait, dans les heures qui ont suivi le tir, se répand l'idée que le policier a dit "je vais te shooter" ou quelque chose de semblable.
00:22 Alors il y a eu des analyses très détaillées qui ont été faites après par des associations, des services un peu spécialisés,
00:29 qui ont montré que c'était pas si évident. Mais il y a quelque chose de la menace et donc d'un tir qui n'est pas nécessaire.
00:36 Il ne répond pas à ce que prévoit le droit, notamment légitime défense.
00:42 Quatrième point, en fait, ça je tire votre attention là-dessus, parce qu'on a quand même une institution policière qui est défaillante à mon avis sur cette question,
00:48 c'est que qui a communiqué en premier sur le tir ? Est-ce le procureur de la République ? Est-ce le directeur départemental de la sécurité publique des Hauts-de-Seine ?
00:58 Est-ce le commissaire ou la commissaire de Nanterre ? Non, c'est un syndicat de police. Un syndicat de police, une fois de plus, en l'espèce force ouvrière, unité.
01:07 SGP, unité police, force ouvrière. Bon. Qui a dit ce matin, un jeune qui avait entrepris de... Je cite de mémoire, mais en gros c'était ça,
01:18 qui avait entrepris de rouler sur un policier, a été tué, des suites de la réplique policière à cette menace imminente de mort.
01:28 Et forcément, quand la vidéo... Et du reste, c'est d'après ce que j'ai lu, ce qui a motivé la dame qui avait filmé à diffuser cette vidéo.
01:37 En fait, c'est la fausse nouvelle. Et la question que je pose, c'est pourquoi, diable, lorsqu'il y a un événement en zone gendarmerie,
01:46 les gendarmes communiquent comme des grands, comme des grands. Et lorsqu'il y a un événement en zone police, les syndicats communiquent.
01:53 Je veux dire, je suis fonctionnaire comme les policiers, je suis syndiqué comme les policiers. Par ailleurs, en ce moment, je suis élu au sein de mon organisation, le CNRS,
02:02 je vous le rappelle. Mais moi, mon directeur, mon président directeur général, il communique. C'est pas moi qui communique pour l'établissement.
02:11 Donc là, il y a quelque chose que je ne comprends pas parce que je rappelle, par exemple, la mort du jeune Souheil à Marseille en août 2021,
02:23 qui communique sur cette mort, donc une balle tirée par un policier qui a touché le cœur du jeune homme.
02:32 C'était le même syndicat, Unité France Ouvrière. Il y a quelque chose qui ne va pas là-dedans parce que je pense que la communication des pouvoirs publics
02:40 serait une communication plus mesurée, serait une communication plus balancée, une communication qui serait moins affirmative et qui appellerait à la patience,
02:50 à l'examen et à un rendez-vous avec les pouvoirs publics. Donc ça, je pense que c'est quelque chose... Vous voyez, Eric Carouche, notre collègue, j'allais dire,
03:02 nous interpelle sur les meilleures manières de faire. Celle-ci en est une, mais pas très compliquée. Deuxième point sur lequel je voulais intervenir,
03:13 sur votre intervention, madame, qui nous dit que cette fois, les populations n'en peuvent plus et ne veulent plus payer.
03:25 Je pense qu'elles ne voulaient pas plus payer et elles n'étaient pas plus heureuses en 2005. Les témoignages qu'on a, il faudrait revenir sur
03:35 INA.fr pour écouter un petit peu la tonalité des reportages qui avaient été menés dans les cités à l'époque, mais cette angoisse de voir son véhicule brûler
03:46 et être privé dans un certain nombre de communes, notamment celles par exemple en Ile-de-France qui sont périphériques à... Le premier employeur d'Ile-de-France,
03:56 maintenant que nous n'avons plus d'industrie en Ile-de-France, c'est Aéroports de Paris, on est dépendant de la voiture pour aller travailler. L'exaspération, elle est à la même en 2005.
04:05 Mais un sentiment n'évacue pas un autre et c'est ça une dimension importante à saisir. C'est que un certain nombre de ceux qui disent leur exaspération
04:20 ont peut-être rejoint les rangs des émeutiers 20 ans avant. Ce sont leurs enfants qui étaient sur le bitume fin juin, début juillet.
04:32 Je reviendrai d'ailleurs sur la notion de carrière. Ils sont exaspérés pourquoi ? Parce qu'on brûle leur voiture ? Bien sûr. Mais aussi parce qu'il y a une mécanique
04:44 qui est la même que celle en 2005, qui consiste à avoir une action policière, ce qu'ils identifient à tort cette fois-ci en 2023, comme une mauvaise réponse des pouvoirs publics,
04:57 un sentiment d'abandon, un sentiment d'injustice et une révolte des jeunes. Au fond, dire "je n'en peux plus" c'est dire "je n'en peux plus de quoi exactement ?"
05:07 Bien sûr, je ne veux pas que mon véhicule soit incendié, mais ça n'est pas un sentiment exclusif d'un certain nombre d'autres prises de position.
05:24 Et pour être très clair, les territoires dans lesquels on recrute les populations émeutières, quand on mène des enquêtes de victimation,
05:36 comme mon centre de recherche le fait depuis plus de 20 ans, notamment des enquêtes de victimation sur l'île de France, on se rend compte que les populations les plus pauvres
05:44 du Val-de-Marne ou de la Seine-Saint-Denis sont caractérisées par trois choses. La première, un niveau d'atteinte et de délinquance qui est parmi les plus élevés en Île-de-France.
05:59 A Paris, il y a beaucoup de délinquance également, mais la deuxième caractéristique, les villes les plus pauvres du Val-de-Marne et de la Seine-Saint-Denis, c'est qu'il y a une très forte demande de police.
06:09 Très forte demande de police. La demande de police en Île-de-France la plus élevée, elle est sur les territoires qui ont été en premier touchés par les émeutes.
06:17 Mais simplement, cette demande de police s'accompagne également d'un taux très fort que Sébastien a évoqué tout à l'heure, d'insatisfaction à l'égard de la police.
06:28 Et donc, si vous voulez, on n'assiste pas à une sécession des populations vis-à-vis de l'autorité. Là, je ne suis pas d'accord avec votre point de vue.
06:37 Au contraire, il y a une demande de présence de l'État. Police, sans doute aussi d'ailleurs, d'écoles, etc. Il y a une demande de police.
06:46 Mais il y a la demande d'une meilleure police, d'une police autre, la demande d'un autre service public de sécurité.
06:54 Et donc, si vous voulez, il n'est jamais trop tard pour ajuster l'offre à la demande. Là où il est trop tard, c'est-à-dire qu'il n'y a plus de demande du tout.
07:05 Vous prenez des territoires tels que... Rien de meilleur me vient en tête malheureusement. Vous prenez les États-Unis, enfin bon, les États-Unis, c'est pas...
07:15 Les villes aux États-Unis, au milieu du 19e siècle, si vous voulez, pas de demande de police. Chacun fait sa police soi-même.
07:22 Le patron, il fait sa police dans son usine. Les villageois, ils élisent un tel et un tel et allez hop, ils vont faire la police.
07:28 C'est ce qu'on appelle les milices d'autodéfense, le vigilantisme, les milices bourgeoises qu'on avait nous au 17e, 18e siècle chez nous.
07:35 Là, oui, là, il y a une sécession. Mais il y a demande de police là-bas.
07:40 Je... J'ai peur d'être... Pardon, troisième point sur la colonisation, colonie, etc. C'est vieux tout ça.
07:52 C'est vieux et c'est... Vous parlez... Pour le coup, je me suis livré maintes fois à l'expérience. Vous parlez des colonies, une situation post-coloniale, etc.
08:04 Des policiers qui sont en exercice en Ile-de-France. Ça ne fait pas de sens, bien sûr. Mais là, il faut quand même adopter un point un peu historique, macro, et je vais être très...
08:18 Bref, vous me dites, madame, les violences policières, il n'y a pas que ça. Je suis tout à fait d'accord. Il n'y a pas que ça dans la vie, en particulier au cœur du problème qu'on aborde aujourd'hui.
08:26 Il n'y a pas que ça du tout. Mais il se trouve qu'on a eu en France, et c'est ça une singularité très forte de la France, en grande partie aussi de la Grande-Bretagne, c'est qu'on a eu successivement des colonisations.
08:36 Alors en France, une guerre coloniale particulièrement violente et longue, car en Algérie.
08:42 Et cette guerre, parce que le FLN l'a exportée sur le territoire métropolitain, elle s'est déroulée également sur notre sol, ici. Et notamment, préfecture de police.
08:53 À cette guerre a succédé le rapatriement de tout un ensemble de populations très diverses de ces pays-là. La France, là aussi, grosse différence par rapport à l'Angleterre. Un million d'Européens non-musulmans en Algérie. C'est considérable.
09:12 On a un patrier de tout ce beau monde. Et en gros, je vais très vite, pardonnez-moi, il n'y a pas d'historien dans la salle.
09:18 En gros, on a confié la gestion de ces populations aux forces de l'ordre qui avaient exercé en Afrique du Nord ou qui avaient exercé la préfecture de police.
09:29 Pour reprendre le terme de carrière, la carrière de Maurice Papon est intéressante de ce point de vue-là. On lui confie le Constantinois, on lui confie la préfecture de police.
09:37 Et vous voyez là, il y a une continuité post-coloniale qui ne s'arrête pas en 1962. Et là où la trajectoire française n'est vraiment pas très chanceuse, c'est que la France est un pays qui a choisi un modèle de développement économique
09:54 qui est un modèle fondé sur le tertiaire, autrement dit la désindustrialisation. À partir du milieu des années 1970, petit à petit, ça grignote.
10:03 Grosses manifestations s'y démerurgissent, pour ceux qui s'intéressent à l'histoire du maintien de l'ordre. Deuxième moitié des années 1970, on n'a plus d'industrie en France.
10:11 Moi, il se trouve que j'ai fait un stage ouvrier à Olnay-sous-Bois en 1990, il y avait encore 3500 ouvriers à Olnay à l'époque. Aujourd'hui, il y en a zéro.
10:21 Et quelles sont les populations qui sont touchées par la désindustrialisation ? Ce n'est pas moi, ce n'est pas nous. Ce sont les populations masculines sorties du système scolaire sans qualification.
10:31 Et donc, si vous voulez, quelle dynamique se met en œuvre ? Le policier francilien, on va dire, il gère les populations nord-africaines dans un contexte de guerre sur le territoire jusqu'en 1962.
10:48 Puis, il gère l'installation à un rythme effréné, l'implantation de commissariats. Olnay-sous-Bois, ça devait être une brigade territoriale de gendarmerie en 1965.
10:57 Donc, on installe des commissariats de police. Les commissariats de police ont fait appel à des commissaires qui ont été formés soit à la préfecture, soit en Afrique du Nord.
11:05 Et après, ils se retrouvent avec une population masculine oisive, de plus en plus massive, parce que qui absorbe la population masculine sans diplôme, c'est l'industrie. Il n'y a plus d'industrie.
11:15 Et ces jeunes-là sont dans la rue. Et si vous voulez, pour les policiers, je dirais pour l'institution policière, un peu d'ailleurs pour la société, une certaine continuité des années 60 à aujourd'hui, d'une population qui pose problème.
11:27 Mais c'est un modèle économique derrière, c'est une trajectoire économique, c'est une trajectoire politique. Et effectivement, là, de ce point de vue-là, vous avez raison de dire que les violences policières, c'est périphérique.
11:36 Les violences policières, ça n'est jamais que la conséquence de ça. Mais c'en est une très forte, à laquelle aujourd'hui on se raccroche. C'est un peu une métonymie, si vous voulez, de cette histoire macro-sociale qui touche les quartiers dont on parle.
11:52 [Musique]

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