"Tout le monde savait" : auditionnée jeudi 29 février au Sénat sur les violences sexistes et sexuelles dans le milieu du cinéma, l'actrice Judith Godrèche a notamment dénoncé l'omerta autour de l'emprise qu'elle a subie dans son adolescence de la part de réalisateurs. Ecoutez-la.
Retrouvez toute l’actualité, les reportages, les enquêtes, les opinions et les débats de "l’Obs" sur notre site : https://www.nouvelobs.com
Retrouvez toute l’actualité, les reportages, les enquêtes, les opinions et les débats de "l’Obs" sur notre site : https://www.nouvelobs.com
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 Quand j'ai joué au théâtre pour la première fois,
00:02 Caroline, mon amie d'enfance,
00:04 la seule dont je n'étais pas coupée par mon ravisseur,
00:09 eh bien Caroline m'avait envoyé un fax.
00:12 J'avais 17 ans, c'était le soir de ma première.
00:15 Ce fax disait,
00:18 "La faveur des étoiles est de nous inviter à parler,
00:21 "de nous montrer que nous ne sommes pas seuls,
00:24 "que l'aurore a un toit et mon feu tes deux mains."
00:29 C'est un poème de René Charre.
00:32 J'ai toujours le petit papier.
00:34 Il se trouve dans la valise à fleurs cabossée de mon enfance,
00:37 celle où je garde les secrets,
00:39 ceux qui durent une éternité.
00:41 Et c'est dans cette même loge de théâtre
00:44 que je suis arrivée un soir,
00:46 la joue meurtrie par une énorme gifle.
00:49 Je me souviens couvrir, couvrir ma peau de fond de teint,
00:52 de fond de teint qui ne couvre rien,
00:54 qui accroche mal et qui glisse.
00:57 Ce soir-là, aucun télégramme, pas de fax.
01:02 Et pourtant, ça aurait été cocasse de recevoir une lettre anonyme.
01:07 Elle aurait dit, "Tout le monde sait."
01:11 Tout le monde le savait.
01:14 Tout le monde sait que dans l'industrie du cinéma,
01:18 un agresseur déguisé en réalisateur
01:21 fait s'ouvrir les petites filles pour qu'elles pleurent pour de vrais.
01:25 De vraies larmes salées.
01:28 Ils aiment que leur douleur soit plus grande que nature.
01:32 Il va même jusqu'à leur murmurer à l'oreille,
01:35 "Pense que ta maman va mourir."
01:38 Cet agresseur, déguisé en réalisateur,
01:42 leur donne rendez-vous également dans une chambre mansardée
01:45 près du jardin du Luxembourg,
01:47 où elles avaient l'habitude d'aller voir Guignol.
01:50 C'est là qu'il prend possession d'elles pour de vrais.
01:55 Camille Kouchner, Adèle Haenel, Hélène Devinck, Vanessa Springora,
02:05 pour ne citer qu'elles, tout le monde savait.
02:09 Pourtant, à chaque fois, vous perdez nos sacs à dos.
02:15 Encore et encore, vous dites qu'ils ont été égarés à la récré.
02:20 Ils contenaient autant de journaux intimes avec des petits verrous dorés,
02:25 avec Casimir qui sourit sur la couverture cartonnée
02:28 pendant qu'Hippolyte fait du booby-booga.
02:31 Combien de petites filles, de petits garçons,
02:33 combien de petits pieds dans la porte seront nécessaires
02:37 avant que cette société réagisse pour toujours,
02:41 afin que nous puissions jouer les rôles de notre vie
02:45 sans nous faire voler notre enfance, abuser, frapper.