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Louise, victime de pédocriminalité rencontre Louise, psychologue clinicienne chez Women Safe & Children, pour parler du traumatisme et des séquelles qu’endurent les victimes de violences sexuelles. Un combat dans lequel l’association les accompagne médicalement, psychologiquement, juridiquement et quotidiennement.
Transcription
00:00 être une victime de violences sexuelles.
00:01 On peut imaginer que c'est une souffrance qu'on a vécue en tant qu'enfant
00:04 et que parce qu'on a grandi, elle s'est éteinte.
00:07 Alors en fait, ça a des conséquences quotidiennes.
00:09 Je m'appelle Louise, j'ai 24 ans
00:11 et je suis venue vous parler de ce que c'est qu'être une victime de pédocriminalité.
00:16 Je m'appelle Louise, je suis psychologue clinicienne chez Women's Health & Children depuis 5 ans.
00:20 J'ai été victime de violences sexuelles par un membre de ma famille quand j'étais enfant.
00:23 Comme je l'ai oublié pendant environ 15 ans,
00:25 ça implique que maintenant que je m'en rappelle, c'est très violent.
00:28 Vous dites que pendant très longtemps, vous n'en êtes pas rappelée.
00:31 Comment est-ce que vous pourriez dire ça ?
00:33 J'ai fait de l'amnésie traumatique, voilà, jusqu'à mes 22 ans.
00:37 J'ai eu mon premier flash, j'avais super chaud alors qu'il neigeait.
00:40 J'ai eu un espèce de trigger dans cette journée-là
00:43 qui a fait remonter ce premier souvenir des violences sexuelles
00:47 que j'avais subies par un membre de ma famille.
00:49 J'ai eu une réaction physique.
00:50 Je suis rentrée chez moi et je me suis complètement déshabillée.
00:53 Et je ne savais pas comment l'expliquer.
00:54 J'étais au téléphone avec mes soeurs et j'étais en boucle
00:55 et j'ai répété la même chose en boucle
00:57 et je n'avais pas de solution.
00:59 Tout de suite, on peut avoir l'impression de devenir folle
01:02 parce que c'est déconnecté de la réalité externe.
01:04 Là, vous venez de dire "il faisait froid, j'ai eu très très chaud".
01:06 Et donc, on peut avoir l'impression que nos sens et ce qu'on pense
01:10 n'est pas en adéquation ou n'est pas adapté par rapport à la réalité.
01:13 Et donc, c'est un sentiment pas du tout agréable.
01:15 Et donc, c'est pour ça que c'est très important aussi
01:17 de bien comprendre ce que c'est que le psychotrauma.
01:19 C'est des espèces de capsules de temporalité qui ont été figées à un moment donné.
01:22 On a beaucoup du mal à les situer dans le temps.
01:24 Et c'est vraiment des éléments sensoriels très bruts comme ça.
01:28 Ça ne veut pas du tout dire qu'on est fou, ça veut dire qu'on est traumatisé.
01:30 La menace traumatique, c'est quelque chose de très fréquent,
01:32 notamment dans les cas d'inceste.
01:34 C'est tout simplement le cerveau qui essaye de protéger l'individu comme il peut.
01:37 Les réminiscences sont en elles-mêmes des moments difficiles à gérer pour les victimes.
01:41 Donc, c'est des moments où c'est important qu'il y ait une prise en charge.
01:44 Il y a eu plusieurs temporalités dans la prise de parole.
01:46 Quand il s'agit de parler à un professionnel de santé
01:48 ou à prendre des mesures pour moi aller mieux.
01:51 Ce n'est pas la même chose que d'en parler, surtout dans le cas de l'inceste,
01:54 d'en parler à des gens de ma famille.
01:56 Maintenant que j'en ai parlé, maintenant que j'ai vu les réactions des gens de ma famille
01:59 concernant mon traumatisme et leur responsabilité là-dedans,
02:03 je suis en colère et donc il faut que je remédie à ça parce que c'est moi que ça bouffe.
02:07 Et donc, c'est là où le cheminement vers des thérapeutes,
02:11 des professionnels de santé s'est mis en place.
02:13 Et ensuite, j'ai entendu parler du Women's Safe par un ami
02:15 et j'ai contacté le Women's Safe qui m'a tout de suite orientée vers Louise.
02:21 C'est parti comme ça et ça fait un an et demi.
02:23 Women's Safe and Children, c'est une association qui prend en charge
02:26 les victimes de violences depuis 2013 de façon pluridisciplinaire.
02:30 Une prise en charge médicale, juridique, psychologique.
02:33 Il y a aussi beaucoup d'ateliers qui visent une reconstruction du sujet.
02:37 Il y a des infirmiers, surtout des infirmières, des juristes, des psychologues,
02:43 des médecins, gynécologues, masseurs, ostéopathes.
02:47 Il y a des cercles de parole.
02:48 La première fois où je suis arrivée là-bas,
02:50 je me souviens que je n'ai vu que des femmes.
02:53 Et que ça m'a fait du bien de me dire que j'avais plus de chance d'être comprise
02:57 et que j'ai eu moins peur en fait.
02:59 Et j'ai tout de suite compris que j'allais avoir l'espace et le temps pour tout expliquer.
03:06 J'ai pu comprendre beaucoup de choses et j'ai pu me sentir comprise.
03:10 Et ça, ça fait du bien.
03:11 Le premier conf de parole qu'on a fait, on n'était que trois.
03:15 Et je me souviens que j'avais super peur de me dire
03:19 "je ne vais pas être autant une victime que les autres".
03:21 De ne pas avoir la légitimité à y être.
03:23 Et en fait, on avait tellement de points communs sur ce qu'on avait vécu.
03:27 Ça a changé mon rapport thérapeutique et même mon rapport à ma propre histoire.
03:32 Parce que je me suis dit "ah non, non, c'est bien ou vrai ce qui t'est arrivé.
03:37 Ce n'est pas juste dans ta tête et il y en a d'autres qui l'ont vécu
03:40 et qui peuvent te comprendre, mettre des mots à la place de ce que tu ressens,
03:45 sans que tu aies besoin de leur dire".
03:46 Et je me suis sentie libérée de ne pas avoir tout le temps à chercher les mots
03:52 et d'avoir le temps de pouvoir échanger avec d'autres victimes.
03:56 On a parlé de à quel point on se sentait seule
04:00 parce qu'on n'était pas représentée dans les médias, dans l'espace public,
04:05 que les discussions étaient taboues sur le sujet.
04:09 Et dans les médias, le sujet a été abordé depuis peu,
04:14 mais ce n'est que des personnalités publiques
04:16 et souvent les agresseurs sont des personnalités publiques
04:19 et donc la vitesse à laquelle va la justice n'est pas la même que nous concernant.
04:24 Quand on porte plainte, si notre plainte est bien reçue au commissariat déjà,
04:29 c'est un miracle.
04:29 Et ensuite, si elle avance, si elle n'est pas classée sans suite,
04:33 c'est encore autre chose.
04:35 C'est tout un parcours du combattant qui est injuste.
04:38 Toutes les victimes ne peuvent pas venir s'exprimer comme ça sur ce qu'elles ont vécu
04:41 parce qu'il y a les procédures judiciaires, il y a la honte.
04:45 Et ça, on n'en parle pas beaucoup non plus,
04:47 de la honte de ce que c'est qu'être une victime de violences sexuelles,
04:50 plus généralement parce que pas que d'inceste,
04:52 alors que c'est un sentiment qui est quand même très, très permanent.
04:54 Parce qu'on peut imaginer que c'est une souffrance qu'on a vécue en tant qu'enfant
04:57 et que parce qu'on a grandi, elle s'est éteinte.
05:00 Alors en fait, ça a des conséquences quotidiennes.
05:02 Ça peut perturber notre attention, ça perturbe notre rapport à notre corps,
05:06 à notre sexualité.
05:08 Mon rapport aux hommes, il a été complètement modifié par ce que j'ai vécu.
05:15 Moi, j'ai un problème avec les bruits forts,
05:18 touchés peu importe où, peu importe par qui,
05:20 sans m'y attendre, c'est compliqué.
05:22 Pendant des mois, à tout moment, je pouvais avoir un souvenir qui remontait.
05:25 Et puis, il n'y avait pas d'avertissement.
05:27 Ça vient maintenant, donc tu n'as pas le choix.
05:29 Et si tu tombes dans les pommes parce que tu ne te sens pas bien,
05:31 et bien tu tombes dans les pommes là maintenant parce que tu ne te sens pas bien.
05:33 Ça a brouillé mon quotidien en fait.
05:35 Et puis ensuite, il y a aussi, pour les victimes d'inceste,
05:38 mais en général en fait, pour les victimes de violences sexuelles qui prennent la parole,
05:41 on perd beaucoup de notre entourage, de notre stabilité.
05:46 Il y a des gens qui ne sont pas prêts à entendre,
05:47 il y a des gens qui réagissent violemment, donc c'est une double violence.
05:50 Être une victime de violences sexuelles et prendre la parole, honnêtement, c'est dangereux.
05:53 La honte, en général, elle est aussi induite par les auteurs.
05:57 Il y a souvent des récits de victimes qui disent voilà,
05:59 "Il me disait qu'il ne fallait pas que je parle, sinon ça allait faire du mal à mes parents."
06:04 Il y avait déjà l'intériorisation du fait que la prise de parole
06:08 et le fait de parler ouvertement de ce qui se passait,
06:11 entraînait un risque pour la victime.
06:12 Donc déjà, oui, c'est difficile de parler de ça.
06:16 Et puis le sentiment de honte, il se construit aussi petit à petit quand on grandit.
06:20 Donc quand on a été victime enfant, les enfants, ils voient des parents faire à manger,
06:23 ils ont envie de jouer à la dînette.
06:24 Ils voient des parents s'occuper d'un bébé, ils ont envie de jouer à la poupée.
06:27 Et s'il y a un adulte qui va les agresser sexuellement,
06:30 ils ne vont pas du tout comprendre que c'est quelque chose de pas normal.
06:32 Ils vont le comprendre en grandissant.
06:33 Et donc le sentiment de honte, il va se créer petit à petit
06:36 quand ils vont intérioriser que la culture défend l'inceste
06:39 comme étant un des grands tabous sociaux.
06:41 Et c'est là où ils vont comprendre qu'en fait, il leur est arrivé quelque chose de pas normal.
06:44 Ils vont commencer à développer des sentiments, des choses auto-agressives,
06:48 des sentiments de se sentir sale, de se sentir honteux, de se sentir pas normal,
06:52 de se sentir différent des autres et tout ça.
06:55 Et donc ensuite, aller travailler sur ça en thérapie, c'est très compliqué
06:58 parce qu'on va travailler sur des strates de construction de la psyché qui sont gigantesques.
07:04 Et c'est très difficile d'arriver à se dire, bah oui, en fait, vraiment, la honte, elle change de camp.
07:08 Et j'arrive complètement à me dire que c'est pas du tout à moi d'avoir honte.
07:12 Quand une personne du groupe de parole exprime un sentiment auto-agressif
07:15 et qu'on réagit toutes en disant "bah non", et qu'on la rassure,
07:18 et bien en fait, ça permet de se rendre compte qu'on la croit, on la soutient
07:23 parce qu'en fait, on attend la même chose.
07:26 Parce qu'on a besoin de la même chose.
07:27 Et que c'est OK de se le donner à soi-même aussi.
07:30 Ça apprend à s'aimer un peu plus aussi.
07:32 C'est important pour les victimes de trouver des lieux de prise en charge
07:36 qui sont adaptés pour elles.
07:38 Chez Women's Safe and Children, on a la chance d'avoir une prise en charge gratuite
07:41 pour ces victimes, ce qui devrait être le cas partout.
07:43 Women's Safe and Children est située dans les Yvelines et à Paris pour le moment.
07:47 Il y a un centre qui est en train de s'ouvrir aussi en Haute-Savoie.
07:49 Et il y a un site internet sur lequel vous pouvez trouver le numéro
07:53 et les informations pour contacter l'association.
07:55 Sous-titrage Société Radio-Canada
07:57 www.sociétéradio-canada.com
07:59 [SILENCE]

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